Le 1er décembre est apparue une annonce a priori sans conséquences sur le site web du ministère chinois de l’Éducation. L’annonce faisait part du renvoi de Wang Cizhao, directeur du Conservatoire central de musique de Pékin.
En octobre déjà, une plainte du ministère avait été relayée sur un réseau social, comme quoi Wang avait organisé avec l’aide de ses collègues un mariage « extravagant » pour sa fille. Le communiqué poursuit en qualifiant la carrière du directeur de fulgurante tout en précisant qu’il en aurait abusé.
Pour les non-initiés, le cas de Wang peut paraître comme l’un des nombreux cas de hauts-fonctionnaires corrompus qui se montent à des dizaines de milliers de cas, d’après les investigations de ces dernières années.
Mais pour les connaisseurs, la symphonie orchestrée par les politiques du Parti repose sur la mélodie que joue Wang à travers ses activités, qui impliquent un ancien membre du Bureau politique et chef du Bureau 6-10, Li Lanqing.
Le Bureau 6-10 est l’organe du Parti communiste chinois que les militants des droits de l’homme qualifient de « gestapo chinoise ». Cette entité a été mise en place à la demande du régime, spécialement pour exécuter la politique de suppression du Falun gong. Ses activités consistent par exemple à faire signer sous la contrainte des lettres de renoncement à la pratique du Falun gong, ainsi que des lettres plaidant allégeance au Parti.
Aujourd’hui retraité, Li Lanqing était un membre du Comité permanent du Bureau politique qui dirige le Parti communiste. Il a été le vice-Premier ministre de Chine entre 1998 et 2003. Il a également occupé la direction du ministère de l’Éducation, terminant sa carrière à la tête des forces de police et de l’unité politique en charge de les superviser.
Après avoir noué une relation d’amitié dans les années 1980, Wang a offert à Li de surqualifier ses compétences musicales à la fin des années 1990.
Apparemment simple amateur de musique, les bonnes relations du poids-lourd de la politique avec l’académie de musique expliqueraient les qualifications musicales douteuses que Li aurait attribué à Wang lors de sa titularisation au Conservatoire central, en 1998.
Un soi-disant spécialiste, sans qualification
Li a commencé à nouer des liens avec le conservatoire au milieu des années 1990, soit quelques années avant la nomination de Wang à la direction.
En 1995, en dépit de ne posséder aucune formation officielle sur le sujet, Li s’est pourtant lancé dans une conférence donnée au conservatoire sur « Les fonctions sociales de la musique ».
En 1999, Li a demandé personnellement à Wang de transcrire les paroles du « Solitaire en automne », composé au 20e siècle par l’autrichien Gustav Mahler, sur un poème de Qian Qi.
D’après le ministère de l’Éducation, à la publication de l’ouvrage Essais sur la musique par Li Lanqing, Wang s’est empressé d’en faire les louanges. De son point de vue professionnel, le travail de Li possédait « un profond contenu académique » que Wang n’avait encore jamais décelé chez son ami.
En novembre 2002, après s’être retiré du Comité permanent du Bureau politique, il a été engagé comme conférencier hôte au conservatoire de musique.
Les différentes entités du gouvernement chinois listent neuf évènements – concerts, expositions de calligraphie, conférence avec Li comme invité d’honneur – dans lesquels Li Lanqing apparaissait au côté de Wang Cizhao, depuis 2008 jusqu’à présent. En 2009, Li avait publié un autre livre, intitulé Éclatement – premières années d’ouverture, qui encore une fois a été adulé de manière exagérée par Wang.
Se donner un « air cultivé »
Chen Kuide, éditeur en chef du site China in Perspective, a déclaré que les hauts-fonctionnaires du Parti communiste comme Li Lanqing cultivaient des relations avec les sphères artistiques comme un moyen de redorer leur prestige et laisser derrière eux leur contribution à la culture.
« Ils veulent conserver leur statut dans la société, même après avoir pris leur retraite », déclare Chen dans un entretien téléphonique.
Chen ajoute que les fonctionnaires chinois ressentent le besoin de « donner une représentation d’eux-même dans le style des politiciens convenables modernes ». Cela signifie qu’ils doivent montrer « à quel point (ils sont) traditionnels et cultivés ».
La coutume chinoise est de considérer les hommes bien élevés et cultivés comme des potentiels hommes d’État qui seraient justes, s’ils suivent l’enseignement de Confucius sur la vertu. Alors que les maoïstes trouvaient que le règne suprême des premières années de la Chine communiste perdrait en crédibilité parmi de larges couches de la société, y compris dans la sphère des autorités, les politiciens en viendraient à se raccrocher à ces moyens pour relancer leur popularité.
« En améliorant leur réputation », analyse Chen, les représentants du régime « obtiennent une sorte de gloire pour le restant de leur existence ».
Probablement dans le but de se rendre légitime, les régimes communistes dont font partie la Chine ont souvent eu recours à des fanfaronnades suspectes autour des qualifications et de l’érudition de leur dirigeant, même lorsque ces éloges n’étaient méritées.
L’actrice des années 60 et 70, Jiang Qing, qui fut plus tard la quatrième femme du dirigeant de la Chine communiste, Mao Zedong, a exercé une grande influence sur les arts et particulièrement la danse. Elle a été largement encensée par la presse comme un génie de l’art pour ses pièces et opéras révolutionnaires tels que « Le détachement féminin rouge ».
Pendant la Guerre froide, la presse d’État contrôlée par le dictateur roumain Nicolae Ceausescu publiait régulièrement des éloges de sa femme Elena pour son excellence dans la recherche de la chimie, une discipline dans laquelle elle n’avait pourtant suivi aucune formation officielle. Grâce à l’influence de son mari, elle a pu recevoir de nombreux titres honoraires de la part de la communauté scientifique roumaine de l’époque.
Une gestapo chinoise
L’attrait de Li Lanqing pour la musique et la brutalité de ses préoccupations professionnelles – tortures et lavages de cerveau – semble être entrés en collision.
En tant que premier directeur de l’infame Bureau 6-10, Li a été l’une des personnes clés à avoir mis au point la tentative de suppression et de conversion idéologique de dizaines de millions de pratiquants pacifiques de la méditation du Falun gong. Le Bureau 6-10 tire son nom de la date de sa création, le 10 juin 1999 ; il a été spécifiquement créé pour traiter le cas du Falun gong en vue de l’éradiquer. Le Parti, qui s’était donné quelques mois pour en finir avec le Falun gong, avait établi le Bureau 6-10 à la hâte et dans une visée temporaire. Cette agence du PCC n’a donc pas fait l’objet d’une institutionnalisation au regard de la loi.
Li était un pilier de cette agence, prêtant main forte pour mettre à exécution les ordres du dirigeant de l’époque Jiang Zemin. Ce dernier avait déclaré que le Falun gong et sa rapide popularité défiaient l’idéologie marxiste du Parti. Dans le but d’éliminer la pratique du Falun gong, Jiang a mobilisé toutes les forces de sécurité à l’échelle nationale.
« Li porte la responsabilité de la politique et de son exécution depuis son établissement », mentionne l’organisation non-gouvernementale Human Rights Law Foundation qui a légalisé les plaintes contre Li à travers plusieurs pays.
« Il doit être pour cela considéré comme celui qui a perpétré les actes quotidiens de tortures, massacres, rapts, viols, pressions psychologiques et menaces qui ont été exécutés par les services de police sous son autorité directe », poursuit HRLF.
En 2001, dans un meeting du Parti rassemblant plus de 1000 hauts-fonctionnaires venus de toute la Chine, Li Lanqing a appelé « les dirigeants du Parti et du gouvernement, les cadres à tous les échelons, mais aussi les masses à (…) faire du bon travail dans la lutte contre le Falun gong. »
Le terme de « lutte » en chinois est étroitement lié au maoïsme et à ses tactiques dans les années 1950, durant la Révolution culturelle. Cela se réfère à tout type de persécution menée par le régime.
Des investigateurs motivés par la défense des droits de l’homme estiment que depuis le début de la persécution lancée par les autorités chinoises à l’égard du Falun gong, le 20 juillet 1999, des centaines de milliers, voire des millions, de personnes ont été incarcérées.
Plusieurs milliers de personnes pratiquant le Falun gong ont été officiellement reconnues mortes, en conséquence de ce qu’ils ont subi comme violations de la part des agents de police, que ce soit dans les centres de détention, les camps de travaux forcés ou les centres de lavage de cerveau. Mais ce sont en fait des dizaines de milliers de personnes qui auraient été tuées dans les hôpitaux chinois, pour le vol de leurs organes.
Quelle que soit les intentions de Li dans son implication au Conservatoire central de musique et sa relation avec Wang Cizhao, cette récente purge ne sonne pas comme une bonne nouvelle pour l’ancien membre du Bureau politique.
L’actuel dirigeant chinois, Xi Jinping, mène une campagne anti-corruption qui passe au peigne fin l’élite dirigeante chinoise.
« Le fait que Wang Cizhao et Li Lanqing entretiennent des liens si étroits », rappelle Chen Kuide, signifie que le renvoi de Wang peut annoncer Li comme le prochain sur la liste.
Version anglaise : Fired Chinese Music Professor Helped Boost Image of Torturer
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