« Rester à la porte, entrer par la fenêtre » : les défis de la distribution à l’international

12 septembre 2017 10:16 Mis à jour: 12 septembre 2017 10:16

Distribuer ses produits à l’étranger nécessite une connaissance fine du terrain (situation géographique) et du fonctionnement des réseaux locaux, qu’ils soient formels (structure de la distribution) ou informels (système de relations d’affaires).

Ces informations permettent d’adapter au plus juste sa stratégie marketing et commerciale sur le marché. À l’inverse, un des écueils principaux rencontrés par les exportateurs consiste à transposer la façon dont le produit est distribué sur leur marché domestique. Ils peuvent alors se heurter à plusieurs difficultés : l’entrée sur le marché, le choix d’un intermédiaire inadapté, ou la mise en péril de leur compétitivité locale.

La question logistique pour accéder aux distributeurs

Ce sont parfois des aspects vraiment élémentaires, liés à la situation géographique ou topographique, qui peuvent compliquer la distribution d’un produit :

  • maintenir la chaîne du froid pour conserver son produit jusqu’en Guadeloupe, où les températures peuvent atteindre des records de chaleur ;
  • accéder à ses revendeurs à Venise, où tout est transporté par bateau, ou bien au cœur des cirques de l’île de la Réunion, où seuls les hélicoptères peuvent apporter des ravitaillements ;
  • livrer des restaurateurs dans les ruelles étroites d’un village niché sur les hauteurs d’une île grecque, où les camionnettes peuvent à peine circuler… et c’est à scooter que les marchandises franchissent les derniers mètres, etc.

Ces conditions particulières impactent alors nécessairement le choix de l’intermédiaire local ou de la force de vente, les quantités livrables, leur poids maximal, le format et la nature du conditionnement et de l’emballage, etc.

L’utilisation de l’hélicoptère s’est généralisée depuis un peu plus de 10 ans dans le cirque de Mafate, île de la Réunion. (pcaille/Flickr, CC BY)

Les aspects géographiques peuvent se combiner à des modes d’organisation sociale spécifiques, façonnant ainsi un système de distribution unique. Voici deux exemples.

Les « nanostores » dans les pays émergents

Premier exemple : à Mexico City ou à New Delhi, fleurissent des milliers de micro-commerces, aussi appelés « nanostores ». Cette structure de distribution est née dans un contexte de mégalopoles à forte densité, encombrées d’importants flux de circulation (automobile ou autres), ce qui rend les temps de trajet des habitants longs et fastidieux.

Les habitants des mégalopoles ont ainsi pris l’habitude d’acheter leurs biens de consommation courante à proximité de leur lieu d’habitation, par très petites quantités, avec une plus grande fréquence.

Une épicerie de rue en Inde, à Goa (2014). (Franx’/Flickr, CC BY-NC)

Les « nanostores » sont des échoppes de moins de 15 m2 qui offrent quelques références de produits (boissons, cigarettes, glaces, biscuits par exemple). Il y en aurait 50 millions dans les pays émergents, où ils créent un maillage suffisamment dense pour couvrir les besoins de la population. Chaque « nanostore » desservirait environ 100 à 200 habitants de son quartier.

Ces commerces sont desservis par des modes de transports adaptés au contexte dense de la mégalopole, comme, par exemple, des remorques tractées par des vélos. Le mode de gestion des « nanostores » est souvent familial, et repose sur la capacité à jongler avec la trésorerie : les clients bénéficient souvent de possibilités de crédit informel, mais il faut récupérer suffisamment d’argent liquide pour effectuer le règlement du fournisseur à la livraison.

Au regard de ces contraintes, si le produit exporté entre dans la gamme des consommables vendus par les « nanostores », alors une PME ne pourra que difficilement assurer la distribution de ses produits en direct. Cela supposerait de disposer d’une force de vente nombreuse, équipée de véhicules adaptés pour circuler sur place, et qui soit très intégrée dans la culture locale, afin d’être légitime et respectée dans les négociations quotidiennes. Cela supposerait également de pouvoir livrer ses produits à des centaines de milliers de points de vente, quotidiennement, en conditionnements individuels, voire dans un conditionnement spécifiquement adapté.

Les grandes surfaces des pays développés

Notre second exemple contraste sensiblement avec le premier. Il s’illustre par exemple en Amérique du Nord, aux États-Unis ou au Canada. Il s’agit des grandes surfaces (mégastores), comme la chaîne de magasins Costco, caractérisée par de grandes surfaces de vente, situées à la périphérie des villes.

Ces grandes surfaces ne distribuent que quelques références par type de produit, mais en lots conséquents (par exemple, un seul modèle de jeans mais disponible par centaines pour chaque taille). Achetés en très grandes quantités et vendus par lots, les produits bénéficient d’un prix unitaire bien plus faible. Ils sont, de plus, vendus sans effort de marchandisage, afin de limiter les coûts pour le distributeur. L’accès au magasin suppose de souscrire un abonnement annuel pour le consommateur.

L’intérieur d’un magasin Costco. (Michael Ocampo, CC BY)

Dans ce cas, la PME exportatrice qui souhaite accéder à ces chaînes très populaires devra être capable d’entrer en négociation avec des centrales d’achat puissantes, rompues à l’exercice, et d’accepter de réduire sa marge au maximum, d’être capable de vendre par lots en très grandes quantités, sans mise en scène particulière des produits.

Or, l’export implique souvent des coûts de production, de logistique et de marketing supplémentaires, qui trouvent une meilleure rentabilité via des positionnements hauts de gamme que les marques « made in France » affectionnent particulièrement.

Le cas de « Sophie la girafe »

Les barrières à l’entrée d’un marché semblent parfois insurmontables, et pourtant, l’exemple de « Sophie la girafe » montre que la persévérance, l’inventivité, et sans doute un peu de chance, peuvent payer.

Voulant conquérir le marché américain, la petite société Vulli s’est adressée, via leur importatrice Hélène Dumoulin-Montgomery, aux principales chaînes de jouets et puériculture américaines. Mais les puissants distributeurs américains majeurs (comme Toys ‘R’ US) ont littéralement refusé d’intégrer la référence dans leurs rayons. Ils invoquèrent comme raisons : que le produit était inconnu du grand public, et que son prix était trop élevé.

Devant l’échec de sa stratégie, l’importatrice eut l’idée de fournir des girafes à une boutique de luxe à Hollywood, qui l’offrait en cadeau aux clients hauts de gamme. En parallèle, une campagne fut menée sur Internet auprès de blogueuses reconnues et influentes qui reçurent la girafe en cadeau d’essai.

Sophie la Girafe et son conditionnement. (Vulli)

L’incontournable jouet français acquit ainsi une notoriété aux USA, via des « stars » photographiées avec leurs bébés en possession de « Sophie la girafe », et grâce à des prescripteurs influents sur les réseaux sociaux. L’accès à la distribution fut facilité par le besoin du consommateur.

Ensuite, le discours marketing et les visuels furent adaptés, prenant en compte ce qui importe le plus aux yeux des consommateurs de ce genre de produit de puériculture aux États-Unis : l’authenticité du produit, le « made in France », et la fabrication, dans les Alpes à base de produits naturels.

Travailler à l’export pose donc la question des nombreuses conditions d’accès à la distribution : faut-il passer par un ou plusieurs intermédiaires, par un grossiste, un agent local ou disposer de sa propre force de vente ? Il est souvent utile de bénéficier de la connaissance du marché et de la culture de son partenaire local.

The ConversationParmi les nombreuses barrières à l’entrée, plus ou moins saillantes selon les pays, il faut se préparer à des modes de négociation différents des siens. L’accès au marché suppose aussi de prendre en compte les contraintes impactant les quantités à livrer, leur répartition, leur conditionnement, la législation, les idées préconçues, etc. C’est un autre aspect du marketing interculturel à bien étudier pour mieux exporter.

 

Eléonore Mandel, Professeur consultante, École de Management de Normandie – UGEI

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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