Il y a 15 ans, l’affaire Kerviel, le scandale qui a bousculé le secteur bancaire

Par Epoch Times avec AFP
27 janvier 2023 11:55 Mis à jour: 27 janvier 2023 15:35

Le jeudi 24 janvier 2008 à l’aube, Société Générale crée la stupeur en annonçant une perte de 4,9 milliards d’euros liée à une fraude d’un de ses traders, un montant colossal à deux doigts de mettre la banque au tapis.

L’affaire Kerviel est lancée. Elle deviendra l’un des symboles des excès de la finance qui entraîneront une refonte des règles bancaires.

Jérôme Kerviel, 31 ans au moment des faits, a investi à lui seul plus de 50 milliards d’euros, soit plus d’une fois et demie les réserves de Société Générale.

« C’était l’exemple emblématique des travers » de la banque d’investissement à une époque où ces établissements « avaient déjà mauvaise presse » du fait des premiers scandales liés aux « subprime » (prêts immobiliers à risque accordés aux États-Unis à des ménages peu solvables), explique à l’AFP Éric Dor, directeur des Études économiques à l’école de commerce IESEG.

« Une saga, presque un feuilleton télévisé »

L’annonce de Société Générale précède de quelques mois la faillite de la banque américaine Lehman Brothers, qui précipitera le système financier mondial dans la pire crise depuis le krach boursier de 1929.

C’est un tel choc que le concurrent BNP Paribas juge utile d’indiquer moins d’une heure plus tard, pour rassurer le marché, que ses comptes, eux, ne révèlent « aucune perte ni aucun élément dont l’importance justifierait un avertissement particulier au marché ».

À l’ouverture de la Bourse de Paris à 9H, la cotation de l’action Société Générale, qui a également ce jour-là annoncé deux milliards d’euros de dépréciations liées aux « subprime », est suspendue à la demande de la banque.

Lorsque le groupe réalise la démesure des sommes engagées, une opération commando est organisée dans le plus grand secret pour solder les titres sur lesquels Jérôme Kerviel avait parié sans toutefois provoquer un effondrement des marchés, à une époque où les premières secousses de la crise des « subprime » se font sentir.

« Ce n’est plus la réputation de la banque qui est en jeu, mais sa survie… Et plus encore, celle du système financier mondial », témoignera dans un livre Hugues Le Bret, ex-directeur de la communication du groupe.

Une partie de l’opinion prend fait et cause pour Jérôme Kerviel, fils d’artisans bretons, contre Société Générale, vue alors par certains comme le symbole d’un capitalisme financiarisé et prédateur.

« C’est devenu très rapidement une saga, presque un feuilleton télévisé », au grand dam de la banque qui se désespère des multiples rebondissements, se souvient auprès de l’AFP David Benamou, directeur des investissements d’Axiom Alternative Investments et salarié de Société Générale à l’époque.

« Une hémorragie de talents considérable »

Pendant des mois, certains clients s’agacent auprès de leurs conseillers des frais dont ils doivent s’acquitter, accusant la banque de vouloir rembourser le trou laissé par l’ex-trader, avait raconté à l’AFP une syndicaliste CFDT, Monique Motsch, une situation évoquée aussi par M. Le Bret dans son livre.

Dans ce contexte de défiance, « énormément de gens très brillants ont quitté la banque, ça a été une hémorragie de talents considérable », raconte M. Benamou.

En quelques mois, la plupart des supérieurs de Jérôme Kerviel démissionnent ou sont licenciés, dont le dirigeant des activités de marchés Jean-Pierre Mustier et jusqu’au PDG Daniel Bouton.

Alors que Société Générale recrutait à l’époque 5000 personnes par an, les effectifs ont fondu, de 160.000 salariés au moment du scandale à 131.000 en 2022. La réduction des coûts et des risques devient l’une des priorités.

Aujourd’hui, la banque vaut trois fois et demie moins que sa grande rivale de l’époque BNP Paribas, qui avait d’ailleurs envisagé sans succès, dans la foulée du scandale, de racheter sa concurrente.

Une demi-victoire au civil

En réaction à l’affaire Kerviel et à la crise du système en 2008, les États et institutions financières internationales comme la BCE ont alors initié de vastes mesures de régulation pour renforcer la structure des banques, sécuriser les dépôts, encadrer les pratiques spéculatives et protéger ainsi l’économie réelle.

Pour autant, relève Éric Dor, tant que « le système sera, avant tout, fait pour générer le maximum de profits avec des traders dont c’est la mission et qui sont rémunérés en proportion des gains qu’ils font, vous aurez une incitation implicite à dépasser les limites ».

Jérôme Kerviel a été condamné à cinq ans de prison, dont deux avec sursis, pour abus de confiance, faux et usage de faux, et manipulations informatiques.

L’affaire est allée jusque devant la Cour de cassation.

En septembre 2016, l’ex-trader a remporté une demi-victoire au civil : la justice a ramené de 4,9 milliards à un million d’euros le montant des dommages et intérêts qu’il devait à la Société Générale.

Aujourd’hui plus discret dans les médias, il est toujours présent sur les réseaux sociaux, et notamment très suivi sur Twitter, où il n’est pas avare de bons mots.

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