Résultats européennes 2024 : « Nous sortons du monde des idéologies pour entrer dans le monde des réalités », juge Ivan Rioufol

Par Etienne Fauchaire
10 juin 2024 10:07 Mis à jour: 10 juin 2024 10:39

ENTRETIEN — Un tremblement de terre politique. Les élections européennes de ce dimanche 9 juin se sont soldées par une large victoire du Rassemblement national, un désaveu cinglant des Français contre Emmanuel Macron, qui a brusquement plongé la nation dans l’inconnu en annonçant la dissolution de l’Assemblée nationale. Journaliste et essayiste, Ivan Rioufol analyse cette décision, les résultats de ces élections, et leur signification.

Résultat des élections européennes du 9 juin : Jordan Bardella (RN) à 31,4%, Valérie Hayer (Renaissance) à 14,6%. Quelle leçon tirez-vous de ce scrutin ?

Que la stratégie de la peur a échoué. L’intimidation intellectuelle n’opère plus. Cinq jours seulement avant le scrutin du 9 juin, Emmanuel Macron lançait des alertes sur « la montée de l’extrême droite » et « la démocratie menacée ». Le résultat de cette élection montre que ces menaces sur un monde post-fasciste dangereux, qui reviendrait nous hanter à cause de la montée des votes populistes et souverainistes, n’impressionnent plus les Français, qui passent désormais outre ces oukases. Aussi, nous pouvons dire que nous arrivons à la fin d’un monde : nous sortons du monde des idéologies pour entrer dans le monde des réalités. L’idéologie vient se fracasser sur le mur du réel.

Voir que les Français ouvrent les yeux et ne se sentent plus contraints de suivre les diktats du politiquement correct me fait penser dans une certaine mesure à la chute du mur de Berlin, qui avait marqué la fin de la tyrannie communiste. Despotique et totalitaire, l’Union soviétique considérait toute personne s’opposant au discours dominant comme un dissident. Aujourd’hui, les dissidents, les parias de notre époque gagnent à leur tour et prennent le pouvoir.

Quelques instants après la large victoire du RN et le revers subi par la majorité, Emmanuel Macron a annoncé dimanche soir, à la surprise générale, la dissolution de l’Assemblée nationale, ce qui entraine la convocation d’élections législatives les 30 juin et 7 juillet. Comment analysez-vous la décision du chef de l’État ?

Je rends hommage au président de la République d’avoir pris une décision courageuse en jouant le jeu de la démocratie et en redonnant la parole au peuple, dont il a été trop longtemps privé. Naturellement, le chef de l’État prend un risque considérable, à la fois personnellement et politiquement, en s’exposant a priori à un désaveu.

Car les Français, qui s’affranchissent désormais des interdits de pensée et qui sont décidés à voir ce qui a été occulté par le pouvoir politique, de droite comme de gauche, depuis 50 ans, pourraient bien confirmer ce mouvement de fond lors de ces législatives.

Si les électeurs restent cohérents avec leur vote lors des européennes, ils exprimeront à nouveau un rejet massif de la politique macroniste, ouvrant alors la voie à une cohabitation. Qui ne sera toutefois pas nécessairement avantageuse pour le Rassemblement national. Le RN devrait en effet cautionner une politique entravée par Emmanuel Macron. Un piège ? Peut-être la dissolution de l’Assemblement nationale cache-t-elle une habileté de sa part, cependant, à un prix bien élevé : nombre des députés de la majorité ne retrouveront sans doute pas leur siège dans la Chambre basse.

En passant la barre des 5%, Reconquête a réussi à assurer sa survie politique. Doit-on s’attendre à ce qu’une droite assumée, comme le revendiquent les chefs de file du parti, grignote progressivement les voix d’un Rassemblement national ayant opté pour la stratégie de dédiabolisation ?

Il existe effectivement une divergence de priorités entre Reconquête et le Rassemblement National. Reconquête est davantage axé sur une quête identitaire, répondant à une angoisse existentielle liée à une immigration islamique qui ne s’intègre plus.

Si Reconquête parvient à faire élire des députés, cela pourrait s’avérer bénéfique car ils pourraient tenir le rôle de caisse de résonance. Néanmoins, il me semble que toutes ces droites partagent globalement le même objectif et qu’elles seront amenées vers une alliance stratégique.

Il est probable que nous assistions à des rapprochements d’appareils, y compris venant de la droite républicaine, qui devrait, selon moi, embrasser cette grande dynamique populaire d’un peuple se libérant de ses carcans idéologiques. Il serait contre-productif pour Les Républicains de retomber dans leur vieux travers en cherchant à flatter une gauche gouvernementale, d’autant plus que celle-ci subit malgré tout de lourdes pertes électorales.

La France insoumise a recueilli près de 10% des suffrages. Que vous inspire ce score ?

Le score réalisé par La France insoumise, près de 10 % des voix, m’inquiète, car il est relativement élevé. Certes, ce résultat n’est pas non plus alarmant, quand bien même il est suffisant pour peser dans le débat politique. Mais le nombre de votes qui leur a été accordé révèle qu’une partie de la France des cités et de la contre-société islamisée a entendu le discours de rupture porté par l’extrême gauche. Ce score pourrait bien présager des succès électoraux plus importants à l’avenir, en raison d’une dynamique démographique et générationnelle leur étant favorable.

La France insoumise a essentiellement axé sa communication électorale autour du conflit israélo-palestinien, ont régulièrement critiqué ses adversaires. Visage de cette campagne qui a marqué les esprits, Rima Hassan, élue. De quoi son entrée dans l’Hémicycle européen est-elle le nom ?

L’arrivée de Rima Hassan au Parlement européen vient confirmer que nous avons aujourd’hui deux France, deux peuples, deux civilisations qui s’opposent et se font face à face. J’ai écrit un livre intitulé La guerre civile qui vient. Si elle devait advenir, ce serait par le biais de ces deux blocs-là. Il s’agirait d’une guerre de cultures, de civilisations, et même de races, attisée par La France insoumise qui joue un jeu trouble en favorisant l’islam révolutionnaire, sans réaliser qu’elle nourrit un monstre qui finira par la dévorer.

Cette France islamisée ne fera aucune distinction entre La France insoumise, blanche et européenne, et tout ce qui incarne l’Occident blanc et européen. Je pense donc qu’ils jouent un jeu très dangereux, la révolution dévorant toujours ses propres enfants. Si cette stratégie devait vraiment l’emporter, ils en seraient les premières victimes.

La liste de Raphaël Glucksmann, Réveiller l’Europe, talonne de près celle de la majorité, menée par Valérie Hayer (moins d’un point d’écart). L’électorat socialiste, qui avait choisi Emmanuel Macron depuis les déboires de François Hollande à l’Élysée, a-t-il déserté le président pour revenir au bercail, sans pour autant se reporter vers l’extrême gauche ?

C’est très probable. Il existe encore une gauche social-démocrate et antitotalitaire incarnée par Raphaël Glucksmann, à qui on peut au moins reconnaître cette vertu. D’ailleurs, elle se différencie peu de la tête de liste macroniste, Valérie Hayer, qui avait affirmé que la tête de liste socialiste « devrait être avec nous » puisqu’ils votent « à 90 % de la même façon ». Ils étaient plus que cousins germains : presque frères jumeaux.

On peut donc imaginer qu’une partie de l’électorat de la majorité présidentielle a abandonné ce centre mou pour en rejoindre un autre. Malgré tout, on reste dans un centrisme émollient. Et en vérité, sur bien des sujets, je ne perçois même pas ce qui distingue la gauche Glucksmann de la Nupes, dont il faisait partie auparavant.

Quoi qu’il en soit, il est indéniable qu’il y a aujourd’hui une place pour la social-démocratie antitotalitaire, ce qui est plutôt rassurant. Je préfère voir un Glucksmann à 13 % plutôt qu’un Mélenchon à 10 %.

Peut-on s’attendre à une nouvelle alliance des gauches lors des législatives à venir ?

Il est difficile de le dire. À cette heure, je doute que les premiers intéressés puissent eux-mêmes répondre à cette question. Toutefois, l’histoire nous a montré que la gauche est souvent plus intelligente que la droite, étant capable de tisser des alliances quand elle y voit son intérêt. Quitte à s’allier avec le pire. Rappelez-vous de l’union de la gauche en 1981, qui avait permis au Parti socialiste de s’allier au parti le plus totalitaire d’Europe, à savoir le Parti communiste.

Une convergence des gauches n’est donc pas à exclure face à l’hystérie qui va maintenant traverser le débat politique, dévoyé par le théâtre antifasciste qui va nous faire croire à une arrivée d’Hitler au pouvoir. À peine les résultats électoraux européens étaient-ils annoncés que Manon Aubry, tête de liste LFI, s’était déjà lancée dans des déclarations allant en ce sens : « Certains pans entiers de notre système politique, médiatique et économique s’apprêtent à dire plutôt Hitler que le Front populaire », s’est-elle écriée.

Cette propagande manichéenne qui va essayer à nouveau de semer la peur chez les Français, en insinuant que le fascisme est à nos portes, nous ramène au début de notre entretien : ces tentatives d’intimidation morales ne fonctionnent plus. Pour l’heure, ce qui mérite notre attention, c’est le sens de l’histoire, car il y en a un, et il tend vers un réveil des nations et des peuples. Une lame de fond qui ne se limite pas seulement à la France, mais qui concerne toute l’Europe. Comme le disait Victor Hugo, « aucune armée ne peut résister à la force d’une idée dont l’heure est venue ».

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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