« Mesure utile » ou « effet d’annonce » ? Chez les médecins libéraux, l’annonce par le gouvernement d’une sanction financière pour les patients qui n’honorent pas leurs rendez-vous médicaux divise, entre ceux qui veulent « responsabiliser » les malades et ceux qui refusent des les « fliquer ».
« On n’a pas un jour sans lapins », soupire Marc Migraine, radiologue en Seine-maritime. Malgré les SMS, mails de rappel envoyés systématiquement aux patients la veille de leurs rendez-vous, « on a toujours, sur une quinzaine d’IRM prévus par demi-journée, une ou deux personnes qui ne viennent pas, sans prévenir », témoigne-t-il.
Pour cette spécialité technique au plateau technique coûteux, « c’est du temps gâché pour les médecins, les manipulateurs radio, les machines », résume-t-il. « En échographie, ça peut aller jusqu’à 25% des rendez-vous, ça nous désorganise totalement. Les gens oublient, trouvent un rendez-vous ailleurs ou n’ont plus de symptômes, et n’annulent pas, alors qu’on pourrait les remplacer », renchérit un confrère, Laurent Verzaux.
Un prélèvement par empreinte de carte bancaire
Il voit dans la « taxe lapin » une « mesure utile » pour lutter contre « l’étourderie » ou une « forme de consumérisme ».
Dès 2025, les patients qui n’annulent pas 24 heures à l’avance s’exposeront à une sanction de cinq euros, qui ira dans la poche du médecin, libre de déclencher ou non la pénalité. Techniquement, l’empreinte bancaire du patient sera prélevée par les plateformes de rendez-vous ou le soignant lui-même, précise l’exécutif.
Plusieurs syndicats, dont la CSMF ou l’UFML-S, militaient depuis longtemps pour « responsabiliser » les patients.
« On ne peut pas continuer de perdre des millions de rendez-vous pour des gens qui n’ont aucun respect », tance Philippe Pizzuti, vice-président du syndicat UFML-S, qui juge même ces cinq euros insuffisants, dans une période de pénurie médicale ou les délais d’accès aux soins peuvent dépasser six mois.
Les inconvénients de cette nouvelle taxe
Mais des critiques émergent sur la faisabilité technique. Mercredi sur France inter, le PDG de Doctolib, mastodonte des rendez-vous en ligne, a dit craindre une « entrave de l’accès aux soins ». « 20% des patients sont en situation d’illectronisme, 5% n’ont pas de carte bancaire », a-t-il observé, pointant aussi un « fardeau administratif » supplémentaire pour les cabinets.
« C’est un effet d’annonce, sans rien d’organisé », tance le Dr Pizzuti. Le ministère délégué à la Santé assure lui que les plateformes ont « été concertées », Doctolib s’étant « montré volontaire », et que l’empreinte bancaire est déjà utilisée pour des téléconsultations.
L’ampleur du phénomène est difficile à évaluer, car il n’existe pas d’étude nationale réellement représentative. Le chiffre largement diffusé de 27 millions de rendez-vous perdus chaque année repose sur une extrapolation, contestée, à partir d’un questionnaire envoyé à 16.000 médecins d’Ile-de-France, auquel 2240 avaient répondu.
Selon une enquête de Doctolib –à partir de 30 millions de rendez-vous pris à l’automne 2022– 3,4% étaient non-honorés chez les généralistes et pédiatres, 4,5% chez d’autres spécialistes et 6,2 % chez les dentistes.
« Sanctionner, c’est aussi dénoncer »
« Pas demandeur » d’une « taxe lapin », le premier syndicat des généralistes MG France a interrogé un millier de praticiens : un tiers trouvait le phénomène « insupportable » et un tiers ne s’en « préoccupait pas ». Le reste y voyait une « respiration » bénéfique.
« Parfois, ça sauve la mise. Quand j’ai énormément de consultations, ça me permet de rattraper mon retard », confie Éric Hébras, généraliste dans l’Yonne. Plusieurs médecins traitants interrogés par l’AFP, « peu touchés » grâce à leur patientèle « bien connue », se disent « très réticents » à l’idée de « fliquer les malades ».
Un lapin « peut être le symptôme d’une difficulté » ou d’une « situation de vulnérabilité », note Isabelle Hamery, médecin sarthoise. Plutôt que « faire payer ou blacklister » elle « préfère essayer de comprendre ».
« Difficultés à joindre les cabinets, mails qui se perdent, délais trop longs » : « les causes sont multiples. Je ne crois pas que des lois de circonstance règleront le problème », juge Vincent Pradeau, cardiologue près de Bordeaux. « Sanctionner, c’est aussi dénoncer des patients. En tant que docteur, c’est compliqué éthiquement », ajoute-t-il, déplorant une « mesure politique, très ‘‘café du commerce’’ ».
« Je n’ai pas fait médecine pour punir les gens », tranche aussi Vincent Diébolt, rhumatologue. Mais « peut-être » que le risque de perdre cinq euros incitera à annuler, avance-t-il. « Ça peut servir de nœud dans le mouchoir ».
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