Saoudienne accueillie au Canada: un « coup » politique pour Justin Trudeau (experts)

14 janvier 2019 11:18 Mis à jour: 14 janvier 2019 11:25

En accordant l’asile à une jeune Saoudienne fuyant sa famille, le gouvernement de Justin Trudeau a réussi un « coup » politique à quelques mois des législatives au Canada, estiment plusieurs experts, toutefois partagés sur ses conséquences diplomatiques en pleine crise avec Ryad.

L’arrivée samedi à l’aéroport de Toronto de Rahaf Mohammed al-Qunun, accueillie par la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland en personne, a fait l’objet d’une mise en scène soignée devant les caméras du monde entier.  Prenant par l’épaule la jeune femme de 18 ans, Mme Freeland, tout sourire, en a profité pour rappeler les grands principes de la diplomatie canadienne sous l’ère Trudeau: les droits humains, et notamment ceux des femmes, en Arabie ou ailleurs, sont et resteront une priorité du gouvernement.

Pour Ferry de Kerckhove, ancien ambassadeur et politologue à l’université d’Ottawa, « c’est très bon sur le plan humanitaire, mais c’est aussi un très très bon coup pour le Premier ministre et pour le Canada ». « Il fallait voir le sourire radieux de Mme Freeland quand elle a accueilli la jeune femme, on sentait qu’ils avaient marqué un point de plus contre ces horribles Saoudiens qui ont dépecé (le journaliste Jamal) Khashoggi », a-t-il déclaré à l’AFP.

La jeune Saoudienne, barricadée pendant plusieurs jours dans une chambre d’hôtel de Bangkok et armée de son seul téléphone portable, avait suscité une mobilisation internationale via Twitter en dénonçant les pressions psychologiques et physiques que sa famille lui infligeait selon elle. Et en expliquant qu’elle risquait la mort si elle retournait dans son pays, notamment parce qu’elle envisage de renoncer à l’islam. Le Canada lui avait finalement accordé l’asile. Samedi, la jeune fille commençait sa nouvelle vie à Toronto.

« A un moment où l’image de l’Arabie saoudite à l’étranger est ternie par l’assassinat des critiques du régime, je ne peux imaginer qu’il n’y ait pas eu joie intense au sein du gouvernement, mêlée au sentiment sincère de vouloir protéger une réfugiée », déclare à l’AFP Amir Attaran, professeur à l’université d’Ottawa. Ottawa et Ryad traversent une crise diplomatique sans précédent depuis l’été dernier. L’Arabie saoudite avait annoncé en août l’expulsion de l’ambassadeur du Canada, rappelé le sien, forcé le départ de milliers d’étudiants et gelé tout nouveau commerce ou investissement avec le Canada.

Cette décision faisait suite à un tweet d’Ottawa appelant à la libération immédiate de militants saoudiens des droits humains arrêtés peu avant. Parmi eux, Samar Badaoui, sœur du blogueur emprisonné Raef Badaoui, dont la femme et les trois enfants vivent réfugiés au Québec.  Pour Bessma Momani, professeure à l’université de Waterloo, le Canada « s’est rangé du bon côté de l’histoire » sans prendre un grand risque diplomatique. « Nos relations bilatérales avec l’Arabie saoudite sont déjà à leur plus bas historique, donc elles peuvent difficilement tomber plus bas », souligne-t-elle dans une tribune au quotidien Globe and Mail.

Pour Mme Momani, la jeune Saoudienne, en utilisant les médias sociaux pour attirer l’attention du monde entier sur le sort des femmes dans son pays, a « ouvert une boîte de Pandore que seule l’Arabie saoudite peut refermer ».  Dimanche soir, les autorités saoudiennes n’avaient toujours pas réagi officiellement. « En brûlant leurs liens politiques, éducatifs et financiers avec le Canada, ils n’ont gardé aucun levier leur permettant de répliquer efficacement au Canada aujourd’hui », estime M. Attaran.

« Je pense qu’ils vont rester plutôt coi », prédit M. de Kerckhove. « Ma seule inquiétude serait que les Saoudiens se vengent sur M. Badaoui, ce serait assez moche. J’espère que l’affaire Khashoggi les en empêchera ».

Reste que pour Justin Trudeau, ce « coup » politique, même s’il n’était pas prémédité, tombe plutôt bien: en octobre se tiendront les élections législatives au cours desquelles il briguera un second mandat. Même s’il reste en tête des sondages, le Premier ministre libéral est de plus en plus malmené par l’opposition, et par les manifestants lors des meetings, sur plusieurs sujets: immigration, taxe carbone, environnement… Un autre sujet épineux continue de hanter l’exécutif: un contrat controversé de 15 milliards de dollars portant sur la vente de blindés légers à Ryad, signé par le précédent gouvernement conservateur.

Justin Trudeau, sous la pression d’une partie de l’opinion et des défenseurs des droits humains, assure chercher les moyens de ne pas honorer ce contrat. Mais le prix à payer serait élevé: Ottawa devrait débourser des milliards de dollars de pénalités, et assumer les conséquences électorales en Ontario où plusieurs milliers d’emplois sont en jeu.

D.C avec AFP

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