Au Royaume-Uni, la maison d’édition des romans de Roald Dahl a décidé de réécrire les textes de l’auteur. La réécriture a été confiée à Inclusive Minds, un collectif de militants fondé en janvier 2023 qui se disent « passionnées par l’inclusion » et dont la mission principale est de faire adhérer les éditeurs à l’idéologie woke en leur faisant pratiquer la cancel culture, littéralement «la culture de l’annulation».
Charlie et la Chocolaterie, Matilda, James et la Pêche géante, Le Bon Gros Géant… ces titres de romans ont été lus et appréciés par plusieurs générations d’enfants. Et leur auteur, Roald Dahl, bien que connu pour des propos jugés racistes et antisémites, demeure un monument de la littérature de jeunesse.
Né de parents norvégiens en 1916 au Pays de Galles, Roald Dahl se distinguera pendant la Seconde Guerre mondiale en tant que pilote de chasse pour la Royal Air Force. Ce père de 5 enfants se lancera ensuite dans les romans de jeunesse après leur avoir raconté chaque soir des histoires nouvelles… «J’essaie d’écrire des histoires qui les saisissent à la gorge, des histoires qu’on ne peut pas lâcher. Car si un enfant apprend très jeune à aimer les livres, il a un immense avantage dans la vie», expliquait-il.
Décédé en 1990, l’auteur britannique laisse plus de 250 millions d’exemplaires de ses romans vendus dans le monde entier. Un Roald Dahl Muséum a aussi vu le jour en 2005 ainsi qu’une « journée Roald Dahl » instituée chaque 13 septembre en Grande-Bretagne.
De nombreuses modifications touchant à l’expression et au sens
Pourtant, la maison d’édition de l’auteur, Puffin Books, a décidé de modifier ces romans en y apposant changements, coupes ou réécritures. En accord avec les ayant-droits de l’auteur, la maison d’édition a fait appel au collectif de relecteurs « woke », Inclusive Minds, désignés afin de passer au crible tous les textes et éliminer toute allusion possible à des éléments tels que l’apparence physique des personnages (leur poids, la couleur de leur peau, leur genre…), et autres éléments pouvant marquer la différence.
La Roald Dahl Story Company, société familiale qui gère les droits sur les œuvres de l’écrivain, a travaillé avec l’éditeur autour de ces réécritures.
Un article du Telegraph, publié en février dernier, établit un comparatif des éditions de 2001 avec celles de 2022.
Dans Les deux Gredins, la féroce Commère Gredin n’est plus «moche et bestiale» mais seulement «bestiale». Dans Charlie et la Chocolaterie, Augustus Gloop n’est plus «gros» mais «énorme», et les fameux Oompa Loompas ne sont plus «de petits hommes» mais «des petites personnes». De son côté, Matilda ne lit plus les textes de Rudyard Kipling, mais ceux de Jane Austen, tandis que la description du visage « chevalin » de la redoutable Agatha Legourdin disparaît bel et bien du texte. Dans Sacrés Sorcières, cette »grosse petite souris brune » devient « petite souris brune », et la remarque « Il a besoin de faire un régime » disparaît, là encore, purement et simplement du roman. Ce sont au total 59 changements qui ont ainsi été répertoriés dans ce seul roman, relate le Telegraph.
De son vivant, Roald Dahl avait accepté d’apporter des modifications sur la description des Oompa Loompas de Charlie et la Chocolaterie: ces « pygmées noirs » esclaves, originaires « des plus profondes jungles africaines » dans la première édition de Charlie et la Chocolaterie parue en 1964, sont devenus en 1973, de simples « petites créatures fantastiques ».
Le site ActuaLitté relate que le Guardian a ainsi retrouvé et publié l’extrait d’une conversation enregistrée entre l’auteur et le peintre Francis Bacon en 1982.
« J’ai averti mes éditeurs que s’ils changeaient plus tard une seule virgule dans l’un de mes livres, ils ne verraient plus jamais un mot de moi. Jamais ! Jamais ! », tonnait ainsi Roald Dahl, ajoutant aussi, avec l’humour qui le caractérisait: « Quand je serai parti, si cela se produit, je souhaiterais que le puissant Thor leur frappe très fort sur la tête avec son Mjolnir. Ou j’enverrai “l’énorme crocodile” pour les engloutir »…
A-t-on lissé ou censuré les romans de Roald Dahl ?
Outre-Manche, l’annonce de ces réécritures a fait l’effet d’une bombe, et pas seulement dans le milieu littéraire.
L’écrivain Salman Rushdie s’est insurgé sur Twitter: « Roald Dahl n’était pas un ange mais il s’agit ici d’un cas de censure absurde. Puffin Books et les ayants droit de Dahl devraient avoir honte. »
La rédactrice en chef adjointe du journal conservateur Sunday Times, Laura Hackett, a déclaré qu’elle garderait ses éditions originales de Roald Dahl, afin que ses enfants puissent « les apprécier dans toute leur gloire méchante et colorée ».
En haut lieu, même le Premier ministre Rishi Sunak a tenu, le 20 février dernier, à s’exprimer sur ces réécritures: « Nous ne devrions pas ‘gobblefunk’ autour des mots. Je pense qu’il est important que les œuvres de littérature et les œuvres de fiction soient protégées et non retouchées. Nous avons toujours défendu le droit à la liberté de parole et d’expression. »
La reine consort Camilla a elle aussi, émis un avis lors de son club de lecture en ligne: « Veuillez rester fidèle à votre vocation, sans être gêné par ceux qui souhaiteraient restreindre votre liberté d’expression, ou imposer des limites à votre imagination. »
Face à ce tollé de commentaires sur la réécriture de romans devenus des classiques de la littérature de jeunesse, Puffin a ensuite annoncé le 24 mars dernier qu’il publierait à la fois les éditions originales et les éditions réécrites, concluant ainsi: « Les lecteurs seront libres de choisir quelle version est leur préférée. »
En France, pour Hubert Heckmann, maître de conférences en langue et littérature françaises du Moyen Âge, ce qui est «le plus consternant, c’est la manière dont cette réécriture s’attaque aux enfants, et insulte leur intelligence», ainsi qu’il l’écrit dans les colonnes du Figaro. Il alerte par ailleurs sur les enjeux commerciaux qui se trouvent derrière cette tendance. Netflix détient depuis 2021 la compagnie qui gère les droits de Roald Dahl. «Il s’agit donc d’une censure préventive fondée sur la peur de perdre de l’argent», suppose Hubert Heckmann qui est également l’auteur de Cancel ! De la culture de la censure à l’effacement de la culture (éditions Intervalles, 2022).
Qu’en est-il des œuvres de Roald Dahl dans l’Hexagone ? L’heure n’est pas à la réécriture, comma a pu l’expliquer Hedwige Pasquet, présidente de Gallimard Jeunesse, qui édite les traductions des ouvrages de Roald Dahl. « Nos traducteurs respectent l’esprit et l’œuvre des auteurs, autrices qu’ils traduisent. Jean-François Ménard a traduit Le Bon Gros Géant et retransmis l’imaginaire, l’humour, l’ironie et l’esprit incisif de Roald Dahl », a-t-elle souligné sur ActuaLitté.
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