ENTRETIEN – Le président de la République a présenté le week-end dernier un projet de loi sur la fin de vie permettant une « aide à mourir » qui sera débattu au Parlement avant l’été. Selon le chef de l’État, il s’agit d’une « loi de fraternité qui concilie l’autonomie de l’individu et la solidarité de la nation » encadrée par des conditions strictes.
La présidente du Syndicat de la Famille (ex-Manif pour Tous), Ludovine de La Rochère voit en ce projet de loi une manière déguisée de parler d’euthanasie et du suicide assisté, et pense que la bonne réponse à apporter aux personnes qui souffrent est celle du développement des soins palliatifs. Interrogée également sur l’inscription de l’IVG dans la Constitution, elle dénonce une « véritable décivilisation » de la société.
Epoch Times – Comment accueillez-vous le texte sur la fin de vie annoncé par le chef de l’État ?
Ludovine de La Rochère – Nous accueillons ce texte avec affliction et consternation, parce qu’il s’agit en réalité de l’euthanasie et du suicide assisté. Emmanuel Macron ose qualifier ce geste glaçant de supprimer la vie d’une personne de geste de fraternité et de solidarité. Accepter l’idée d’aider à se suicider ou d’être suicidé va évidemment à l’inverse des valeurs de fraternité et de solidarité qui sont dues à toute personne, quel que soit son état.
Il y a bien entendu des personnes qui vivent des moments de désespoir et dans ce cas, nous devons être encore plus présents pour eux et répondre à leurs besoins. Mais leur dire que l’on va les aider en abrégeant leur vie, revient à les abandonner complètement. C’est d’une radicalité inouïe. Faire mourir quelqu’un est définitif et vertigineux. Et dans le fond, chacun le sait très bien puisque Emmanuel Macron lui-même se croit obligé de nier cette terrible réalité.
Vous dites que c’est un projet de loi d’euthanasie ou de suicide assisté. Pourtant, Emmanuel Macron récuse ces termes…
Emmanuel Macron utilise un tour de passe-passe lexical et est en réalité dans la manipulation et l’hypocrisie. C’est une inversion des valeurs. Il dit que «le terme d’euthanasie désigne le fait de mettre fin aux jours de quelqu’un avec ou sans son consentement», et en même temps, il propose que l’on puisse mettre fin aux jours d’une personne avec son consentement, ce qui correspond à la définition de l’euthanasie qu’il donne. En outre, la pression pernicieuse qui résultera de cette loi pour des personnes très dépendantes pourra, de facto, élargir à des cas où il n’y pas réellement de consentement.
Il déclare ensuite qu’un suicide assisté correspond au choix libre et inconditionnel d’une personne de disposer de sa vie, et c’est précisément ce qui est annoncé dans ce projet de loi. Certes, avec des conditions, mais comme toujours en matière sociétale, une fois le principe admis, les conditions seront élargies étape par étape.
Ici, on parle d’une prétendue liberté de choisir sa mort et des associations comme l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD) ne supporteront pas que cette liberté soit restreinte. L’ADMD a d’ailleurs dit elle-même que ce projet de loi n’est qu’une première étape.
Craignez-vous que ce projet de loi conduise à certaines dérives et que les conditions strictes annoncées par le président de la République soient modifiées dans quelques années en cas d’adoption du texte ? En Belgique, l’euthanasie a été légalisée en 2002 et étendue aux mineurs en 2014.
Tout basculement éthique conduit par essence et par nature à un élargissement puisque dès qu’on présente un mal comme un bien, on a déjà ouvert la boîte de Pandore. Ensuite, on entre dans une sorte de relativisme et on ne peut qu’aller plus loin. C’est ce qu’il s’est passé au Canada, aux Pays-Bas, en Belgique et dans les États des États-Unis qui ont légalisé le suicide assisté ou l’euthanasie.
Pour ma part, je crois que la réponse aux souffrances réside dans les soins palliatifs. Aujourd’hui, nous avons la chance immense en France d’avoir la capacité de développer les soins palliatifs pour que tout le monde y ait accès.
Bien entendu, il y a des cas de souffrance réfractaire et la loi autorise déjà la sédation, non pas dans l’intention de donner la mort, mais dans l’intention de soulager la souffrance réfractaire. Le texte annoncé par Emmanuel Macron prétend résoudre des cas de souffrances particuliers, alors que nous sommes en plein dans la fuite en avant et philosophiquement dans la manifestation d’un individualisme exacerbé qui prétend donner au patient la liberté de choisir sa mort. En réalité, le projet du président de la République correspond exactement au projet de l’ADMD et des militants de l’euthanasie, tout ceci est absolument mortifère.
Le lundi 4 mars, le droit à l’avortement était inscrit dans la Constitution après un vote favorable du Congrès. La France est ainsi devenue le premier pays au monde à faire entrer l’accès à l’IVG dans la Constitution. Quelle est votre réaction ?
Je suis profondément triste et inquiète. On vit dans un pays qui prétend désormais que le droit à l’IVG est une valeur suprême. L’espèce de joie factice, l’illumination de la Tour Eiffel face à un acte qui est toujours un drame comme le disait Simone Veil constitue une véritable décivilisation.
En effet, nos dirigeants et notre droit ne sont plus en mesure de reconnaître et de mettre en valeur ce qui est fondamental à toute société, à toute civilisation, à savoir le droit du plus faible, le respect de la vie, la protection qui est due à tous ceux qui sont vulnérables et qui dépendent de l’autre, que ce soit le bébé ou la personne malade, âgée ou handicapée. La civilisation, c’est le contraire de la loi du plus fort, qui implique de structurer et organiser la société de manière à ce qu’elle soit solidaire envers les plus fragiles et capable d’assurer non pas leur survie, mais leur vie. Autrement, on est à l’état sauvage.
Je pense profondément qu’inverser les valeurs conduit à des errements et à des violences non-dites et cachées. C’est une violence vécue de manière très intime et une violence qui est niée. En France sur la question de l’IVG et de ses conséquences psychologiques, contrairement aux autres pays occidentaux, il n’existe aucune étude scientifique parce que c’est un tabou.
Quelques personnalités politiques de droite affirmaient que l’accès à l’IVG n’était pas menacé. Vous le pensez également ?
Il n’y avait absolument aucune menace. La preuve étant le vote du Congrès avec 780 voix favorables à l’inscription du droit à l’avortement dans la Constitution.
Et on sentait très bien, le lundi 4 mars au soir, que toute une génération de féministes croyaient revivre leur combat des années 1970. Emmanuel Macron a voulu relancer ce pseudo-combat qui n’a plus cours aujourd’hui. Encore une fois, l’IVG est devenue un sujet tabou et les politiciens opposés à cette constitutionnalisation, qu’ils soient ou non favorables à l’IVG, ont été rares à oser l’exprimer par leur vote.
Je crois que nous allons complètement à l’encontre de ce qu’avait expliqué Simone Veil en son temps. Le chef de l’État a voulu à peu de frais chercher la lumière et la gloriole.
Il est souvent affirmé en ce moment sur les plateaux de télévision qu’Emmanuel Macron se réfugie dans les sujets sociétaux par absence de grands projets politiques. Êtes-vous d’accord avec cette analyse ?
Emmanuel Macron n’a pas de vision politique puisqu’il est dans le « et en même temps ». Bien sûr, tout cela dans une certaine rhétorique profondément progressiste et en fait proche du discours de la France insoumise.
Il défend des minorités qui seraient constituées de personnes qui, par définition et par essence, seraient victimes. Par exemple les femmes, les minorités ethniques ou les LGBT. Il est profondément woke et quand il s’agit de changer une loi dans un sens progressiste et quand il y a une contestation très importante comme celle du monde médical sur l’euthanasie et le suicide assisté actuellement, Emmanuel Macron n’en a cure.
En revanche, s’attaquer aux problèmes qui sont liés aux errements de nos dirigeants depuis des dizaines d’années et qui nécessitent un travail très courageux et la prise en compte du réel, Emmanuel Macron n’y est pas du tout. À la fin, il ne se focalise que sur les sujets internationaux et sociétaux pour détourner des vrais problèmes de la France.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?
Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.