Remise à niveau en orthographe : la faute à Voltaire ?

novembre 9, 2017 8:00, Last Updated: novembre 9, 2017 22:47
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En France, le niveau en orthographe baisse ! Et cela représente un handicap social et professionnel majeur pour celles et ceux qui n’en maîtrisent pas les subtilités. Par exemple, un CV contenant des fautes a trois fois plus de chances d’être écarté. Présentée comme un remède à ce mal dont souffre la société française, la plate-forme de remise à niveau en orthographe Projet Voltaire a été lancée en 2008. Sur son site, elle fait état d’un prix pour son action en faveur de la francophonie remis dans l’enceinte du Sénat et du prix du meilleur service d’apprentissage en ligne. Elle mentionne également une étude du CNRS démontrant son efficacité. Mais quels sont les principes de sa méthode d’apprentissage et est-elle réellement efficace ?

La cacographie, un exercice abandonné il y a 150 ans

Le Projet Voltaire repose principalement sur une activité que l’on appelle traditionnellement la cacographie. Le principe de cet exercice est très simple : il s’agit de repérer des erreurs dans des phrases et de les corriger. En voici un exemple datant de 1827 :

Nouvelle cacographie ou Exercices gradués sur l’orthographe, la syntaxe… et spécialement sur les participes… (Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, X-29592)

Dans la cacographie du XXIe siècle, il ne s’agit plus de corriger mais seulement de repérer les erreurs. Si vous repérez une erreur, il suffit de cliquer sur le mot la contenant. Vous recevrez alors un message du type « Bravo, il y a une erreur » (ce qui est assez contre-intuitif). En revanche, si vous considérez que la phrase est correcte, vous n’avez qu’à cliquer sur le bouton « Il n’y a pas de faute ».

La cacographie occupe une place de choix dans l’enseignement de l’orthographe. On en trouve des exemples dès le XVIIIe siècle mais c’est au XIXe siècle que son usage est généralisé dans les écoles. Elle est même au centre de l’enseignement de l’orthographe durant la première moitié du XIXe siècle.

Cependant, cette méthode a été très tôt critiquée et elle a même été abandonnée par l’Instruction publique (l’ancêtre de l’actuelle Éducation nationale) lors de la réforme pédagogique des années 1880, la qualifiant de « malencontreuse invention ». Pour quelle raison ? L’orthographe s’acquiert en partie en mémorisant les mots que l’on lit. Or, dans le cas de la cacographie, les mots écrits possèdent des fautes. Le risque est donc grand de mémoriser les mots incorrectement rédigés, ce qui a pour conséquence le résultat inverse de celui recherché.

Le Projet Voltaire repose donc principalement sur un type d’exercice inventé il y a environ trois siècles et ayant été abandonné il y a 150 ans. On ne peut pas dire que ce soit très innovant, ce qui va à l’encontre de l’image de leader technologique de l’entreprise. Mais alors, comment expliquer son succès ?

Derrière l’archaïsme, le recours aux nouvelles technologies

Le français à l’école est une discipline qui a une image passablement ennuyeuse. C’est une matière peuplée de règles compliquées, parfois inintelligibles. Dans ce contexte, on comprend qu’une application facile d’utilisation et ressemblant à un jeu ait remporté l’adhésion d’un grand nombre d’utilisateurs (plus de 4 millions selon le site).

En effet, il suffit de seulement quelques minutes pour comprendre le fonctionnement de la plate-forme. L’interface est ergonomique, tant pour les étudiants que pour les enseignants. Et maintenant que l’application fonctionne également sur les smartphones, il est possible de « jouer à l’orthographe » dans les transports en commun ou dans la rue. Chaque exercice est accompagné d’une courte description écrite de l’erreur à éviter et de vidéos explicatives. Un grand nombre de supports sont également accessibles en ligne.

À cela, il faut ajouter un « moteur d’ancrage mémoriel » élaboré par la société Woonoz. D’après le descriptif, ce moteur est le « fruit de l’intelligence artificielle et des sciences cognitives » et il est « capable d’établir votre profil de mémorisation et votre niveau initial de connaissance dès les premiers exercices ».

De plus, le principe de la cacographie sous la forme adoptée par le site s’avère facile à mettre en œuvre dans le cadre de l’entraînement comme de l’évaluation. Et, selon le site, « une utilisation de 10 heures est requise en moyenne pour atteindre un niveau très correct ». On pourrait donc rattraper des années de difficultés en orthographe en seulement quelques heures !

Projet Voltaire : la solution miracle ?

Si l’on en croit les enquêtes de satisfaction, les utilisateurs semblent majoritairement conquis. Et l’étude CNRS mentionnée sur le site ne porte pas directement sur l’amélioration du niveau en orthographe, mais sur l’impact sur les résultats à l’université dans l’ensemble des matières. On y apprend par exemple que l’usage assidu de la plate-forme a un impact non négligeable sur les résultats dans l’ensemble des matières et notamment… en anglais ! Ainsi, l’amélioration de l’orthographe du français permettrait une meilleure connaissance de l’anglais, ce qui semble pour le moins difficilement explicable.

Pour expliquer ces meilleurs résultats, l’un des auteurs de l’étude avance l’argument qu’un meilleur niveau en orthographe permettrait de mieux comprendre les énoncés des exercices et ainsi de mieux les résoudre. Mais cette hypothèse reste à démontrer, d’autant qu’une autre étude tendrait plutôt à montrer qu’à contenu identique la forme seule permet d’obtenir de meilleures notes. Et celles et ceux qui étaient déjà bons en orthographe voient leurs résultats dégradés.

Par ailleurs, il n’y a aucune étude scientifique permettant d’affirmer que le site améliore l’orthographe lorsque l’on rédige. C’est une chose de reconnaître un mot mal orthographié dans une phrase, c’en est une autre d’arriver à mobiliser cette connaissance lorsque l’on écrit. C’est un peu comme le code de la route par rapport à la conduite : ce n’est pas parce qu’on connaît les réponses à l’examen du code de la route que l’on est un conducteur aguerri.

De plus, il faudrait s’intéresser aux effets à long terme. On sait par exemple qu’il faut plusieurs années aux enfants pour apprendre l’accord sujet-verbe. Et même quand celui-ci semble maîtrisé, les enfants peuvent donner l’impression de régresser pendant un certain temps.

Il faudrait donc évaluer l’impact de la méthode Voltaire sur la capacité de rédaction et non sur le seul exercice de cacographie. Et il faudrait pouvoir le faire à plusieurs années d’intervalle afin de savoir si les connaissances sont durables ou éphémères.

Par ailleurs, la méthode Voltaire et le certificat qui va avec contribuent à graver un peu plus dans le marbre l’orthographe actuelle si éloignée de la prononciation et si difficile à apprendre. Comme l’a très bien dit un certain François-Marie Arouet, dit Voltaire :

« L’orthographe de la plupart des livres français est ridicule. […] l’habitude seule peut en supporter l’incongruité. L’écriture est la peinture de la voix : plus elle est ressemblante, meilleure elle est. » (Dictionnaire philosophique, 1771)

Elle éloigne ainsi un peu plus la possibilité de régulariser l’orthographe française. En effet, une réforme efficace rendant l’orthographe plus accessible rendrait par la même occasion le site beaucoup moins utile.

Christophe Benzitoun, Maître de conférences en linguistique française, Université de Lorraine

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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