Après les manifestations des agriculteurs en janvier 2024, le gouvernement avait promis des changements pour protéger l’agriculture française et diminuer l’enfer normatif. Ce 28 mai, après de 70 heures de débats a lieu l’examen en première lecture du projet de loi d’orientation agricole qui se veut l’une des réponses de l’exécutif à la colère agricole.
L’article phare du texte prévoit de consacrer « l’agriculture et la pêche » comme étant « d’intérêt général majeur », une forme d’appel aux juges administratifs pour faciliter certains projets de retenues d’eau ou de bâtiments d’élevage hors-sol.
Les députés ont validé certains objectifs à long terme, comme le fait de viser 400.000 exploitations et 500.000 agriculteurs d’ici 2035, des mesures sur la formation (création d’un nouveau diplôme Bac+3), la mise en place d’un guichet unique départemental pour accompagner les agriculteurs voulant s’installer ou céder leur exploitation, ou encore la simplification de la législation sur les haies.
Côté syndicats, l’alliance majoritaire formée par la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs soutient la philosophie du texte, tandis que les deux autres forces représentatives dénoncent peu d’avancées.
Un objectif de 400.000 exploitations et 500.000 agriculteurs d’ici 2035
L’Assemblée nationale a inscrit dans le projet de loi un objectif non contraignant de « 400.000 » exploitations agricoles et « 500.000 exploitants » travaillant sur ces terres, d’ici à 2035.
« Peu importe le nombre de fermes », a argué la députée socialiste Dominique Potier, préférant fixer un objectif de « paysans debout, responsables, propriétaires, décideurs et qui travaillent ». « C’est ça le modèle qu’on veut défendre ».
À l’instar d’une écrasante majorité de députés d’opposition comme de la majorité, Manon Meunier (LFI), a soutenu la proposition, appelant à éviter la « concentration » des terres « dans la main de certains propriétaires ou de certaines filières agro-industrielles ».
Les députés érigent l’agriculture en « intérêt général majeur »
Les députés ont ajouté un article qui prévoit de conférer à l’agriculture un caractère « d’intérêt général majeur », une innovation juridique censée répondre à une demande des agriculteurs.
« La protection, la valorisation et le développement de l’agriculture et de la pêche sont d’intérêt général majeur en tant qu’ils garantissent la souveraineté agricole et alimentaire de la Nation, qui contribue à la défense de ses intérêts fondamentaux », énonce cet article-clé du projet de loi.
L’engagement avait été pris par Emmanuel Macron au salon de l’Agriculture, alors que la colère des agriculteurs battait son plein. « Sur le plan juridique, ça positionne l’agriculture en équilibre avec l’environnement », avait approuvé Arnaud Rousseau, président de la FNSEA, premier syndicat agricole.
« Cela va venir produire, sur le long terme, des effets dans la manière dont vont pouvoir être pondérés différents objectifs de politiques publiques, et dans la manière dont, sur le terrain, des projets agricoles pourront être évalués, réalisés et développés », a affirmé le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau.
Nicole Le Peih, rapporteure Renaissance, a admis qu’il s’agissait d’une « innovation juridique » qui ne « modifie pas la hiérarchie des normes ». « Il n’y a pas de remise en cause du principe constitutionnel de la protection de l’environnement » mais « lorsque plusieurs dispositions législatives seront en présence, voire seront contradictoires, l’agriculture fera désormais l’objet d’une attention spécifique », a-t-elle soutenu.
L’article propose également une longue définition de la souveraineté alimentaire et agricole de la France, reposant notamment sur sa capacité à « produire, transformer et distribuer » les produits nécessaires à « une alimentation suffisante, saine (et) sûre », sans pour autant en définir un cadre normatif, des contraintes et un prix plancher.
La question délicate des investisseurs privés
Autre point chaud: la création de groupements fonciers agricoles d’épargne, des structures qui doivent permettre de lever de l’argent auprès d’investisseurs publics ou privés et financer l’achat de terres quand de nouveaux agriculteurs n’en ont pas les moyens.
Une coalition d’oppositions a supprimé l’article en commission, jugeant notamment qu’il ouvrait la porte à une « financiarisation » de l’agriculture au profit de banques ou de fonds d’investissements, ce dont le camp présidentiel se défend. La gauche et le RN ont ainsi fait retirer une référence aux « investisseurs privés », alors que l’exécutif souhaitait leur donner dans le texte une place de partenaires de l’État au même titre que les collectivités pour concourir aux transmissions de terres agricoles.
La députée Dominique Potier a reconnu un potentiel « malentendu » sur l’objectif, et que les investissements privés pouvaient être vertueux quand ils sont encadrés pour « l’intérêt général ».
Des critiques des syndicats, de la gauche et de la droite
La Confédération paysanne (troisième syndicat), qui défend l’urgence de la transition agroécologique, appelle à modifier le texte « en profondeur ». Le syndicat de la Coordination rurale (deuxième syndicat) estime quant à lui que « le compte n’y est pas » face à l’ampleur de la crise.
Pour le député RN Jordan Guitton, la fiscalité agricole est la grande absente de ce projet de loi : « Les problèmes de transmission sont un véritable frein pour le renouvellement de la génération agricole. Il est urgent d’abaisser cette fiscalité » a-t-il déclaré lors du dépôt des amendements.
Concernant l’article faisant de l’agriculture un « intérêt général majeur », le député PCF Sébastien Jumel regrette que l’article « n’a aucune valeur normative » et n’apporte « aucune contrainte ». Le député LFI Aurélie Trouvé a également dénoncé l’absence de mesures pour des « prix planchers ».
En résumé, pour la gauche, le texte est « un formidable recul environnemental » avec l’introduction des atteintes « non intentionnelles » à l’environnement, alors qu’à droite Céline Imart, tête liste n°2 LR aux élections européennes dénonce un texte qui « ne résout rien sur les trois principales préoccupations des agriculteurs que nous défendons : dignité du revenu agricole, inflation des normes, considération… ».
Un prochain épisode attendu à la rentrée
Le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau et ses rapporteurs défendent une « brique » législative, « utile », en renvoyant à la rentrée les débats sur les produits phytosanitaires ou le revenu des paysans.
Aucun réponse pour le moment pour la protection des agriculteurs français face à la concurrence intra- et extra-européenne – les traités de libre-échange posant notamment des questions de concurrence déloyale avec des pays payant moins de charges et ayant moins de normes sociales et environnementales.
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