ENTRETIEN – Pierre Godicheau a travaillé au ministère de l’Économie, à la direction générale de la Concurrence et de la Consommation (bureau des études économiques), à la direction du Trésor et de la politique économique (bureau des dépenses publiques) et à la direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services (chargé de mission auprès du sous-directeur de la prospective et des études économiques). Il est l’auteur de deux ouvrages Économie ou socialisme : il faut choisir (2014) et Pour un État juste et efficace (2017) aux éditions Godefroy de Bouillon. Il a également créé un mouvement à vocation politique, l’association libérale et sociale (ALS). Il répond aux questions d’Epoch Times sur les solutions annoncées par le gouvernement pour financer le réarmement.
Epoch Times : Pierre Godicheau, le ministre de l’Économie et des Finances, Éric Lombard, a annoncé la semaine dernière sur TF1 que la Banque publique d’investissement (Bpifrance) va lancer un produit d’épargne pour financer le réarmement. « Les Français pourront, par des tickets de 500 euros, placer leur argent sur du long terme », a-t-il déclaré. Ce fonds devrait rapporter 450 millions d’euros. Quelle est votre réaction ?
Pierre Godicheau : La France a diminué considérablement la taille de ses armées et leur équipement en armement depuis la chute du régime communiste en URSS en 1991, au nom des « dividendes de la paix ». Or, il y a plusieurs dictons que tout gouvernant devrait garder en mémoire, du genre « Si vis pacem, para bellum » ou « La nature a horreur du vide » ! La somme de 450 millions d’euros est dérisoire face aux besoins colossaux de notre armée et de notre industrie d’armement, si on veut leur redonner le volume nécessaire. Déjà, 5 milliards d’euros pour financer le réarmement, c’est très insuffisant !
Selon les AE (autorisations d’engagements) pour le PAN (Porte-avions nucléaire de nouvelle génération) et le SNLE (sous-marin nucléaire lanceur d’engins de nouvelle génération) prévues dans la loi de finances 2025, c’est 10 milliards d’euros pour chacun qui sont nécessaires !
Cinq milliards ne serait qu’une première tranche limitée de financement supplémentaire pour 2025 ! Quant au montant global du réarmement sur plusieurs années, il pourrait s’élever au moins à 100 milliards d’euros, ce qui serait cohérent avec le chiffre de 800 milliards annoncé par la Commission européenne pour les besoins européens de réarmement. Un emprunt de 450 millions d’euros (7 € par habitant) apparaît donc comme anecdotique !
Ce genre de produits peuvent-ils être intéressants pour les Français ? Ne présentent-ils pas un risque ?
Il y a le précédent de l’emprunt Giscard en 1973. Mais il était sur 15 ans et indexé sur l’or. Le franc s’étant fortement dévalué par rapport à l’or, il a coûté très cher à l’État, donc au contribuable, mais les souscripteurs n’ont pas été lésés.
Là, ce sont des « tickets » de 500 euros bloqués sur 5 ans. Il ne s’agit donc pas de « long terme », mais de « moyen terme ». Il n’y a pas le feu ! Les plans d’épargne logement sont bien bloqués sur 4 ans !
Pour le moment, le ministre tempère et affirme que la mise à contribution de l’épargne des Français se fera sur une « base volontaire ». Y a-t-il un risque qu’un jour l’épargne des Français soit saisie manu militari ?
Si on en restait à 450 millions d’euros, il n’y a pas de souci. Si on passait à 50 milliards, ce ne serait plus la même chanson ! J’en reviens à mon entretien du 6 novembre. Les principales causes du montant trop élevé des dépenses publiques et de l’endettement de la France sont l’immigration et la transition écologique, aussi inutiles, voire néfastes, l’une que l’autre.
En faisant une moyenne entre les estimations des différents spécialistes, on arrive à environ 60 milliards d’euros par an pour chaque poste.
On en arrive toujours au même problème : si les gouvernements ne font rien sur ces postes (on pourrait y ajouter la « fraude sociale »), on ne trouvera jamais l’argent nécessaire pour les prisons, la sécurité, les hôpitaux et maintenant la défense. Les politiques idéologues sont bourrés d’a priori et d’idées fausses qui peuvent conduire au pire.
Il y a déjà eu des « emprunts forcés », notamment en temps de guerre, comme en 1915, 1916, 1917 et 1918. Il fallait « mobiliser » l’épargne pour gagner la guerre.
Pour le moment, la guerre est dans l’Est de l’Ukraine, pas en Champagne ou dans la Somme !
Selon un sondage Odoxa, « 6 Français sur 10 refusent que leur épargne serve au financement de la Défense ». Comment interprétez-vous cette donnée ?
Depuis la chute du communisme en ex-URSS en 1991, on a fait croire aux Européens que le risque de conflits était définitivement écarté sur notre continent. Du coup, la France a formaté son industrie de défense et la taille de son armée en fonction des besoins de ses interventions sur les TOE (Théâtres d’opérations extérieurs).
Cela n’a rien à voir avec les besoins d’un conflit « de haute intensité » tels que ceux d’un conflit comme le conflit russo-ukrainien. La réponse des Français me paraît plus politique que budgétaire. Les Français ne veulent pas se voir embarqués dans un nouveau conflit sur le continent européen.
Les politiques ont failli dans la prévention du conflit. Les gouvernants européens ne sont porteurs d’aucun plan de paix crédible pour la solution du conflit. Les Français expriment leur réprobation pour les gouvernements actuels et précédents qui n’ont rien fait pour éviter le conflit, puis pour y mettre fin.
Quelque 5 milliards d’euros sont nécessaires pour financer le réarmement. Des fonds privés vont être mobilisés. Par quels autres biais le gouvernement pourrait-il trouver de l’argent pour financer ce réarmement ?
Ce gouvernement, qui hérite de l’imprévoyance en défense et de l’incurie en géopolitique des gouvernements précédents, se retrouve le dos au mur. Quelle que soit la tournure prise par les évènements, le lâchage de l’Europe par les États-Unis est un drame pour nous.
De la collaboration américano-européenne initiée fin 1941 à la suite de Pearl Harbour et de la déclaration de guerre de Hitler aux États-Unis, on revient à l’isolationnisme américain d’avant 1940, dont on voit où il a conduit.
Du côté uniquement français, tant que nous n’arrêterons pas l’immigration et la transition écologique, nous manquerons d’argent pour tout. Avec 48 % de prélèvements obligatoires (cf. mon entretien du 6 novembre), l’État sera obligé de tendre la sébile à tout moment pour tout. Le défaut d’anticipation depuis 30 ans se paie.
Si le gouvernement mène une politique de dépenses plus sage, il trouvera plus facilement des financements quelles qu’en soient les origines. S’il continue ses folles dépenses, il ne trouvera personne et se trouvera contraint d’aller prendre dans l’épargne des Français.
Ce problème est amplifié par le lâchage des États-Unis. L’intérêt commun de l’Europe et des États-Unis est de vivre en bons termes. L’intérêt commun implique que chacun fasse des concessions à l’autre.
Les fonds privés ne viendront que s’ils y trouvent un intérêt, mais la situation créée par Donald Trump avec l’instauration de la guerre commerciale et ses « négociations » hasardeuses sur le dossier ukrainien ne peut que générer une certaine « frilosité ».
Les fonds privés ont besoin de paix et de gouvernants pourvus de discernement pour susciter leur implication !
Pour contacter Pierre Godicheau : pierregodicheau@wanadoo.fr
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