Ce texte est tiré de la conférence « Au secours, les relations humaines reviennent ! » organisée par XERFI, la FNEGE, l’AGRH et l’ANDRH à Paris le 1ᵉʳ décembre 2016
« Au secours, les relations humaines reviennent ! » C’est donc qu’elles étaient parties.
Il est vrai que les relations humaines ne sont pas un problème pour des organisations qui attendent la performance de la seule sophistication de leurs structures, de leurs processus ou de leurs systèmes d’information. La question des relations humaines disparaît aussi quand le travail parcellisé dans un réseau autogéré ou contrôlé par les algorithmes n’exigerait plus de coordination ou de collaboration (le « travail-avec », étymologiquement).
Le facteur humain
Sans doute la valorisation de la technique, de l’informatisation ou de la numérisation selon les époques donne-t-elle aussi l’illusion – comme il y a un siècle à la naissance de l’organisation scientifique du travail – qu’on puisse enfin se débarrasser de l’aléa humain dans la production. Les relations humaines ne seraient alors plus un problème mais juste ce supplément d’âme romantique, avec la bienveillance et la gentillesse si populaires aujourd’hui…
Toutefois on s’aperçoit ici et là que seules les combinaisons rares de compétences rares permettent de relever les défis de l’innovation ou de la performance, on en appelle alors aux talents. On s’aperçoit aussi, dans l’économie de l’expérience, dans les situations de crise ou dans les organisations complexes, que l’engagement des personnes dans leur travail, voire dans l’entreprise, devient indispensable.
Le social et la relation aux autres dans l’entreprise
Ce n’est pas une découverte, Pierre Louart nous a rappelé les grands noms, déjà anciens de ceux qui ont montré l’importance de la motivation et de reconnaissance. Mais la personne, comme nos intervenants aiment à l’appeler, est sociale, elle vit avec, par et pour les autres, même si l’anthropologie du moment, individualiste ou « singulariste », a pu avoir la tentation de l’oublier.
Benoît Serre nous rappelle d’ailleurs avec pertinence combien les relations humaines ont partie liée à la culture de l’entreprise. En fait dans les entreprises, les administrations ou les associations, on ne travaille pas, on travaille toujours « avec », le travail est interdépendance, on ne peut faire le sien que si les autres ont accompli le leur, et réciproquement.
Ces interdépendances peuvent être prescrites dans un bon manuel de procédures, elles peuvent aussi être tacites dans un jeu de promesses réciproques implicites qui fait toujours le lit invisible de la performance quand on fait l’effort de l’observation du fonctionnement réel des organisations. Mieux que cela, ces relations font une grande part de l’expérience concrète du travail pour les personnes, comme le rappelle Jean-Paul Charlez : c’est la relation aux autres qui vous empêche de dormir le soir plutôt que la rémunération dont on s’est habitué à ce qu’elle soit faible !
L’humain face aux règles et à la numérisation
Alors, l’importance des relations humaines revient au goût du jour pour interpréter les déceptions causées par une automatisation des processus administratifs, quand il s’agit de pallier les effets dévastateurs des risques psychosociaux, quand il faut résoudre ou anticiper les multiples conflits qui ne manquent pas de survenir dans ces lieux tellement politiques que demeurent les institutions.
A divers titres, nos intervenants ont rappelé dans des registres différents que les relations humaines étaient un problème plutôt qu’une solution. Jacques Igalens explique que les relations entre acteurs dont s’occupe le droit, ne peuvent se satisfaire d’une seule logique contractuelle mais qu’elles exigent un minimum de sens du bien commun que pourraient peut-être apporter les systèmes de normes et de références développés au niveau international.
Xavier Moulins envoie le même message en rappelant fort à propos que le dialogue social se nourrit de relations humaines et pas seulement de rapports ministériels ou de lois. Comme le dit CH Besseyre des Horts les outils ne peuvent jamais remplacer ces relations humaines ou les améliorer comme par magie car ils peuvent les faciliter pour autant qu’on fasse l’effort de les utiliser au service de ces relations.
Alors, comme le souligne Isabelle Barth, en parlant de diversité, les managers prennent une grande importance dans l’établissement, et le maintien de relations humaines de qualité : ces managers sont décidément responsables de tout. Cela tombe bien d’ailleurs, car les managers non-français au sein de grandes entreprises françaises, nous dit Yasmina Jaïdi, leur reconnaissent un certain sens de l’humain et il leur manquerait juste un petit peu d’ouverture.
Quatre idées fortes… plus une
On peut retenir de toutes ces interventions quatre idées essentielles.
La première, c’est que le management gagne toujours à revenir à quelques solides références anthropologiques : il semble que régulièrement, avec Taylor, l’ordinateur ou la personne augmentée, on ait la tentation de l’oublier.
La deuxième, c’est que les relations humaines, cela s’apprend. Les relations familiales viennent assez naturellement, les relations choisies sur les réseaux sociaux ou dans les tribus « affectuelles », pour rappeler Aline Scouarnec, ne sont pas très difficiles mais travailler dans une organisation c’est entrer en relation avec ses collègues, ceux que l’on n’a pas choisis, ceux avec lesquels on ne passerait pas un weekend. Les spécialistes du management ont-ils intégré que le travail devait aussi être un lieu d’apprentissage de ces relations humaines ?
La troisième, c’est que les managers ont évidemment une charge de plus sur les épaules avec cet impératif relationnel. Mais encore faut-il qu’ils le veuillent et qu’ils en aient la compétence. Est-ce que nos outils de sélection, de promotion, d’évaluation et de rétribution des managers en tiennent compte ?
La quatrième, sans doute la plus importante, c’est que la qualité des relations humaines est aussi une responsabilité générale, partagée. Chacun en a sa part, les organisations auxquelles on impose une responsabilité sociale, les managers généralement responsables de tout mais aussi l’ensemble des acteurs, des salariés.
À l’heure où la maîtrise des outils numériques devient un impératif de l’honnête homme, il faudra peut-être y rajouter la qualité relationnelle. C’est un vrai enjeu car nos jeunes étudiants, comme nos managers, considèrent que leur efficacité managériale, le fait de devenir leader, ce mot qui se traduit si mal en allemand, tiendrait surtout à leurs qualités intrinsèques propres plutôt qu’à leurs relations aux autres.
Maurice Thévenet, Délégué Général de la FNEGE, Professeur Sciences de Gestion, ESSEC
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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