Au début de l’année, le ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique avait manifesté son désir de mettre en œuvre un choc de simplification normatif pour la construction d’usines, ce qui était, notamment, un appel du pied aux investisseurs étrangers.
Pourtant, hormis un éventuel verdissement du crédit impôt recherche (CIR), aucune réduction d’envergure et généralisée du coût du travail ne semble envisagée alors même que celui-ci matraque prioritairement des industries manufacturières en recherche désespérée d’une reconstitution de leurs marges.
Un coût du travail parmi les plus élevés d’Europe et concentré sur l’industrie manufacturière
Selon les chiffres de la dernière enquête Labour costs survey (LCS) réalisée par l’ensemble des instituts statistiques européens, l’Hexagone se situe toujours en tête des grands pays européens d’Europe de l’Ouest avec un coût horaire de la main d’ouvre de 39,2 €, un chiffre à mettre en relation avec ceux de l’Allemagne (38 €), l’Italie (29,5 €) et l’Espagne (23€).
Si l’on affine l’observation, il est surtout possible de constater que 28,2% du coût de la main d’œuvre sont consacrés au financement de la protection sociale par les employeurs contre seulement 21,9% en Allemagne, qui dispose d’une assiette fiscale comparable à la nôtre. Par conséquent, la part des coûts du travail alloués aux salaires est plus faible dans notre pays (67,9%) qu’Outre-Rhin (76,54%), où la liberté de disposer de sa rémunération à sa guise est donc plus importante. En bref, un employé français coûte plus cher et dispose néanmoins d’un revenu disponible plus faible !
Ce coût du travail peut varier du simple au double selon les secteurs d’activité. Dans l’hébergement et la restauration, il atteint 23,8 € de l’heure alors qu’à l’autre bout de l’échelle, dans les activités financières et d’assurances, il monte à 60,3 €. On comprend que le besoin de compétences pointues entraîne des salaires horaires plus élevés dans la seconde branche (39,7 €) que dans la première (18,2 €), mais l’on s’interroge sur cette propension du législateur à concentrer les exonérations de charges sociales sur des secteurs abrités de l’économie et dont la production de valeur ajoutée est plus faible.
Pour reprendre le même exemple, les cotisations sociales horaires de l’hébergement et de la restauration sont ainsi trois fois moindres que dans le secteur des activités financières et d’assurances (5 € contre 15,7 €).
L’industrie manufacturière, soumise pour sa part à une rude concurrence internationale, n’est pas mieux lotie : le coût total de l’heure travaillée s’y monte à 41,3 €. Pire, malgré les hourvaris de la scène politique pointant du doigt l’absence d’un Mittelstand français, ce chiffre croît jusqu’à 51,8 € pour les entreprises industrielles employant plus de 1000 salariés.
Deux décennies de réductions de cotisation sociales sur les bas salaires ont accentué le ralentissement général des gains de productivité et échoué à redynamiser nos exportations
La stabilisation de l’augmentation des charges sociales en France s’est essentiellement faite par des exonérations sur les bas salaires et non par leur baisse généralisée. Cette stratégie d’enrichissement de la croissance en emplois a cependant contribué à l’embauche des travailleurs les moins qualifiés et à des créations d’emplois dans les secteurs des services les moins sensibles au progrès technique et donc les moins susceptibles d’alimenter la hausse généralisée de la productivité.
Entre les périodes 1976-1982 et 2004-2018, la France est le pays où le taux de croissance annuelle de la productivité par tête chute le plus durement (3,1%), pire, selon la DARES, au troisième trimestre 2022, la productivité par tête du travailleur français est inférieure de 6,4% à ce qu’elle aurait dû être en l’absence de cassure de la tendance haussière (un chiffre ramené à 5,1% si l’on y soustrait le poids du facteur du développement massif de l’alternance).
Le fait que notre pays demeure parmi les plus productifs du monde ne veut pas dire qu’il soit à l’abri d’un essoufflement de son modèle de travail qui, au vu de sa démographie, lui impose de demeurer extrêmement performant en la matière.
S’il va de soi que la politique fiscale de l’Exécutif n’a pas provoqué mais accentué cette situation délétère, par ailleurs multifactorielle, il est également important de souligner que cette stratégie a échoué à obtenir un impact positif sur nos exportations. Selon l’Institut des politiques publiques, les allégements Juppé de 1995, le Pacte de responsabilité et le CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) n’ont que peu bénéficié à l’industrie manufacturière et, par conséquent, n’ont pas influé sur la propension à exporter de notre pays.
En somme, la politique fiscale du travail contribue à déséquilibrer l’économie et la balance commerciale au profit d’un objectif court-termiste de créations d’emplois. À présent que des tensions s’observent sur le marché du travail, il est nécessaire de réaffecter l’ensemble des exonérations sur tous les postes des chaînes de valeur. Cette réaffectation pourrait être amplifiée pour prendre la forme d’un choc de compétitivité centrée sur l’industrie ramenant, à minima, les charges sociales payées par le secteur au niveau moyen. Il serait également bon d’arrêter de privilégier systématiquement les TPE dans la distribution d’aides publiques et de mettre ainsi des pans entiers de l’économie sous perfusion permanente. Enfin, et c’est sans doute la véritable et unique porte de sortie vers une économie plus productive et donc des salaires plus élevés, il faut ouvrir à la concurrence secteur social (santé, retraite, chômage). Ce qui ne saurait se faire sans de véritables réformes.
Article écrit par Romain Delisle. Publié avec l’aimable autorisation de l’IREF.
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