Reconnaître aux diplômés de droit un véritable statut de juriste

novembre 19, 2017 8:02, Last Updated: novembre 19, 2017 0:09
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Chaque rentrée, le droit est une des formations les plus plébiscitées par les étudiants. On y accueille près de 30 000 bacheliers en première année attirés par la matière elle-même ou par la pluridisciplinarité qu’elle représente : l’Histoire, l’économie, la philosophie ou même la sociologie sont autant de thèmes abordés et approfondis à travers des études de droit.

Étudier le droit, c’est se placer dans une tradition universitaire qui en, France, date du XIIIe siècle. Historiquement, la faculté de droit délivrait, à l’instar de celle de médecine, un enseignement indispensable pour l’exercice des professions juridiques.

Aujourd’hui, si le droit est toujours réputé utile dans la vie quotidienne, le cursus universitaire, pourtant devenu international avec le système LMD, ne suffit plus en France pour avoir le droit d’exercer le droit.

Le renouveau de l’Université

D’un certain point de vue, la « démocratisation » de l’accès à l’université dans les années 1970 renoue avec l’idéal originel de cette institution : quand les étudiants se pressaient à la Sorbonne pour recevoir un enseignement libre et gratuit.

Le collège de Sorbonne au XVIᵉ siècle. Fourquemin, Nousveaux (Édouard Auguste), Pernot (François Alexandre)

La faculté de droit permet aussi à travers la « capacité », de donner leur chance à des étudiants n’ayant pas le baccalauréat mais qui sont motivés à se lancer dans l’enseignement supérieur. Les formations ont su s’adapter à l’international, proposant des diplômes orientés sur la Common Law ou en partenariat avec d’autres universités étrangères.

Loin des clichés des étudiants « livrés à eux-mêmes », les cours sont accompagnés de travaux dirigés dans lesquels les étudiants rédigent des commentaires d’arrêts ou résolvent des cas pratiques. De plus, des systèmes de tutorat ont été mis en place afin d’aider les étudiants à assimiler la méthodologie (plan licence). Sans oublier que le système de compensation et de conservation des unités validées permet aux étudiants persévérants de s’en sortir.

Une spécialisation en Master 2

En général, l’année de Master 1, comme celle de Licence 3 propose des troncs communs selon les sections : droit de l’entreprise, droit public, et droit privé. En leur sein, certains parcours permettent de renforcer l’étude de certaines matières plutôt que d’autres. Tout au long du cursus, chaque étudiant est libre de personnaliser ses enseignements à travers un large choix de matières à option tout en suivant des cours appelés matières fondamentales telles que le droit constitutionnel, le droit des contrats et bien entendu le droit administratif. Par la suite, le cycle Master constitue le prolongement des choix effectués par l’étudiant durant sa licence tout en lui permettant de s’ouvrir à d’autres branches du Droit.

La sélection à l’issue du Master 1 a fait l’objet de polémiques récentes : si certains Masters sont en effet très sélectifs, en général les facultés agissent de sorte à ce que chacun puisse obtenir une place dans au moins un Master 2. L’importance de l’admission en Master 2 témoigne du succès de cette année supplémentaire plus professionnalisante. Alors qu’auparavant, rares étaient les étudiants qui poursuivaient en DEA ou en DESS, aujourd’hui ces derniers n’hésitent pas à effectuer plusieurs Masters 2 pour multiplier les spécialités ou préparer un doctorat.

Le monopole des écoles de droit

Là où le bât blesse, c’est qu’auparavant l’université ne constituait dans la formation des juristes que la partie théorique, tandis que la partie pratique était, quant à elle, assurée par les écoles de droit. Le système LMD est venu se greffer à cette formation sans remettre en cause ce monopole des écoles professionnelles dans la formation des juristes.

Ainsi, pour devenir avocat, magistrat, notaire, commissaire priseur, huissier, ou encore greffier, nul besoin d’avoir atteint le niveau Master, il faut en revanche réussir un examen ou un concours, particulièrement difficile, qui permet d’accéder à l’« école » correspondant à la profession souhaitée où une formation expresse y est encore dispensée. Pour réussir ces concours, mieux vaut faire une « prépa ». Si l’université propose des formations à des tarifs raisonnables, elle n’a pas les moyens pour les mettre en place dans des concours très spécifiques, niches très lucratives pour des organismes privés.

Ces écoles sont gérées par les professionnels eux-mêmes. Malheureusement l’enseignement n’y tient pas forcément ses promesses : loin d’être concrets, les cours sont souvent décrits par les élèves comme étant des doublons de ceux dispensés dans la faculté, sans forcément la passion de ses enseignants. Enfin l’obtention du diplôme y est souvent vue comme une formalité avec un taux de réussite qui avoisine les 100 %.

Diplômés mais recalés des métiers du droit

Le droit a plutôt bonne réputation auprès du grand public, souvent associé à une image de rigueur et de sérieux. C’est peut-être pour cette raison que le taux d’insertion professionnelle, après 1 an, y est de 80 % contre 68 % pour les « sciences fondamentales ». Néanmoins, ce chiffre est inférieur à celui des « sciences technologiques » plafonnant à 87 %.

Pour autant, les 2/3 des diplômés en droit ne trouvent pas de travail dans les métiers du droit. Ils sont en moyenne moins bien payés que les autres bac+5 et moins souvent cadres aussi. Il existe dans le monde professionnel une demande croissante de spécialisation qui expose souvent les diplômés en droit à un déclassement puisqu’ils ont eu le tort de s’éloigner de leur cœur de compétence.

La fabrication de déserts judiciaires

Ces barrières à l’exercice du droit ont aussi un prix pour les populations, comme le numerus clausus en médecine : elles façonnent des déserts judiciaires (parfois les mêmes que les déserts médicaux). Cela est d’autant plus incompréhensible que les 2/3 des diplômés en droit ne peuvent travailler dans le droit.

Nombre d’avocats pour 100 000 habitants par barreau (2012). Ministère de la Justice

Comparée à celle de ses voisins, la densité des avocats en France reste faible : il y a trois fois plus d’avocats en Allemagne et en Italie, plus de deux fois plus en Espagne.

Concernant les notaires, le nombre de professionnels formés a augmenté de 12 000 ces 10 dernières années, tandis que le nombre d’offices restait stable. On sait que le revenu moyen des offices a, quant à lui, augmenté de près de 60 % entre 2001 et 2010. Selon l’Autorité de la concurrence, les notaires ont tout simplement fermé l’accès à la profession.

Alors que la loi Macron devait créer 1002 nouveaux offices notariaux susceptibles d’accueillir 1650 jeunes notaires d’ici 2018, seulement 68 ont pour le moment été attribués.

Créer des Juniors entreprises au sein des Universités

Pour permettre à leurs diplômés d’acquérir plus d’expérience professionnelle, des juniors entreprises sont régulièrement créées à l’Université. Si cela est déjà le cas dans de nombreuses filières, en droit, les facultés hésitent devant la mainmise des professionnels. Ainsi, certains préfèrent opter pour une formule alternative : la clinique juridique.

À l’Université Montesquieu de Bordeaux, la clinique du droit se traduit par une « information juridique » gratuite donnée par oral et non une consultation juridique. Ensuite, si cela est nécessaire, la clinique oriente la personne vers un avocat. Cela est notamment prévu en cas de litige plus sérieux.

Ces initiatives sont bien sûr louables et contribuent à améliorer la formation universitaire d’un point de vue pédagogique, mais elles omettent un aspect essentiel des métiers du droit : la relation d’affaires qu’entretient le juriste avec son client. En effet, qu’il soit notaire, huissier ou avocat, tout praticien en droit est censé constituer sa clientèle pour vivre de son métier.

À l’inverse, pour les écoles de commerces ou d’ingénieurs, créer une junior entreprise sert justement à faire comprendre les enjeux économiques aux futurs diplômés.

Les critères de recrutement des cabinets « prestigieux »

Pour Anne-Cecile Nègre, consultante recrutement chez Lincoln Associé :

« C’est malheureux à dire, mais n’avoir fait que droit, cela devient souvent insuffisant. […] Aujourd’hui, les doubles ou triples formations sont vraiment ce qu’il y a de plus recherché ».

En tête de ses choix, elle préconise de faire une école de commerce dont les droits d’entrée gravitent en moyenne autour de 10 000 euros, ensuite figurent les LLM de préférence « dans une « Ivy League », cette fois-ci le prix pour un LLM aux États-Unis se situe autour des 35 000 dollars auxquels il faut ajouter 15 000 dollars pour le coût de la vie. À titre de comparaison, le montant des droits d’inscription à l’université en France coûte 184 euros en licence, 256 en master, et 391 en doctorat.

Certes les cabinets d’avocats sont libres de recruter les diplômés des formations qu’ils souhaitent, il s’agit de la liberté d’entreprise. Mais au nom de cette même liberté, les diplômés de droit ne devraient-ils pas avoir accès aux métiers pour lesquels ils ont été formés tout au long de leurs années à l’Université ?

Créer un statut légal du juriste

L’alinéa 1 de l’article 54 de la loi du 31 décembre 1971 dispose qu’un professionnel du droit doit être au moins titulaire d’une licence de droit ou alors disposer de « compétences juridiques appropriées ». Cette formule sibylline a de quoi surprendre car le principe d’un diplôme d’État est justement de sanctionner qui détient ou non les compétences ad hoc.

L’article 56 de la même loi précise ensuite que les professionnels qui ont le droit d’exercer une activité de consultation juridique et de rédaction des contrats sont Les avocats, les notaires, les huissiers de justice, les commissaires-priseurs judiciaires, les administrateurs judiciaires et les mandataires-liquidateurs…

Puis vient le cas spécifique des enseignants à l’université (article 57), et enfin celui des juristes d’entreprise (article 58). Ces derniers peuvent dispenser des conseils juridiques, rédiger des actes, mais exclusivement pour leur entreprise.

Donc d’après la loi, un simple titulaire d’une licence de droit ou même « de compétences juridiques appropriées » sorties dont on ne sait où, peut se faire juriste du moment qu’il est recruté par une entreprise, mais avoir obtenu un doctorat en droit (bac+8) ne permet pas à lui seul de dispenser des consultations juridiques sous peine d’être condamné pour exercice illégal du droit. Comment face à ces entraves un jeune peut valoriser son diplôme de droit sur le marché du travail ?

Il est donc urgent de conférer aux juristes un statut légal sur le modèle américain des lawyers et permettre aux diplômés d’un master en droit (bac+5 soit autant qu’un ingénieur) de dispenser des consultations juridiques, de rédiger des actes, et ainsi avoir le droit d’assister des justiciables là où la présence d’un avocat n’est pas indispensable par exemple aux prud’hommes ou encore dans un tribunal de police…

Ce nouveau statut du juriste donnerait l’opportunité aux diplômés de droit de débuter une carrière professionnelle sans être bloqué par ce plafond de verre qu’est la condition « X années d’expérience exigées » avant d’être embauché, et en même temps endiguerait la pénurie des professionnels du droit dans les déserts judiciaires.

Guillaume Bagard, Doctorant contractuel en Histoire du Droit, Université de Lorraine; Inès Ahmed Youssouf Steinmetz, doctorante en droit, Université de Lorraine; Jordan Poulet, Doctorant contractuel en Histoire du Droit, Université de Lorraine et Julien Florémont, Doctorant en histoire du Droit, Université de Lorraine

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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