« I bon kon sa ». C’est peut-être cette expression créole, signifiant « on va se contenter de çà » qui a poussé Sébastien Châtelard à rechercher l’excellence.
Ce Guadeloupéen de 36 ans évolue dans le monde de l’optique depuis 16 ans déjà et sa passion pour la lunette ne cesse de croître.
« Il y a quelque chose à faire… Il y a un besoin »
Après un BTS opticien-lunetier acquis en 2012, le jeune homme s’est très vite retrouvé responsable de magasin d’optique et a commencé à répondre aux attentes de ses clients : personnaliser leurs lunettes. Passionné de dessin depuis son plus jeune âge, celui qui voulait au départ, devenir architecte, a commencé à graver et personnaliser les lunettes de la clientèle.
« Si quelqu’un avait un tatouage et souhaitait le reproduire sur son verre, cela était possible », se remémore Sébastien. Les demandes se faisant toujours plus précises et exigeantes, le jeune homme a rapidement pris conscience de la nécessité de se professionnaliser dans la lunetterie. « Quand mon client venait me voir et me demandait ‘peut-on mélanger cette face avec ces branches ? », je lui disais simplement ‘non, ce n’est pas possible’. C’est suite à ses innombrables demandes que je me suis dit : ‘Il y a quelque chose à faire… Il y a un vrai besoin’. »
C’est ainsi que le jeune opticien a rejoint la prestigieuse école de lunetterie de Morez, dans le Jura, avec pour enseignants, les Meilleurs Ouvriers de France Lunetiers. « Je me suis retrouvé face à des personnes qui étaient vraiment passionnées. Il y avait des opticiens, des prototypistes, des designers, des gens qui ont fait de la lunette depuis le plus jeune âge. Ce sont tous de vrai amoureux de la lunette ! » Très vite, Sébastien émet le souhait de passer le concours de Meilleur Ouvrier de France.
Le concours de Meilleur Ouvrier de France
Créé en 1923, ce titre, décerné uniquement en France, met à l’honneur les métiers manuels. Pâtissier, bijoutier, lunetier, carreleur, plombier, chauffagiste, tapissier, ébéniste… tous les métiers de l’artisanat sont représentés lors de ce prestigieux concours qui promeut l’excellence dans le savoir-faire.
Cette haute distinction est décernée à l’issue d’un concours et constitue également un diplôme d’État de niveau Bac+2.
Alors, quand Sébastien exprime son souhait de rejoindre l’élite du savoir-faire français, ses professeurs, eux-mêmes MOF, ne peuvent que l’encourager et le motiver. L’un d’entre eux lui propose un défi.
« ‘Tu veux t’inscrire au concours de Meilleur Ouvrier de France ? Voici ma lunette de finale’ m’a déclaré Jacques, me demandant de reproduire le même modèle, en précisant : ‘Voyons en combien de temps tu la fais. Relèves-tu le challenge ?’ Compétiteur comme je suis, j’ai évidement répondu ‘OUI !’. Au bout de 4 h, je lui ai remis une monture complètement terminée. Il m’a regardé et m’a dit : ‘On va pouvoir faire quelque chose de toi’».
« Cela m’a vraiment motivé, je me suis dit OK, c’est vraiment ce que je veux faire ! »
Une préparation digne d’un sportif de haut niveau
Pour Sébastien, commence alors un marathon de plusieurs années. Il va tenter le concours une première fois et arrivera en finale. En 2023, il tient compte de cette première expérience et se concocte une préparation digne d’un sportif de haut niveau.
Un mois et demi avant le concours, Sébastien se plonge uniquement dans la préparation de cette finale, s’enfermant 8 heures par jour dans son atelier, s’entrainant physiquement avec un coach sportif, se faisant conseiller par une diététicienne et soigner par une kinésithérapeute. Tous les deux jours, il court 8 km, car le chiffre 8 devient son leitmotiv, le concours durant 8 heures.
Pendant cette période, c’est son épouse, Sandra, également opticienne, qui prendra le relais, à la fois dans leur magasin d’optique, mais aussi à la maison, avec leurs deux fils de 2 et 7 ans. Si Nolan, l’ainé, a vu son père s’entrainer lors de la première inscription, Kélian, lui, découvre et comprend un peu moins que papa ne soit pas avec eux.
Un mois avant les qualifications du concours de MOF, Sébastien se rend au Salon de l’Optique à Paris (SILMO) et participe au concours du savoir-faire des Lunetiers, ouverts aux stagiaires de l’école de lunetterie où étaient représenté de nombreux pays différents. « Portugal, Espagne, Belgique, Chine, Amérique, France… de mémoire nous étions 26, je crois bien », précise Sébastien, qui, remporte la première place.
« Ce Prix du savoir-faire des lunetiers était l’opportunité de me confronter aux meilleurs lunetiers et de mesurer la marge de progression et le travail à fournir pour atteindre mon objectif principal, le concours de MOF qui débutait avec une phase de qualification un mois après. Cette première place a confirmé que, pendant toutes ces années passées à me préparer, à travailler dans un seul but, j’étais sur le bon chemin. »
Des lunettes aux matériaux nobles
Quelques mois plus tard, le mardi 20 juin 2023, le Guadeloupéen remporte le titre prestigieux à La Sorbonne, se voyant propulsé au titre de Meilleur Ouvrier de France. « C’était un concours très difficile avec beaucoup d’excellent lunetiers, estime Sébastien Châtelard. Je pense que la différence tient dans la préparation dont j’ai pu bénéficier. Je n’ai rien laissé au hasard : j’ai travaillé sans relâche tous les jours (même les dimanches et les jours fériés). J’ai eu la chance de pouvoir compter sur mon épouse, ce qui m’a permis d’être dans une bulle pendant un mois et demi et de me concentrer uniquement sur le concours. Sur les 24 finalistes, seulement six ont terminé l’épreuve, c’est pour vous dire le niveau et la difficulté de cette finale. Sans cet acharnement quotidien, sans le soutien de ma famille, je n’aurais jamais terminé une heure avant la fin de l’épreuve, et je n’aurais jamais été MOF. À mon humble avis, le combo a été » travail, persévérance, acharnement, organisation, passion et famille ! »
Depuis, le lunetier a retrouvé son magasin et son atelier, proposant des lunettes aux designs exceptionnels, réalisés à partir de matériaux tels que la corne, le bois ou l’acétate de cellulose. Cette dernière est la plus usitée par les lunetiers, mais ce que préfère Sébastien, c’est la corne.
« La corne de buffle comme de zébu, la corne de vache comme de bélier, c’est la matière que je préfère travailler. Elle est très technique, compliquée », s’enthousiasme le lunetier. « Il est vrai que la corne et le bois sont des matières plus nobles. Elles demeurent cependant bien plus dures à travailler. Elles demandent un travail bien plus minutieux et ne laissent surtout pas de place à l’erreur. C’est la raison pour laquelle, je pense, que 80% des lunetiers ne vont pas vers ces matières… Puis elles ont une odeur particulière, que j’affectionne ! »
Passionné, Sébastien Châtelard explique : « C’est uniquement quand on a terminé de travailler la corne et de la polir qu’elle nous livre ses délicates fibres colorées ainsi que son nuancier de couleur définitif. La corne se dévoile à la fin. »
Si le lunetier fait venir la corne, mais aussi l’acétate de cellulose, de France métropolitaine, il confie apprécier de travailler les essences de bois tropical, venant de Guadeloupe, de Guyane ou du Brésil.
« Mahogany, acajou, bois de rose » prennent forme entre les mains du MOF qui se délecte de ces essences nobles. Mais ce n’est pas encore suffisant pour le lunetier qui espère obtenir les autorisations de travailler le matériau ultime pour lui… l’écaille de tortue.
Un concours difficilement accessible aux Ultramarins
Un an après son accession à cette haute distinction, Sébastien Châtelard s’étonne d’être le premier MOF des Antilles françaises en lunetterie et seulement le second MOF résidant en Guadeloupe, tous secteurs confondus. Lorsqu’il analyse les conditions de préparation et d’admission au concours, le lunetier conclut que l’aspect financier constitue indéniablement un frein à la participation au concours.
Outre l’inscription proprement dite au concours qui est déjà payante, il faut ajouter les nombreux trajets entre le DROM et la France. En 2023, Sébastien aura fait pas moins de six allers-retours entre la Guadeloupe et la France, entrainant des coûts de transport astronomiques. Il faut aussi compter le logement, la nourriture, et surtout, le transport des matériaux vers l’Hexagone, lesquels, en fonction du secteur, peuvent présenter un volume considérable et entrainer des coûts supplémentaires impressionnants.
« Vous imaginez un charpentier qui doit faire sortir son œuvre de Guadeloupe en container pour la faire arriver sur le lieu de l’examen ? Ce n’est pas possible ! Il me semble qu’un candidat a essayé de faire cela en Guyane… si je ne me trompe pas, cela lui a coûté plus de 15 000 euros de transport. Ce n’est pas un simple déplacement en voiture ou en train pour faire trente kilomètres. Avec les 8000 kilomètres de distance, ce n’est juste pas possible de se battre à armes égales. »
Pour Sébastien Châtelard, « le titre de Meilleur Ouvrier de France est trop peu connu, surtout aux Antilles. Beaucoup de personnes jusqu’à maintenant, en me croisant avec mon col bleu blanc rouge, me demandent si je suis pâtissier ou cuisinier ».
Même en France hexagonale, les MOF sont surtout connus pour les métiers de bouche. Mais Sébastien en est convaincu, la Guadeloupe « est pétrie de talents », notamment « en menuiserie, dans les métiers du bâtiment, de la coiffure… », estime-t-il.
Alors, pour remédier à ce manque qui entrave la participation des Antillais, et plus largement des Ultramarins, à ce concours prestigieux, Sébastien Châtelard invite les collectivités, notamment les Conseils régionaux et départementaux, à apporter une aide financière, ne serait-ce qu’aux candidats qui arriveraient en finale du concours de MOF.
Le MOF Lunetier espère également que le regard du citoyen changera face aux diplômes professionnels, considérés encore comme des voies de garage, alors qu’elles ouvrent la voie vers l’artisanat, premier employeur de France, avec quelque 1.200.000 entreprises partout sur le territoire.
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