Sanctionner les communications mensongères au moment des OPA

22 novembre 2017 08:10 Mis à jour: 21 novembre 2017 22:51

Après une période de repli, les opérations de fusions et acquisitions se multiplient de nouveau à l’échelle internationale. L’offre publique d’achat de Broadcom sur Qualcomm début novembre 2017 marque les esprits par son ampleur : visant à devenir le numéro 3 mondial des puces pour mobiles, Broadcom ne met pas moins de 100 milliards de dollars sur la table pour acquérir Qualcomm. Les dirigeants de Qualcomm ont à l’unanimité rejeté l’offre en mettant en avant la faiblesse du prix proposé par l’acquéreur.

Le contexte de l’OPA sur Qualcomm.

Batailles de communication
Lors de ces opérations, on assiste souvent à de véritables guerres de communication pour faire monter les enchères ou véritablement faire échouer l’opération. Avec des discours qui varient du tout au tout en quelques semaines. Non, cette offre n’apportera rien de bon à l’entreprise, il y a peu de synergies possibles entre les deux structures, elle doit être rejetée ; tels sont les discours visibles dans la presse le plus souvent au début de la « bataille ». Puis tout à coup, quelques semaines ou mois plus tard, les propositions financières ayant été sensiblement réévaluées, le message change : les synergies deviennent envisageables (et se chiffrent en millions), les entreprises présentent des complémentarités intéressantes, et la prise de contrôle pourrait finalement apporter de nouvelles perspectives à la société…

Peu semblent s’étonner de ce type de communication financière, pourtant assez largement manipulatoire, avec des conséquences importantes dans une période où ces opérations sont devenues plus fréquentes.

Le gouvernement français en place ne cesse de répéter qu’il faut introduire davantage de flexibilité pour les entreprises, mais ne faudrait-il pas plutôt davantage de contraintes dans ce domaine précis ? Est-il normal que des « histoires » soient ainsi régulièrement racontées aux actionnaires ? Doit-on considérer comme acceptable que certaines entreprises puissent émettre, au cours du processus d’offre, des informations contradictoires dont certaines forcément mensongères ou du moins trompeuses ? Nous ne le pensons pas.

Mieux protéger les actionnaires individuels
Nous avons montré dans nos recherches, par le biais d’une étude expérimentale, comment les communications faites par les entreprises dans de tels contextes influencent la perception de l’offre qu’ont les actionnaires et in fine leur décision de conserver ou vendre leurs actions.

Le sujet n’est donc pas anodin. Les montants en jeu sont proprement colossaux. En 2015, les OPA et OPE sur le marché français ont engendré des échanges d’actions pour un montant record supérieur à 29 milliards d’euros. En 2016, année plus classique, les acquisitions s’étaient malgré tout élevées à pas moins de 5,5 milliards (« observatoire des offres publiques », Ricol Lasteyrie). Les budgets de communication sont à la hauteur des enjeux, considérables.

Les pouvoirs publics ne sont pas complètement inertes dans ce domaine. En 2004, une directive a été adoptée par l’Union européenne, avec l’objectif de fournir aux personnes auxquelles s’adressent les offres publiques, toutes les informations nécessaires à une prise de décision fondée.

Cette directive a été transposée en droit français en 2006. En 2009, l’Autorité des Marchés Financiers est à nouveau intervenue afin de mettre en garde les investisseurs contre les campagnes de communication à caractère commercial, voire promotionnel ; ce qui revient à pointer du doigt l’absence de neutralité des communications. Si les investisseurs sophistiqués (professionnels) voient clair dans le jeu des entreprises, il est avéré que les actionnaires individuels risquent toujours d’être influencés dans un sens qui leur est défavorable.

https://www.youtube.com/watch ?v=ynKAmv4iPak

OPA : bien s’informer (vidéo AMF).

Mieux les protéger est aujourd’hui une urgence. Une étude récente montre que les « petits » actionnaires sont fidèles aux entreprises dans lesquelles ils investissent(« Actionnaires individuels, cassons les idées reçues », Havas Paris.). Ces dernières ont donc beaucoup à gagner à faire preuve de davantage d’honnêteté.

S’ils ne se faisaient pas régulièrement « trimballer », s’ils se sentaient davantage en confiance, les petits actionnaires seraient très probablement plus nombreux à contribuer au financement des entreprises nationales. Un objectif aujourd’hui considéré comme prioritaire.

Emmanuelle Nègre, Maître de Conférences en sciences de gestion, Toulouse School of Management Research, Université Toulouse 1 Capitole

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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