Schneider Electric a annoncé le 5 septembre 2017 un accord pour fusionner ses activités de logiciels industriels avec celles de la société d’ingénierie informatique britannique Aveva. Il s’agit de la troisième tentative de Schneider Electric pour s’allier avec Aveva. Selon la présentation faite aux investisseurs Schneider Electric détiendra 60 % du nouveau ensemble élargi valorisé à environ 1,7 milliard de livres sterling et les actionnaires d’Aveva conserveront les 40 % restants. Quels sont les éléments qui motivent à nouveau cette opération ?
Schneider Electric, un des leaders mondiaux de la maîtrise de l’énergie et de l’automatisation, présent dans plus de 100 pays avec 160 000 collaborateurs, a beaucoup grossi par croissance externe. Cette stratégie transparaît d’ailleurs très clairement dans le bilan consolidé de Schneider Electric avec un good will (survaleurs d’acquisition) de 17,8 milliards d’euros à fin 2016 (rapport annuel 2016) qui représente 42,5 % du total de ses actifs consolidés fin 2016.
En procédant à une nouvelle offre sur Aveva, Schneider Electric poursuit cette politique sur fond de Brexit, avec l’objectif de devenir leader dans les logiciels industriels et de créer de la valeur pour les clients comme pour les actionnaires.
Un nouveau projet dans un contexte de Brexit
Le Groupe souhaitait déjà depuis plusieurs années acquérir une participation majoritaire dans Aveva. Une première annonce avait été faite en juillet 2015 et l’acquisition, pour 1,3 milliard de livres sterling aurait dû prendre la forme d’une fusion à l’envers (reverse takeover).
Schneider Electric aurait détenu 53,5 % du nouveau groupe et il était prévu qu’Aveva garde son indépendance. À l’époque Aveva réalisait un chiffre d’affaires de 534 millions de livres sterling pour un résultat ajusté de 130 millions de livres mais l’opération avait finalement été abandonnée. En juin 2016, Schneider Electric avait réitéré sa volonté de combiner son activité de logiciels industriels avec Aveva. Une fois encore, la transaction n’avait pas abouti.
Cette annonce est donc la troisième initiée par la multinationale pour tenter de regrouper ses activités d’ingénierie informatique avec celles d’Aveva. Toutefois, le contexte nous semble différent. En effet, cette opération intervient après le referendum sur le Brexit et dans une période où les cours du pétrole peinent à remonter. Pour la société britannique, ce nouvel environnement crée des incertitudes d’autant plus qu’Aveva affiche encore une forte dépendance au secteur pétrolier. Selon la présentation sur l’accord avec Aveva, environ 40 à 45 % de son chiffre d’affaires est réalisé avec des clients dans le pétrole et le gaz.
Du côté de Schneider, les risques sont limités. S’agissant de prestations intellectuelles, il n’y a pas de réelle crainte à avoir sur de potentiels droits de douane applicables à des biens importés/exportés entre l’Europe et le Royaume-Uni lorsque le Royaume-Uni sera définitivement sorti de l’Europe.
Enfin, avec une livre sterling quasiment au plus bas (le 5 septembre 2017, la livre s’échangeait à 1,09 euro contre 1,23 euro le lendemain du référendum sur le Brexit), l’acquisition devrait être réalisée à un prix beaucoup plus intéressant qu’elle ne l’aurait été avant le 23 juin 2016.
L’accord prévoit que Schneider Electric apporte les actifs de Schneider Electric Industrial Software et verse 550 millions de livres sterling (597 millions d’euros) aux actionnaires d’Aveva. Un montant très raisonnable pour Schneider Electric qui a réalisé presque 25 milliards d’euros de chiffres d’affaires pour son exercice 2016 et dispose de 2,8 milliards de liquidités à fin décembre 2016. Aveva devra de son côté décaisser 100 millions de livres (109 millions d’euros) de ses réserves de trésorerie pour compenser ses actionnaires.
Devenir un leader dans le développement de logiciels pour l’industrie
Cette acquisition concerne Schneider Electric Industrial Software et les activités de logiciels industriels que le groupe souhaite développer encore en complémentarité de son cœur de métier.
La combinaison des deux parties permettra de couvrir des secteurs plus variés. Aveva est réputé pour sa longue expérience dans l’industrie pétrolière et gazière, l’énergie ou le secteur maritime alors que Schneider Electric est reconnu pour son expertise dans les logiciels industriels dans les secteurs des produits chimiques, de la pharmacie et de l’industrie agroalimentaire notamment. Aveva utilise des technologies de pointe pour développer des logiciels sophistiqués intégrés dans les navires ou les centrales nucléaires notamment. Le groupe britannique dispose de plus d’une solide base de 4000 clients avec 77 % de revenus récurrents.
En joignant son activité à celle de Schneider Electric, Aveva devrait réduire encore la place prépondérante de son activité liée au secteur du pétrole et du gaz telle que nous l’avons évoqué précédemment. Un point important car la baisse prolongée des cours du pétrole a eu un impact sur les investissements des groupes pétroliers et sur les négociations tarifaires (à la baisse) qu’ils ont pu mener avec leurs différents fournisseurs.
L’alliance permettra aussi une couverture géographique plus large : Schneider Electric étant particulièrement présent en Amérique du Nord, en Amérique latine quand Aveva est fortement implanté en Asie Pacifique, Europe, Moyen-Orient et Afrique. Enfin, les cultures différentes devraient permettre de mieux répondre aux attentes de clients internationaux. Aveva basé à Cambridge bénéficie d’un environnement dynamique en matière d’innovation et de recherche et développement ce qui facilitera aussi le recrutement de talents.
À notre avis, cette opération prend tout son sens compte tenu de la complémentarité des deux protagonistes en matière de compétences métiers, de présence géographique et de culture. D’ailleurs comme le précise Jean‑Pascal Tricoire, PDG de Schneider Electric, elle devrait permettre de constituer « un environnement et une structure propices pour que les équipes informatiques puissent développer significativement leur activité » et de créer « un leader mondial dans le secteur des logiciels pour l’industrie » selon Philip Aiken, le PDG d’Aveva.
Créer de la valeur pour les clients et pour les actionnaires
Avec les apports d’Aveva, un pionnier du design en 3D et regroupant 1 700 personnes au niveau mondial dont 650 collaborateurs en R&D sur plus de 50 implantations, les deux partenaires pourront bénéficier mutuellement de leurs efforts en recherche et développement. Un élément clef qui permettra au nouvel ensemble de mieux cerner les attentes des clients (value proposition) à l’international et d’accroître les possibilités de ventes croisées.
Selon la présentation aux investisseurs du 5 septembre, l’acquisition devrait entraîner une amélioration de la marge sur l’activité logiciels industriels. Si Schneider Electric Industrial Software réalise plus de deux fois le chiffre d’affaires d’Aveva avec 441,7 millions de livres sterling à fin mars 2017 contre 215,8 millions de livres sterling (chiffres calculés à fin mars 2017 mais non audités), le taux de marge ajusté avant intérêt, impôts et amortissements (EBITA/chiffre d’affaires) ressort à 20,6 % pour Schneider Electric contre 25,3 % pour Aveva. En combinant les deux parties, ce ratio atteindrait les 22,2 % et améliorerait donc le taux de marge du groupe Schneider Electric pour cette activité. Le chiffre d’affaires du nouvel ensemble est évalué à 657, 5 millions de livres sterling à fin mars 2017 pour un résultat ajusté (EBITA) de 145,8 millions de livres sterling (chiffres estimés). Dans l’information financière communiquée sur l’opération, il est précisé que la valorisation d’Aveva, calculée avec le cours de clôture du groupe britannique au 4 septembre 2017 correspond à environ 1,7 milliard de livres sterling (1,84 milliard d’euros) ce qui « représente un multiple de valeur d’entreprise sur Ebita ajusté prévu d’environ 19 fois pour Schneider Electric Software, du même ordre que celui d’Areva ».
Selon la BBC dans Aveva to merge with Schneider Electric in 3 millards de livres deal, il s’agit de l’acquisition d’un autre « bijou de la couronne technologique britannique » tout comme le rachat de la start-up DeepMind dans le domaine de l’intelligence artificielle par Google en 2014 ou l’an passé celui de ARM Holdings par Softbank pour 24 milliards de livres.
Cette transaction qui se base sur une complémentarité d’expertises, de présence géographique et de culture mais initiée dans un contexte de Brexit et avec un pétrole toujours assez bas nous semble cette fois motivée par des bases solides pour permettre au nouvel ensemble de devenir un leader dans les logiciels industriels.
On peut de plus imaginer que le regroupement d’Aveva avec Schneider Electric Industrial Software donnera lieu à des synergies opérationnelles. Elles sont mentionnées dans la présentation de l’accord mais nous regrettons que leur impact ne soit pas chiffré. Ainsi, il n’est donc pas impossible que des mesures de réductions de coûts soient mises en place.
Aveva a recommandé à ses actionnaires d’approuver l’opération qui devrait se clôturer fin 2017. Une transaction qui devrait être créatrice de valeurs pour les actionnaires comme pour les clients. Cette dernière sera soumise à l’approbation des actionnaires d’Aveva lors d’une assemblée générale extraordinaire le 29 septembre 2017 ainsi qu’à celles des autorités compétentes. Le groupe britannique, issu d’un spin-off de l’Université de Cambridge est coté à la bourse de Londres depuis 1996 et devrait le rester.
Certains points de gouvernance restent à définir comme le choix d’un PDG pour le nouvel ensemble mais la direction opérationnelle devrait être confiée à Ravi Gopinath de Schneider Electric et les fonctions de directeur général adjoint et directeur financier devraient être occupées par James Kidd d’Aveva.
L’annonce a été saluée par les marchés financiers. Le 5 septembre, le titre Aveva s’est envolé. Il atteignait 24,83 livres (+29,31 %) en fin de journée valorisant la société aux alentours de 1,6 milliards de livres sterling (soit environ 1,7 milliards d’euros).
Isabelle Chaboud, Professeur associé d’analyse financière, d’audit et de risk management, Grenoble École de Management (GEM)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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