Décidé à complètement reprendre le contrôle du Nagorny-Karabakh, l’Azerbaïdjan, qui a lancé mardi une opération militaire contre cette enclave séparatiste, a profité de plusieurs facteurs : une Arménie affaiblie et isolée, des Occidentaux qui regardent ailleurs et le jeu trouble de la Russie.
L’offensive s’apparente à un succès pour Bakou : les séparatistes arméniens ont accepté dès mercredi de déposer les armes et de négocier et un cessez-le-feu a été annoncé. Mais de nombreuses inconnues subsistent sur les objectifs de l’Azerbaïdjan, la situation intérieure en Arménie et le jeu des puissances régionales et internationales.
Depuis la fin de la guerre de 2020, qui s’est soldée par une cuisante défaite de l’Arménie, l’Azerbaïdjan avait repris le contrôle des régions autour du Nagorny-Karabakh, mais pas de ce territoire lui-même. « L’Azerbaïdjan a très clairement l’intention de mettre fin à la situation actuelle », explique Marie Dumoulin, de l’European Council of Foreign Relations (ECFR). Cette enclave séparatiste en Azerbaïdjan majoritairement peuplée d’Arméniens est au coeur d’un long conflit entre Bakou et Erevan, qui se sont livré deux guerres depuis la fin des années 1980, en 1988-1994 et à l’automne 2020.
« Le choix entre la valise et le cercueil »
La communauté internationale reconnaît que ce petit territoire montagneux fait partie de l’Azerbaïdjan. l’Arménie s’y était finalement résignée après sa défaite d’il y a trois ans mais elle voulait une négociation sur le statut de l’enclave et les droits de ses habitants. « À l’évidence, Bakou n’est pas prêt à négocier sur ce sujet, qu’il considère comme une question intérieure », pour Marie Dumoulin. « Du point de vue azerbaïdjanais, il s’agit d’une région parmi d’autres et sa population n’a pas à bénéficier de droits différents. »
« Il y a une volonté de procéder à un nettoyage ethnique en règle », affirme pour sa part Tigrane Yegavian, chercheur à l’Institut chrétien d’Orient, reprenant une accusation récurrente des Arméniens. « Il n’y aura pas de statut d’autonomie culturelle » pour le Nagorny-Karabakh et ses habitants arméniens auront désormais « le choix entre la valise et le cercueil », assène-t-il. De son côté, Bakou affirme régulièrement qu’Arméniens et Azerbaïdjanais vivront côte à côte en bonne intelligence.
L’attaque azerbaïdjanaise « fait suite à neuf mois de blocus (par l’Azerbaïdjan) du Nagorny-Karabakh, qui s’est accentué depuis la mi-juin. La population arménienne est affaiblie physiquement, la nourriture et les médicaments manquent », souligne sur X (anciennement Twitter) Laurence Broers, de Chatham House. « L’Azerbaïdjan est en train de cueillir le Haut-Karabakh comme un fruit mûr », renchérit Tigrane Yegavian.
L’Europe et la Russie lâchent l’Arménie
Bakou a profité d’un contexte régional et international favorable pour déclencher son opération militaire. Au niveau régional, le soutien de la Turquie lui est acquis, et la Russie, traditionnel poids lourd dans le Caucase et alliée de l’Arménie, est occupée avec sa guerre en Ukraine. « Moscou n’est sans doute plus en mesure de jouer son rôle d’arbitre et a aujourd’hui davantage besoin de l’Azerbaïdjan, notamment parce que c’est par l’Azerbaïdjan que transitent les armes en provenance de l’Iran » vers la Russie, explique Marie Dumoulin. « La Russie n’a ni la volonté ni les capacités nécessaires pour soutenir le gouvernement (séparatiste) arménien au Karabakh », écrit Kirill Shamiev, de l’ECFR.
L’Europe constitue un soutien naturel de cette petite démocratie qu’est l’Arménie, situé entre deux pays autoritaristes et alliés, la Turquie et l’Azerbaïdjan. Mais les Européens qui s’efforcent depuis le début de la guerre en Ukraine de réduire leur dépendance aux hydrocarbures russes, ont signé en 2022 un accord gazier avec Bakou. Un autre partenariat avec l’Europe concerne la fourniture d’électricité via un câble électrique entre la Hongrie et l’Azerbaïdjan. »(LesEuropéens) ont sans doute été enclins à fermer les yeux », affirme Mme Dumoulin. Pour le journaliste Patrick Cohen dans C à vous, les Arméniens ont toutes les raisons de se sentir abandonnés, lâchés pas seulement par les Russes mais aussi par les Européens. Car à l’inverse de l’Azerbaïdjan, « l’Arménie n’a ni pétrole ni gaz ni débouché sur la mer », précise P. Cohen.
« Un vrai risque d’escalade »
Pour le moment, le scénario d’une nouvelle guerre entre Arménie et Azerbaïdjan semble écarté, le Premier ministre arménien Nikol Pachinian ayant manifesté sa volonté de tenir son pays à l’écart. Mais cette politique est très contestée en Arménie même, où M. Pachinian est accusé d’avoir « sacrifié » le Nagorny-Karabakh sur l’autel d’une paix illusoire avec son voisin azerbaïdjanais. Mardi, à Erevan, des manifestants rassemblés devant le siège du gouvernement l’ont qualifié de « traître » et exigé sa démission. Le Premier ministre a pour sa part mis en garde contre « un coup d’État » en Arménie.
Par ailleurs, les objectifs de guerre de l’Azerbaïdjan vont-ils s’arrêter au Nagorny-Karabakh ? Certains experts estiment que Bakou pourrait chercher à pousser son avantage et lancer des opérations dans le sud de l’Arménie afin de créer une continuité territoriale avec l’enclave azerbaïdjanaise du Nakhitchevan. « L’Arménie serait alors contrainte d’entrer en guerre », pense Mme Dumoulin, qui met aussi en garde contre « un vrai risque d’escalade » dans cette région frontalière de l’Iran.
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