Quand l’État veut faire payer l’entrée des églises

Par Ludovic Genin
28 octobre 2024 05:41 Mis à jour: 28 octobre 2024 09:40

En suggérant de faire payer l’entrée de Notre-Dame aux touristes, la ministre de la Culture a relancé le débat sur la séparation entre le spirituel et le temporel. La loi de 1905 de séparation de l’Église et de l’État en France interdit toute « taxe » ou « redevance » sur l’entrée des édifices religieux.

Le Diocèse a répondu en rappelant « le principe de gratuité du droit d’entrée dans les églises et les cathédrales », en soulignant que la « mission » de l’Église catholique est d’ « accueillir de façon inconditionnelle tout homme et toute femme ».

L’argument principal du gouvernement : avec une entrée à 5 euros par visiteur, 75 millions d’euros par an seraient récoltés pour la restauration des églises françaises.

D’autres proposent des taxes sur les jeux en ligne ou l’hébergement des touristes, qui pourraient rapporter 500 millions d’euros par an.

Le gouvernement veut faire payer l’entrée de Notre-Dame

À quelques semaines de la réouverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris, après l’incendie de 2019, l’idée de faire payer l’entrée aux touristes a été lancée par un gouvernement cherchant à s’immiscer dans le spirituel.
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Le chantier de reconstruction a été entièrement financé par des dons qui ont afflué dès le lendemain de l’incendie le 15 avril 2019, atteignant 846 millions d’euros, versés par quelque 340 000 donateurs de 150 pays.

La ministre de la Culture Rachida Dati a avancé cette proposition, alors que l’édifice est l’un des plus visités en Europe, avec 12 millions de touristes par an et que « 14 à 15 millions » sont attendus par le diocèse après la réouverture prévue le 7 décembre.

La ministre a précisé avoir « proposé à l’archevêque de Paris une idée simple : mettre en place un tarif symbolique pour toutes les visites touristiques de Notre-Dame et consacrer totalement cet argent à un grand plan de sauvegarde du patrimoine religieux ». Selon Mme Dati, « les visiteurs hors UE » devraient aussi payer « davantage leur billet d’entrée » dans les musées, afin de « financer la rénovation du patrimoine national ».

La fondation du patrimoine, qui collecte des fonds pour la restauration du patrimoine en péril, s’est félicitée de la proposition de Mme Dati, qui ouvre « un débat sur les modes de financement disponibles », en insistant pour que « toutes les ressources financières possibles, y compris innovantes, soient mobilisées pour venir au secours de ce patrimoine en péril », même si le cas de la France est spécifique en raison de la Loi de 1905.

Des édifices sont déjà payants 

Le ministre de l’Intérieur chargé des cultes, Bruno Retailleau, a soutenu l’idée, prenant l’exemple de l’Espagne où il a « visité la Sagrada Familia, (où) on paye ». Cette pratique est aussi courante en Italie, notamment à la basilique Saint-Marc de Venise, un lieu très touristique.

« Si ça doit, pour cinq euros, sauver un patrimoine religieux auquel on peut être attaché, que l’on croit au ciel ou qu’on n’y croit pas » car « tout simplement c’est le paysage français », a estimé le ministre de l’Intérieur.

Avant l’incendie, seules les tours de Notre-Dame et la crypte archéologique étaient payantes au même titre que la nécropole des rois de France à la Basilique Saint-Denis, selon le Centre des monuments nationaux.

Au printemps, l’exposition payante (3 euros) d’un chef d’œuvre de Raphaël à la basilique de Saint-Maximin-la-Sainte-Baume (Var) avait permis de recueillir des fonds « conséquents » destinés à la restauration de l’édifice, selon les initiateurs privés de la démarche dont le propriétaire du tableau.

La réaction du diocèse et des visiteurs

Après l’annonce de la ministre de la Culture, le diocèse a rappelé que « pèlerins et visiteurs n’ont jamais été distingués » et que Notre-Dame est gratuite pour tout homme et femme, « indépendamment de sa religion ou de sa croyance, de ses opinions et de ses moyens financiers. » Cette séparation entre pèlerins et visiteurs « les empêcherait de fait de faire l’expérience globale du monument et de son infinie beauté » et serait « par ailleurs extrêmement complexe à mettre en place sur le plan pratique. »

Pour le visiteur Marius Boulesteix, 32 ans, Français et paysagiste, « d’un côté, je pense que c’est bien pour payer l’entretien de ce monument qui coûte une fortune mais en même temps c’est un lieu de culte, un bien commun qui doit rester gratuit » ajoutant que « personnellement, ça ne me choquerait pas de payer parce que plein d’autres monuments comme la Sainte-Chapelle sont payants ».

Roger Gillmann, Allemand de 59 ans et enseignant, estime en tant que « chrétien » qu’on « ne doit pas payer pour aller dans une église », la question étant de savoir si on y vient pour son intérêt muséal ou pour le culte.

Alors, comment financer notre patrimoine ?

L’animateur Stéphane Bern qui s’est vu confier une mission pour la sauvegarde du patrimoine par Emmanuel Macron en 2017 et est à la tête du « Loto du patrimoine », qui permet chaque année de récolter des fonds à cette fin, avait déjà avancé l’idée d’une entrée payante dans les édifices religieux.

En France, 5000 édifices religieux – sur environ 50 000 lieux de culte recensés – sont dans un état qui fait craindre pour leur pérennité et nécessite une intervention urgente, avait rappelé Emmanuel Macron lors du lancement d’une souscription nationale en septembre 2023.

Cette souscription devrait permettre de « mobiliser 200 millions d’euros sur quatre ans » afin d’aider les petites communes à préserver leurs édifices religieux.

« On pourrait imaginer, certes, de changer cette loi. Mais, compte tenu du caractère délicat d’un texte qui régit les rapports entre le culte et l’État, cela semble peu probable », a réagi Didier Rykner, directeur du site spécialisé la Tribune de l’Art.

« D’autant que de manière constante l’Église, affectataire, s’est opposée à l’instauration d’une entrée payante », a-t-il ajouté. « Une église est un lieu qui doit rester ouvert à tous et les œuvres d’art doivent rester accessibles », continue M. Rykner. Il suggère de collecter l’argent autrement par « une taxe de 1,8 % sur toutes les mises de la Française des Jeux et une augmentation d’un euro par nuitée de la taxe de séjour », un bon moyen selon lui de dégager 500 millions d’euros par an.

Notre-Dame de Paris se prépare à accueillir ses visiteurs en décembre

Les visiteurs individuels pourront entrer à Notre-Dame de Paris dès le 8 décembre, gratuitement mais sur réservation, et les groupes de pèlerins devront attendre février, a indiqué la responsable de la gestion des publics de la cathédrale dans l’hebdomadaire du diocèse de Paris.

La première cérémonie d’inauguration de Notre-Dame est prévue le 7 décembre et la première messe sera célébrée le lendemain, une première depuis l’incendie du 15 avril 2019.

« Dès le 8 décembre, la cathédrale sera ouverte à tout visiteur individuel », rappelle Sybille Bellamy-Brown dans le journal hebdomadaire Paris Notre-Dame, en détaillant le dispositif d’accueil. L’entrée sera « bien entendu gratuite », sauf pour le Trésor exposant les objets sacrés de la cathédrale qui, « étant un musée à l’intérieur de la cathédrale, a un statut particulier ».

Il faudra toutefois réserver sur un site prochainement mis en ligne, « des réservations d’accès facilité, ouvertes jusqu’à deux jours avant, garantiront un créneau fixe d’entrée ».

Il y aura aussi en parallèle « la possibilité d’entrer sans réservation » car Notre-Dame, « comme tout lieu de culte catholique, est ouverte à tous », ajoute Mme Bellamy-Brown qui invite dans ce cas à « s’armer de patience » pour entrer dans la cathédrale qui attend jusqu’à 40 000 personnes par jour.

Quant aux fidèles souhaitant participer à des messes, ils pourront entrer « sans réservation, dans la limite des places disponibles ». Concrètement il y aura donc des files différentes selon les cas de figure – avec ou sans réservation, fidèle ou touriste…

Enfin, pour les visites et conférences à but culturel et patrimonial, « il faudra attendre la troisième phase, à partir de la Pentecôte 2025 » début juin. Les réservations ouvriront en mars, avec de nouveaux créneaux « ajoutés progressivement, trois mois à l’avance », assure la responsable.

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