Toni Erdmann est un film étonnant par sa justesse, sa durée (2h40), son rythme, le jeu exceptionnel des acteurs, la virtuosité de la caméra et les questions qu’il soulève.
Révélant l’essentiel et l’inutile, ce qui est vrai et ce qui est faux, la misère matérielle et spirituelle, le temps qui passe quand on passe à côté de la vie, Toni Erdmann est un long métrage tragi-comique grave et léger, qui nous empoigne pour nous faire rire là où ça fait mal et nous faire pleurer là où ça soulage. Un souffle de fraîcheur simple et original.
Le film de la jeune réalisatrice allemande Maren Ade, plutôt habituée aux festivals berlinois – son deuxième film Everyone Else a remporté le Grand prix du jury et son film Birgit Minichmayr un Ours d’argent pour la meilleure actrice – a été programmé au festival de Cannes dans la section Un certain regard et a immédiatement séduit la critique internationale.
Toni Erdmann est le nom du personnage que s’attribue un père en quête d’une fille perdue. Perdue au sens moral, car pour ce qui est de la voir, il voit Inès au moins de temps en temps. Mais il la trouve transformée, comme si elle avait perdu sa joie de vivre, comme si son cœur avait été desséché. Pourtant, sa fille est le symbole de la réussite du libéralisme, de la croissance, de la consommation.
À des milliers d’années-lumière de son père et pourtant…
Toni, de son vrai nom Winfried, a tout d’un enfant du baby boom. La liberté pour laquelle il a lutté a abouti à un néo-libéralisme transformant au passage sa fille en une arriviste sans scrupule.
Winfried donne des cours de chant à l’école. Il aime se déguiser et faire des farces. C’est sa façon de rester libre, de faire face à la vieillesse, à la solitude, à la laideur, mais aussi son moyen d’aborder les gens, de créer des liens, des amitiés, de laisser s’exprimer l’enfant qu’il a su préserver en lui. Sa fille, adulte et sérieuse, est consultante pour une société internationale à Bucarest. Elle parcourt le monde en triomphant, assenant des chiffres et broyant les vieux systèmes avec leurs salariés dans le but de « rentabiliser » les sociétés. Le weekend, elle sort faire la fête avec des amis qui ne sont pas vraiment des amis… Ambition et travail sont ses leitmotivs. L’ambition, d’ailleurs, c’est ce qu’elle reproche à son père de ne pas avoir.
« Qu’est-ce qu’on a fait pour qu’elle devienne comme ça ? », pense Winfried en regardant sa fille Inès.
« Tout ce que tu fais est parfait », lui dit-il pourtant à plusieurs reprises avec un certain désespoir.
À Vous avez dit parfaite ?
En effet, Inès est parfaite, sa coiffure est impeccable, chacun de ses cheveux blonds est lisse et bien attaché dans son chignon, son costume est impeccable, comme sa chemise d’ailleurs, mais les tâches font malheureusement partie de la vie réelle… Réelle comme les ouvriers pétroliers qu’elle va faire licencier au nom de la modernisation et du profit, vraie comme les Roumains qui habitent le bidonville en dessous de la fenêtre de son bureau. Une réalité qu’elle traduit en chiffres.
Contrairement à son père, elle étouffe soigneusement l’enfant qui l’habite, les sentiments, l’humour, le rire. Contrairement à lui, plus elle se cache dans ses tailleurs impersonnels, plus elle s’éloigne d’elle-même. Tout ce qu’Inès fait doit être rentable, calculé. Une marionnette poussée par une ambition qui ne la mène finalement nulle part si ce n’est au néant.
« Es-tu heureuse ? », lui demande son père. « Qu’est-ce que le bonheur ? », rétorque-t-elle.
Winfried débarque à Bucarest pour aider sa fille à trouver la réponse. Malgré les obstacles et les humiliations, il ne laisse pas tomber et finalement, alors qu’il est déguisé en costume de Kukeri – animal légendaire porte bonheur bulgare (voir l’affiche du film) – elle saute enfin dans ses bras comme une enfant dans les bras d’un ours en peluche géant. Il retrouve enfin sa fille perdue.
Les interprétations de l’Autrichien Peter Simonischek et de l’Allemande Sandra Hüller sont époustouflantes de vérité. Les prises de vue de la caméra, pourtant très construites, pourraient nous faire oublier la fable et nous faire croire à un documentaire.
Maren Ade, la réalisatrice, avoue être « exigeante » dans son travail. Rigoureuse et précise, elle ne laisse rien au hasard, tout est contrôlé. Elle dit avoir « passé énormément de temps sur le plateau à travailler chaque scène dans les moindres détails », ceci peut expliquer la véracité qui se dégage des scènes, même si cela ne l’a pas empêchée de « tout changer de fond en comble le jour du tournage ».
Toni Erdmann échappe à toute étiquette : film d’auteur, comédie burlesque, film social ou drame psychologique poignant ? Tout ça et rien de tout ça à la fois.
À voir.
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