La nécessité de la transition énergétique, qui passe par une décarbonation profonde du système énergétique français, n’est aujourd’hui remise en cause par aucun des candidats connus à la présidentielle. Mais les solutions envisagées pour la réaliser diffèrent significativement, en particulier sur deux points : l’intensité de l’action à mener sur la maîtrise de la demande d’énergie ; le choix du mix de production d’électricité.
Ces points sont essentiels pour l’avenir de l’énergie en France car les stratégies qu’ils permettent de structurer supposent des trajectoires de long terme extrêmement différentes. Or ces problématiques ont déjà été discutées en 2013 lors du Débat national sur la transition énergétique. On peut donc y revenir afin d’analyser les stratégies des prétendants à l’Élysée.
Quatre scénarios énergétiques possibles
Le Débat national sur la transition énergétique est mis en place fin 2012 suite aux annonces de François Hollande sur la transition écologique et à l’engagement du rééquilibrage du poids du nucléaire à 50 % en 2025. Il comprend un Conseil national d’une centaine de membres, répartis en groupes de travail. Le conseil est assisté par des experts, des représentants du monde de l’entreprise et des citoyens.
Le groupe de travail sur les scénarios identifie quatre familles de « trajectoires » possibles. Elles se répartissent selon que l’effort de réduction de la demande d’énergie est très important (moins 50 % en 2050) ou plus modéré (seulement moins 20 %) ; et selon que le mix énergétique, notamment dans le secteur électrique, est polarisé ou diversifié.
La première trajectoire, dénommée « sobriété », s’appuie sur une forte réduction de la demande (efficacité énergétique et changements de comportements) et un mix énergétique faisant pour l’essentiel appel aux énergies renouvelables. Ce scénario a aussi pour objectif la sortie du nucléaire. C’est le modèle actuellement visé par l’Allemagne.
La deuxième option, « efficacité », vise également une forte réduction de la demande, mais plutôt fondée sur l’utilisation généralisée des technologies de consommation les plus performantes. Ici, pas de sortie complète du nucléaire mais le recul se poursuit au-delà du 50 % en 2025, jusqu’à ce que cette énergie devienne minoritaire. En contrepartie, les énergies renouvelables représentent de l’ordre des trois-quarts de la production d’électricité en 2050.
Pour le scénario « diversité », la réduction des consommations d’énergie ne pourra être poussée aussi loin qu’une réduction de 50 %. Il faudra alors augmenter d’autant l’offre d’énergie décarbonée ; pour cela – même si les énergies éolienne et solaire ainsi que la biomasse énergie ont fait de réels progrès – le nucléaire conserve une contribution importante au bilan électrique, maintenue à 50 % après 2025.
Votée à l’été 2015, quelques mois avant la COP21, la Loi de transition énergétique pour la croissance verte empruntera beaucoup aux scénarios « efficacité » pour la réduction de la demande, et « diversité » pour l’offre décarbonée.
La quatrième et dernière option, « décarbonation » (par l’électricité) poursuit et renforce le modèle français actuel : pas d’effort supplémentaire d’efficacité énergétique ; redéveloppement du nucléaire pour assurer un approvisionnement électrique abondant et décarboné.
Quel scénario pour quel candidat ?
• Le Pen et Fillon : scénario « décarbonation »
Marine Le Pen comme François Fillon mettent en avant la défense du modèle actuel, qui pose le nucléaire comme colonne vertébrale du système énergétique français. Tous deux préconisent un maintien du parc et de la production aux niveaux actuels : 63 GWe de puissance installée et 400 TWh de production nucléaire annuelle en moyenne, soit 75 % du total.
Aucune mention n’est faite de la nécessité de réduire significativement la demande d’énergie comme le préconise la Loi de transition énergétique pour la croissance verte de 2015.
Mais des différences apparaissent dans les options secondaires de ces deux candidats. Marine Le Pen entend promouvoir les énergies nationales contre les énergies importées (surtout si elles viennent du Moyen-Orient), mais elle souligne le fait qu’elle ne soutiendra pas l’énergie éolienne, car celle-ci soulève en effet de fortes oppositions en France. L’hydrogène en revanche bénéficie d’un soutien appuyé.
Du côté de François Fillon, le programme se décline en quatre volets : renforcement du nucléaire, soutien aux énergies renouvelables ; décentralisation énergétique avec un rôle accru des régions ; réforme du marché européen des quotas d’émission pour les grosses industries et le secteur électrique, avec une proposition de prix-plancher du carbone proche de celle du gouvernement actuel.
• Mélenchon et Hamon : scénario « sobriété »
Jean-Luc Mélenchon prône à la fois une planification écologique, la nationalisation d’EDF et d’ENGIE, une électricité 100 % renouvelable et la sortie complète du nucléaire.
Cette dernière option n’a été adoptée par Benoît Hamon que très récemment et après l’accord passé avec Yannick Jadot (ex-candidat des Verts). L’engagement est de sortir en 25 ans complètement et définitivement du nucléaire. Rompant avec une longue tradition d’un Parti socialiste plutôt favorable à cette énergie, Benoît Hamon s’est donc aligné dans ce domaine sur les propositions des écologistes.
En parallèle, d’autres engagements sont pris pour une action forte en matière d’efficacité énergétique et pour la taxation du carbone. Pour les deux candidats les plus à gauche, les différences entre les deux programmes sur l’énergie sont donc maintenant devenues mineures.
• Macron : entre « efficacité » et « diversité »
Ni « décarbonation » (comme à droite), ni « sobriété » (comme à gauche), le candidat d’En Marche se situe bien ailleurs… mais finalement dans le droit fil de la Loi de transition énergétique.
Pour Emmanuel Macron, l’objectif reste de faire baisser la part du nucléaire vers 50 % à l’horizon 2025, de favoriser le développement des énergies renouvelables en doublant les capacités installées à 2022 et, en matière de demande, de mener un programme accéléré de réhabilitation ciblé sur les logements présentant les plus mauvaises performances énergétiques (les « passoires thermiques »).
En matière nucléaire, il souligne le fait que cette énergie constitue un réel atout pour la France. Mais il note aussi que toutes les décisions relatives au renouvellement des centrales, à leur démantèlement ou encore au lancement d’une nouvelle vague d’investissements, seront conditionnées par le résultat des prochaines « visites décennales » des réacteurs existants. Celles-ci doivent être entreprises par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) à partir de 2018. Pour Macron, la politique nucléaire est donc largement en suspens, mais l’objectif du 50 % en 2025 constitue bien une manière raisonnée de gérer ces incertitudes radicales.
Au-delà de la querelle nucléaire-renouvelables
Chaque stratégie identifiée est confrontée à des difficultés et des défis spécifiques.
Pour les scénarios de sortie du nucléaire, il s’agit d’abord de réussir une réduction drastique des consommations et celle-ci n’est pas acquise ; puis d’engager une transformation profonde du système électrique de façon à garantir la stabilité du réseau avec une part très importante d’énergies variables, éolien et solaire.
Pour les scénarios de maintien de la capacité nucléaire, il faudra d’abord mener à bien le « grand carénage » en respectant les exigences de l’ASN, mais aussi assurer un programme de financement reposant essentiellement sur les capacités d’EDF. Au-delà se posera la question de la maîtrise simultanée des coûts et de la sûreté du nouveau modèle d’EPR. Cette stratégie pourrait de plus porter un coup d’arrêt aux filières renouvelables, en contradiction avec les demandes fortes des collectivités locales et des acteurs dans les territoires.
Mais en se focalisant sur la querelle nucléaire-renouvelables, le débat régresse plutôt et plusieurs candidats semblent oublier que la transition n’est pas qu’une question de production d’électricité : réhabilitation du parc bâti, facture énergétique et précarité énergétique étaient au cœur des débats de 2013 ; depuis, la question des transports s’est aussi imposée avec ses problèmes de pollution locale, de politique industrielle ou d’impact croissant sur les budgets des ménages.
Alors que les initiatives se développent dans le secteur agricole, les déchets, l’industrie et les villes, cette transition au quotidien, porteuse d’emploi, d’innovation, de lien social, est trop absente du débat.
Il faudra un pilote dans l’avion
Finalement l’essentiel n’est peut-être pas là. Car quels que soient les choix structurels opérés, leur mise en œuvre soulève trois questions : celle des objectifs sectoriels stratégiques, celle des instruments à mobiliser pour qu’ils soient atteints, celle enfin des processus de gestion dynamique permettant de corriger le tir lorsque les résultats sont insuffisants.
Les dispositifs existants de la stratégie nationale bas carbone et de la programmation pluriannuelle de l’énergie constituent des outils utiles de ce point de vue. Ils sont comparables à ceux mis en œuvre par les grands pays voisins, notamment en Allemagne et au Royaume-Uni.
Mais le gouvernement actuel, qui les a inscrits dans la loi, ne s’en est pas réellement emparé pour impulser les changements annoncés : la transition énergétique souffre moins de ses objectifs que de son manque de pilotage. Elle pâtit également d’instruments de mise en œuvre parfois obsolètes.
Ces dispositifs de pilotage doivent être révisés en 2018 : on aimerait savoir comment chaque candidat entend les mobiliser pour aller au-delà des symboles et imprimer, le temps d’un mandat, les changements requis par les visions proposées durant la campagne.
Patrick Criqui, Directeur de recherche émérite au CNRS, Université Grenoble Alpes et Michel Colombier, Directeur scientifique, Iddri
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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