Québec – échappée dans le grand blanc

17 janvier 2016 08:46 Mis à jour: 23 septembre 2018 02:59

Les eaux douces de la rivière, plus légères, glissent littéralement sur les eaux salées, plus lourdes, qui envahissent le fjord au rythme des marées. Quand l’hiver frappe aux portes du Saguenay-Lac-Saint-Jean, le pays se blottit sous plusieurs mètres de neige duveteuse et les lacs se figent, envahis par les glaces. C’est alors que l’instinct de coureur des bois s’éveille chez le Québécois. Les froids les plus intenses n’arrêtent pas les motoneigistes qui s’élancent sur les sentiers blancs, ni les chiens de traîneau qui hurlent au bonheur de se dégourdir les pattes.

La poudreuse est tombée pratiquement toute la nuit et a noyé le paysage dans une blancheur laiteuse. Des nuages cotonneux ont envahi le ciel, coiffant l’horizon d’une auréole grisâtre, à peine irisée de bleu. L’hiver pèse sur la forêt, il s’insère jusqu’au cœur des épinettes dont les pieds sont ensevelis sous une épaisse couche de neige. Comprimées dans un carcan de glace, les rivières ont ralenti leur course et les lacs gelés étirent leur toile, uniformément blanche.

Le renard arctique est brun fauve en été mais en hiver son pelage très touffu change de couleur et il devient blanc pour mieux se confondre avec la nature environnante. (Charles Mahaux)
Le renard arctique est brun fauve en été mais en hiver son pelage très touffu change de couleur et il devient blanc pour mieux se confondre avec la nature environnante. (Charles Mahaux)

Une femme « musher »

Lorsque Valérie commence à charger les traîneaux, une longue plainte s’élève parmi la meute de chiens : quarante bêtes, immobilisées auprès de leurs niches, dressées sur leurs pattes, surveillant les allées et venues. Chacun y va de sa propre partition, des jappements aigus aux cris plus rauques, pour attirer les faveurs de leur maîtresse. Avec précision, Valérie distribue les rôles. Dans un attelage, chaque animal a sa place. Devant, les chiens de tête, plus dociles et capables d’initiatives face aux situations imprévues. Derrière, les plus costauds pour arracher la charge, et entre les deux, ceux qui libèrent un bon rythme de course.

Valérie est intarissable quand il s’agit de raconter sa passion pour sa meute et les nombreuses expéditions qu’elle a réalisées dans le Grand Nord. Il y a dix ans, elle a quitté sa France natale pour s’installer au Québec, dans le Saguenay, au pied des Monts Valin, là où l’hiver voit grand et est généreux, dans un décor de lacs et de forêts, lieu idéal pour des chiens de traîneau trop vite épuisés par le relief montagneux des Hautes-Alpes. Pour assurer sa pitance et celle de ses bêtes, elle a choisi un métier d’homme qu’elle assume avec un rare professionnalisme. Elle est musher, conducteur d’attelage. Ce terme est né du cri « marche, marche ! » que hurlaient les premiers trappeurs pour faire avancer leurs chiens. Avec le temps et la proximité de la langue anglaise, l’expression s’est déformée en « mush, mush » et a donné naissance au mot musher.

En hiver plus rien ne permet de distinguer vraiment les rives du lac depuis qu’il s’est paralysé dans une main de glace. (Charles Mahaux)
En hiver plus rien ne permet de distinguer vraiment les rives du lac depuis qu’il s’est paralysé dans une main de glace. (Charles Mahaux)

Pays d’hiver

C’est en hiver que la région prend toute sa dimension d’infinité. Le Saguenay-Lac-Saint-Jean est un coin de terre bien individualisé, un royaume bâti sur l’eau. De nombreuses rivières franchissent des forêts impénétrables et dévalent vers le lac Saint-Jean avant de se perdre dans les profondeurs insondables du fjord. Autrefois chaque cours d’eau était une route où glissaient des canots d’écorce chargés de fourrure. Réseau complexe de charroi et de portage qui permettait d’accéder à toutes les parcelles du territoire. Au carrefour des rivières, nichent quelques villages au nom pittoresques, lovés au creux des anses et des baies : Chicoutimi, Mistassini, Jonquière, St-Félicien, Sainte-Rose-du-Nord, … Comme à l’époque de Maria Chapdelaine, l’économie repose entièrement sur les industries forestières et sur l’agriculture.

Ici les hommes et les femmes ont le verbe haut et le geste généreux, on les appelle familièrement les « bleuets », du nom de la myrtille omniprésente dans le sol jeannois et saguénéen. On dit que ce surnom remonte à l’époque de Louis Hémon, quand il s’est installé ici, alors que les défricheurs du Lac-Saint-Jean venaient vendre la manne bleue aux citadins du Saguenay. Aujourd’hui, les Bleuets affichent fièrement, face à leurs compatriotes québécois, leur authenticité et un attachement viscéral à leur région.

Ma cabane au Canada version hivernale : maisons de rondins qui semblent bien accueillantes et chaleureuses quand le décor se pare de blanc pour plusieurs mois. (Charles Mahaux)
Ma cabane au Canada version hivernale : maisons de rondins qui semblent bien accueillantes et chaleureuses quand le décor se pare de blanc pour plusieurs mois. (Charles Mahaux)

L’hiver au quart de tour

Au Saguenay-Lac-Saint-Jean, neige et soleil s’associent pendant de longs mois et le pays s’ouvre alors comme un livre d’images dont on peut parcourir toutes les pages. Tout devient prétexte à inventer mille sports et jeux de neige. Les raquettes autrefois utilisées par les amérindiens pour se déplacer dans la neige, permettent de fouler l’épaisse couche de poudre immaculée. Mis à part le crissement soyeux des raquettes sur la surface, seul le sifflement du vent dans les épinettes rivalise avec le silence.

Le fameux scooter des neiges est une autre expérience. Chacun enfile moufles, bottes et une chaude combinaison pour partir au volant de sa motoneige et prendre toute la mesure d’un décor exceptionnel, inaccessible autrement. En file indienne, les ski-doo se faufilent entre les arbres. A vive allure, ils filent sur des sentiers balisés mais parfois, il faut baisser la tête pour se glisser sous des tunnels de branches alourdies par le poids de la neige fraîche. Quand la piste s’engage sur une côte abrupte, la chenille des machines mord dans la neige et soulève un nuage de poudreuse en s’élançant vers le sommet. De là-haut, le panorama de forêts profondes encadrant une multitude de petits lacs immaculés s’offre d’un seul tenant. Magie de l’hiver qui, jour après jour, dessine de nouveaux paysages.

Incroyable sensation de liberté lors d’une randonnée en traîneau à chiens avec en sus l’expérience de l’apprentissage du travail d’équipe avec une meute. (Charles Mahaux)
Incroyable sensation de liberté lors d’une randonnée en traîneau à chiens avec en sus l’expérience de l’apprentissage du travail d’équipe avec une meute. (Charles Mahaux)

Parfois dans la poudreuse se croisent des traces d’animaux qui se perdent dans les sous-bois. Effrayée par le vrombissement des montures de fer, une famille de cervidés surgit à la lisière de la forêt puis décampe à vive allure. La piste oblique vers le lac, la descente s’aborde en douceur avant de mettre les gaz pour filer sur sa surface gelée. Les skis des motoneiges grincent sur la croûte glacée, pailletée d’empreintes d’animaux : des lièvres, des élans, des renards, des loups, des lynx et même un ours, sans doute sorti de sa tanière après plusieurs mois d’hibernation.

De lacs en sous-bois, les ski-doo ont tracé quarante kilomètres de piste. Avec le jour qui décline, le froid s’intensifie et les ombres s’allongent. Le ciel nacré et transparent redesssine la dentelle noire des sapins. Soudain, au détour d’un sentier, une tache lumineuse déchire les pans de brume qui noient peu à peu l’horizon. L’appel du chalet en bois rond est irrésistible. Chacun accélère et c’est en éventail que les motoneiges glissent vers ce carré de lumière rayonnante. Rêve de bûches qui crépitent dans l’âtre, d’un verre d’alcool de caribou, doré et rugueux sur la langue, d’une soirée conviviale bercée par les accents rocailleux du pays.

  

Christiane Goor, journaliste. Charles Mahaux, photographe. Un couple, deux expressions complémentaires, ils fixent l’instant et le racontent. Leur passion, ils la mettent au service du voyage, de la rencontre avec l’autre.

 

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