Robert Ménard : « L’Europe et l’Occident doivent réapprendre à se battre »

Par Julian Herrero
16 mai 2024 07:35 Mis à jour: 16 mai 2024 07:44

Entretien – Le maire de Béziers, Robert Ménard revient pour Epoch Times sur l’arrêté qu’il a pris le 22 avril visant à instaurer un couvre-feu pour les mineurs de moins de 13 ans. La Ligue des droits de l’Homme a attaqué cet arrêté. L’élu de la commune de l’Hérault répond également aux questions de la rédaction sur l’individu sous le coup d’une OQTF qu’il a refusé de marier, Reporters sans frontières et la guerre en Ukraine.

Epoch Times – Monsieur le maire, la Ligue des droits de l’Homme a attaqué l’arrêté municipal que vous avez pris le 22 avril en dénonçant des « décisions illégales » allant « contre l’État de droit ». Quelle est votre réaction ?

Robert Ménard – Ce n’est pas la première fois que la Ligue des droits de l’Homme nous attaque sur ce registre-là puisqu’on a pris un arrêté du même type quand je suis devenu maire en 2014 et l’association avait immédiatement porté plainte. Nous avions gagné en première et deuxième instance, et finalement, la Ligue des droits de l’Homme a gagné devant le Conseil d’État quatre ans plus tard.

Cette longue procédure ne nous a pas permis de mener à bien une expérimentation. Or, ce que je m’évertue à dire, c’est que je ne fais pas plus que tout autre maire. Je ne sais pas si un arrêté de ce type sera efficace pour lutter à la fois contre des jeunes qui s’en prennent à des personnes de leur âge ou à des adultes, ou pour protéger les jeunes en question. Ce que je souhaite, c’est qu’on fasse une expérimentation et qu’on essaie avant de dire quoi que ce soit. Si demain, ça s’avère inutile, je suis prêt à arrêter.

Mais vous savez, c’est un peu comme l’uniforme à l’école. En 2014, j’avais demandé la mise en place d’expérimentations en matière de port d’uniforme. À l’époque, personne ne voulait en entendre parler. Aujourd’hui, le Premier ministre lui-même y est favorable et nous a aidé, comme d’autres communes, à faire cette expérimentation. À Béziers, il y a aujourd’hui plus de 700 enfants qui portent l’uniforme. Le gouvernement est d’accord pour que cette expérimentation dure deux ans et qu’on en tire toutes les conséquences.

Il faut faire la même chose avec le couvre-feu des mineurs puisque nous constatons à Béziers comme ailleurs, que les auteurs de faits de violences sont de plus en plus jeunes. Aujourd’hui, il me semble qu’expliquer à un enfant de moins de 13 ans qu’il ne doit pas être tout seul dans la rue après 23h est une affaire de bon sens. Il n’y a que la Ligue des droits de l’Homme et quelques autres politiciens pour penser le contraire. Si vous demandez aux habitants de Béziers ce qu’ils en pensent, ils sont évidemment, comme le reste des Français, massivement favorables à cette mesure.

Depuis la mise en place de ce couvre-feu à Béziers, on a arrêté un certain nombre de ces enfants qu’on a ramenés chez leurs parents.

Vous l’avez rappelé, cela fait plusieurs années que la Ligue des droits de l’Homme vous attaque. Que cherche à faire la LDH ? Pourquoi s’acharne-t-elle sur vous depuis 2014 ?

Tout simplement parce que la Ligue des droits de l’Homme n’est pas une organisation qui défend les droits de l’homme. J’ai été à la tête de Reporters sans frontières pendant plus de 20 ans. La ligue des droits de l’Homme, je la connais par cœur. Elle est composée de militants politiques. Il y a, par exemple, un certain nombre d’autres communes sur la Côte d’Azur qui mettent en place depuis des années des arrêtés pour empêcher les enfants de moins de 13 ans d’être tout seul dans la rue après 23h. Et la Ligue des droits de l’Homme ne s’en est jamais soucié.

Cela signifie que cette association ne fait que de la politique et n’a que faire de l’intérêt des enfants, des familles, et même des droits de l’Homme. Ils les utilisent pour faire de la politique.

Leurs prises de position, que ce soit sur ce qu’il s’est passé le 7 octobre en Israël et ensuite à Gaza, ou sur d’autres sujets, sont uniquement guidées par des choix idéologiques.

La Ligue des droits de l’Homme n’est pas pétrie de bon sens ou de réalisme, mais plutôt d’idéologie et d’idées toutes faites.

Le 23 avril, vous avez été auditionné par la police parce que vous avez refusé de marier un individu sous le coup d’une OQTF. Est-ce illégal de refuser de marier une personne sous OQTF ? La personne doit par définition obligatoirement quitter le territoire, mais en même temps, on ne peut pas refuser de la marier. Il y a comme une contradiction.

Absolument, c’est illégal et je l’ai fait. L’article 12 de la Convention européenne des droits de l’homme dit qu’en aucun cas, on ne peut refuser de marier un individu parce que cela relève de sa vie privée. Mais honnêtement, il faut être tombé sur la tête pour affirmer ce genre de chose.

On me demande de marier quelqu’un, c’est-à-dire d’établir un acte officiel que je signe en tant que maire, et de me retrouver face à quelqu’un qui fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire et qui, par conséquent, ne devrait pas être en face de moi. C’est surréaliste.

J’ai donc refusé de faire le mariage une semaine avant qu’il n’ait lieu. Pendant une semaine, j’ai contacté au moins deux ministres, le préfet, le sous-préfet, les responsables de la police de l’air et des frontières pour leur rappeler qu’ils avaient délivré une obligation de quitter le territoire et qu’ils peuvent venir le chercher étant donné que je sais où il est. L’individu en question avait rempli des documents officiels à la mairie. Il avait lui-même précisé aux services de la ville qu’il était en situation illégale, qu’il avait eu des problèmes avec la police parce qu’il avait commis des vols avec violence, et qu’il faisait l’objet d’une obligation de quitter le territoire. Et moi, on m’oblige à le marier. C’est une plaisanterie ! Je ne le ferai pas.

Vous êtes co-fondateur de Reporters sans frontières, une ONG actuellement dirigée par Christophe Deloire et qui a fait la Une des médias il y a quelques mois quand le Conseil d’État a rendu sa décision d’enjoindre « l’autorité indépendante Arcom de réexaminer dans un délai de 6 mois le respect par la chaîne Cnews de ses obligations en matière de pluralisme et d’indépendance ». RSF avait saisi le Conseil d’État en 2022. Quel regard portez-vous sur RSF et la décision du Conseil d’État ?

J’ai été à la tête de Reporters sans frontières pendant plus de 20 ans. Je l’ai créé avec trois amis à Montpellier en 1985. Vous imaginez l’attachement que je ressens pour RSF depuis que je l’ai quitté.

Je m’étais fixé une règle. Ne jamais parler de Reporters sans frontières. Mais j’estime aujourd’hui, qu’ils ont dépassé les bornes.
J’ai passé une partie de vie à me rendre dans le monde entier pour tenter de sortir des gens de prison. Et je ne leur ai jamais demandé leur opinion. Pourtant, je sais qu’un certain nombre avait des opinions à l’opposé des miennes. Mais ce n’était pas le débat. Je trouvais anormal et je continue de trouver anormal le fait d’emprisonner quelqu’un pour ses idées. C’était ça la mission de Reporters sans frontières et non pas de faire de tri entre les bonnes et les mauvaises opinions.

Aujourd’hui, Reporters sans frontières a trahi sa mission. C’est une organisation que j’ai co-créée pour lutter contre la censure et elle en est devenue volontairement un instrument. Des organisations comme Reporters sans frontières, la Ligue des droits de l’Homme et Amnesty International, qui, à l’époque, défendaient les droits de l’Homme, sont devenues des organisations très politisées. RSF ne défend pas la liberté de la presse, mais fait de la politique. J’ai honte de ce qu’il s’est passé et je le vis comme une trahison.

RSF prône également la labellisation de l’information. Qu’en pensez-vous ?

Je connais plein de régimes autoritaires qui ne rêvent que d’une chose, labelliser. Ce n’est pas le rôle de Reporters sans frontières. Nous avions longtemps débattu à l’époque sur ce qu’est la liberté de la presse, ce qu’il faut dire ou ne pas dire. Mais finalement, nous avons choisi de prendre la question à l’envers. On s’est demandé ce que sont les atteintes à la liberté de la presse. C’est tout de suite devenu plus simple puisque, par exemple, on tombe d’accord pour dire que mettre en prison des journalistes ou censurer un journal constituent des atteintes à la liberté de la presse.

Voilà la démarche qu’il faut avoir. Cela ne m’intéresse en rien de savoir ce que Reporters sans frontières pense de l’information. Ses opinions n’ont pas lieu d’être. RSF ne doit pas donner son opinion, mais permettre aux gens de donner la leur. Ce n’est pas la même chose.

La guerre en Ukraine fait toujours rage. Les troupes russes progressent. Comment analysez-vous la situation ? Soutenez-vous la proposition d’Emmanuel Macron d’envoi de troupes en Ukraine ?

Je suis absolument d’accord avec ce que dit Emmanuel Macron. Je regrette seulement qu’il ait cru, au début de la guerre, que sa seule force de conviction arriverait à faire revenir Vladimir Poutine dans le droit chemin.

Il cherchait à discuter avec lui quand plus personne ne le faisait. C’est prendre la France pour ce qu’elle n’est malheureusement plus. La France ne pèse plus assez pour imposer quelque chose au président russe. D’ailleurs, je ne sais même pas qui pourrait lui imposer quoi que ce soit.

Encore une fois, je soutiens l’envoi de troupes en Ukraine, mais on ne peut pas affirmer que ce qu’il se passe en Ukraine concerne toute l’Europe, que ce que menace la Russie en Ukraine, à savoir la liberté, est quelque chose qui est au cœur des valeurs de l’Europe, et en même temps, dire que notre soutien à Kiev doit s’accompagner de certaines limites. Non, il ne doit pas y en avoir. La Russie ne s’en impose aucune. Et demain, si par malheur, elle gagnait la guerre, elle ne s’arrêterait pas en Ukraine. Sans une Ukraine libre, il n’y a pas d’Europe libre.

Souvenez-vous de la lâcheté qui a guidé certains politiques dans les années 1930 vis-à-vis de l’Allemagne nazie. Ils disaient qu’Hitler pouvait intervenir en Tchécoslovaquie et en Pologne et qu’il n’irait pas plus loin. Nous avons vu le résultat. C’est la même chose avec Vladimir Poutine. Il ne s’arrêtera pas.

Certains affirment que nous devons garder les armes chez nous et qu’il ne faut pas les envoyer en Ukraine alors que c’est nécessaire. Les armes sont destinées à défendre la France et la démocratie française. Si nous n’aidons pas Kiev et si le pays est battu, la démocratie en France serait en danger. Je soutiens donc l’envoi de troupes évoqué par Emmanuel Macron et Dieu sait que je ne suis pas macroniste.

La Russie et la Chine communiste se rapprochent de plus en plus. Comment l’Occident doit, selon vous, se préparer face à ces puissances qui lui sont hostiles ?

Nous avons cru pendant 70 ans qu’il n’y aurait plus de guerre en Europe, que le monde avait changé et que l’histoire était arrivée à son avènement puisque la plupart des pays étaient devenus des démocraties. Et aujourd’hui, on découvre que l’histoire est tragique et que les droits de l’Homme, la démocratie et la liberté ne vont pas de soi. Il faut les défendre. Pour cela, il faut redécouvrir que nous avons des ennemis, notamment la Russie, la Chine ou encore l’Iran et l’Azerbaïdjan.

Face à ces pays, nous devons nous défendre, prendre des risques et il faut parfois malheureusement s’oublier personnellement et se dire qu’il y a des combats qui valent mieux que soi-même.

J’ai passé ma vie dans des zones de guerre, et la guerre, elle s’impose à vous. Face à vos ennemis, vous ne pouvez pas vous permettre de tenir un discours lénifiant. Vous devez vous battre. L’Europe et l’Occident doivent réapprendre à se battre.

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