C’est, sans conteste, l’une des plus grandes réussites de la médecine moderne. La greffe d’organes a, en effet, sauvé des millions de vies. Cependant, l’offre limitée de donneurs associée à une demande massive de greffes a créé une pénurie (5273 transplantations ont ainsi été réalisées en France en 2021, alors que près de 20 000 patients sont en liste d’attente d’un rein, d’un cœur, etc. ndlr).
Ce manque a alimenté une industrie mondiale du trafic d’organes, qui exploite en premier lieu les membres les plus pauvres, défavorisés voire persécutés de la société, parfois considérés comme de simples « sources » à la disposition de ceux qui sont capables de s’offrir leurs organes.
Bien que cette pratique existe dans de nombreux pays, la situation en Chine est particulièrement préoccupante. Ce pays est le seul au monde à organiser le trafic d’organes à une échelle industrielle, en prélevant des organes sur des prisonniers d’opinion exécutés. Cette pratique est connue sous le nom de prélèvement forcé d’organes.
Un trafic aussi odieux que rentable
Considérons un instant l’hypothétique scénario suivant : au Canada, un patient atteint d’une maladie cardiaque en phase terminale a besoin d’une greffe de cœur pour survivre.
Ses médecins l’informent qu’il doit s’inscrire sur une liste d’attente jusqu’à ce qu’un donneur compatible décède dans des conditions appropriées… ce qui peut se produire des semaines, des mois, voire des années plus tard. Mais, en se renseignant un peu, le patient découvre un programme de greffe en Chine qui peut lui garantir une greffe cardiaque à partir d’un donneur compatible quelques semaines à l’avance.
Cela soulève plusieurs questions importantes.
Une transplantation cardiaque ne peut provenir que de donneurs décédés. Alors, comment un hôpital peut-il mettre en relation ce patient avec un donneur potentiel « décédé » des semaines à l’avance ? Comment l’hôpital a-t-il trouvé ce donneur ? Comment les responsables de l’hôpital savent-ils quand ce donneur va mourir ? Ce dernier a-t-il consenti à ce que ses organes soient prélevés ?
Les réponses à ces questions sont terribles. La Chine utilise en fait des prisonniers d’opinion incarcérés comme réservoir d’organes, afin de fournir des greffes compatibles à la demande. Ces prisonniers, que l’on peut difficilement qualifier de « donneurs », sont exécutés et leurs organes sont prélevés contre leur gré, puis utilisés dans une industrie de greffes prolifique et particulièrement rentable.
En tant que néphrologues (spécialistes des reins) spécialisés dans les greffes et professionnels de la santé, notre objectif est de sensibiliser nos collègues, les institutions, les patients et le public au trafic d’organes, en particulier au prélèvement forcé d’organes. Nous sommes engagés dans des organisations telles que Doctors Against Forced Organ Harvesting et International Coalition to End Transplant Abuse in China, qui ont réalisé un travail considérable dans ce domaine depuis plus de dix ans.
La Chine possède actuellement le deuxième plus grand programme de greffes au monde. Ces dernières ont augmenté rapidement au début des années 2000, sans qu’il y ait une augmentation correspondante des donneurs d’organes volontaires, ce qui a suscité des questions sur l’origine des organes.
Or, pendant cette période de croissance rapide des greffes, les pratiquants de la discipline bouddhiste du Qi gong, connue sous le nom de Falun Gong, étaient détenus, persécutés et tués en grand nombre par le gouvernement chinois. De même, la Chine a entamé en 2017 une campagne de détention massive, surveillance, stérilisation et travail forcé contre l’ethnie ouïghoure du Xinjiang.
Enquêtes sur les droits de l’homme
Les préoccupations concernant les prélèvements d’organes forcés ont commencé à émerger en 2006-2007, grâce au travail de deux avocats internationaux spécialisés dans les droits de l’homme, David Kilgour et David Matas, nommés pour le prix Nobel de la paix pour leur travail. Le Tribunal de Chine, dirigé par Sir Geoffrey Nice, a été formé en 2019 pour enquêter de manière indépendante sur les allégations de prélèvements d’organes forcés.
Le Tribunal a examiné de multiples types de preuves, notamment les nombres de transplantations, les tests médicaux réalisés sur des prisonniers détenus, les appels téléphoniques enregistrés vers les hôpitaux de transplantation ainsi que les témoignages de chirurgiens et de prisonniers. La conclusion finale, publiée en mars 2020, « a confirmé au-delà de tout doute raisonnable » que la Chine utilisait des prisonniers d’opinion exécutés comme source d’organes pour la greffe depuis de nombreuses années.
Bien que les responsables chinois des greffes aient affirmé qu’une réforme significative de la transplantation avait eu lieu depuis 2015, des preuves récentes suggèrent que la pratique barbare du prélèvement forcé d’organes s’est poursuivie. L’American Journal of Transplantation, la principale revue mondiale sur les procédures de transplantations, a publié en avril un article qui a révélé que la mort cérébrale n’avait pas été déclarée dans de nombreux cas de prélèvements d’organes en Chine, et que le prélèvement des organes vitaux du donneur était la cause réelle du décès. En d’autres termes, ces prisonniers étaient exécutés par prélèvement de leurs organes à des fins de transplantation.
La Société internationale de transplantation cardiaque et pulmonaire a publié en juin une déclaration de politique générale excluant les demandes « liées à la transplantation et impliquant des organes ou des tissus provenant de donneurs humains en République populaire de Chine ».
Sensibilisation
Le recours à des pratiques médicales non éthiques à l’encontre de groupes marginalisés n’est, malheureusement, pas nouveau.
Les nazis ont mené des expériences terribles sur des victimes juives et autres « indésirables » dans les camps de concentration. Les psychiatres soviétiques ont créé le concept de schizophrénie à évolution lente pour désigner les dissidents politiques, les privant ainsi de leurs droits civiques, de leur emploi et de leur crédibilité. Des chercheurs américains ont, eux, étudié les effets de la syphilis non traitée chez les Afro-Américains dans le cadre de l’étude Tuskegee.
Depuis des décennies, la Chine exécute des prisonniers et n’a pas hésité à de nombreuses reprises à utiliser leurs organes pour des greffes. Les chirurgiens transplanteurs, les professionnels de la santé et la communauté mondiale doivent sensibiliser et faire pression sur les gouvernements, les institutions et les hôpitaux pour qu’ils agissent.
Il est essentiel de faire preuve de diligence et d’éviter les collaborations quand la transparence concernant la source des organes ne peut être faite. Nous devons protester contre l’incarcération et l’oppression injustes et inhumaines des Ouïghours et des groupes marginalisés dans le monde entier.
Nous devons encourager l’enregistrement des donneurs d’organes et soutenir les initiatives qui augmentent les dons afin de réduire la demande de trafic d’organes illégal.
Auteurs
Ali Iqbal est néphrologue transplantologue, professeur adjoint de médecine à l’université McMaster, à Hamilton, Ontario, Canada.
Aliya Khan est professeure clinicienne de médecine à l’université McMaster et directrice de la clinique des troubles calciques à l’université McMaster, à Hamilton, Ontario, Canada.
Susie Hughes, directrice exécutive de l’association End Transplant Abuse in China, est co-autrice de cet article.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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