Entre les murs du centre socio-culturel de Saint-Denis, transformé pour une journée en salon improvisé, Benoît Claverie lui a fait une promesse : « un make-up léger pour le printemps », histoire de respecter les habitudes d’une femme qui, avec son jean et ses baskets, « se maquille peu ».
Le professionnel n’a pas lésiné sur les moyens pour autant. De la « poudre de diamants » pour « unifier et illuminer le teint », une poudre bronzante effet « trois semaines de soleil en trois secondes« , un rouge à lèvres framboise appliqué au pinceau « pour mieux le définir », et un soin tout particulier accordé aux « longs cils » de Fatima.
Féminité Sans Abri (https://t.co/nhJaTTXUmX) récolte des produits hygiène & beauté pour les femmes en situation de grande précarité. Très belle initiative, vs pouvez y contribuer grâce au point de collecte d’#Asnières Bohème Choc rue Maurice Bokanowskihttps://t.co/arQES9aBnQ
— Alexandre Brugère (@abrugere) 29 janvier 2019
« Wow… C’est moi, mais je me reconnais pas tout à fait ! » Devant son reflet après sa séance de maquillage professionnel avec le Secours populaire, Fatima se découvre radieuse et pétillante. Un luxe inédit, loin de ses galères d’étudiante.
« Je n’ai pas l’habitude de prendre soin de moi », confie cette trentenaire, inscrite à l’université Paris 8e. La dernière fois qu’elle a offert une coupe à sa longue chevelure brune, c’était il y a « plus d’un an » : « trop cher », explique-t-elle.
Se refaire une beauté pour oublier la précarité https://t.co/DWBpaiYJcn par @Romanuevo & @agnes_coudurier #AFP pic.twitter.com/67MT1PuXDp
— Agence France-Presse (@afpfr) February 28, 2019
« Elle est trop belle, c’est une princesse », s’extasie son amie Djouher. Algériennes toutes les deux, les jeunes femmes sont venues se faire pomponner mercredi puis ont immortalisé ce moment en posant devant un photographe professionnel.
Cette journée, c’est « moins de stress, un peu de repos, de l’estime de soi et du plaisir », témoigne Djouher. A 24 ans, elle jongle entre ses études d’anglais et des gardes d’enfants, seule source de revenus loin d’atteindre le seuil de pauvreté – fixé à 1 026 euros par mois pour une personne seule.
Une fois payés les 300 euros pour sa colocation à Fontenay-sous-Bois, la nourriture et les transports mensuels en Ile-de-France, « il ne reste pas grand-chose », confie-t-elle. Certainement pas de quoi acheter des cosmétiques. Sa seule coquetterie : « un stick à lèvres en hiver, contre les gerçures ».
La beauté d'une vie réside au creux de ces conjonctions. Voir des gens partager dans la précarité le peu qu'ils possèdent ou s'unir face au pire est bouleversant. C'est en étant témoin de ce genre d'élans qu'on trouve souvent la force de tout endurer dans une vie.
— Giovanni Carter (@Jayden_Gio) October 19, 2018
« La précarité, c’est un boulot à plein temps », raconte Annick Tamet, secrétaire générale de la fédération de Seine-Saint-Denis du Secours populaire. « On est tout le temps en train de régler des problèmes (…), donc on est tout le temps dans le stress. Et ça, ça abîme. Ça abîme y compris physiquement ».
Sur les 2,9 millions de personnes aidées par le Secours populaire chaque année, près de la moitié sont des femmes. Nombre d’entre elles « élèvent seules leurs enfants, ou jouent le rôle de chef de famille« , selon Mme Tamet.
D’où l’idée de leur offrir « une journée pour soi » : à Saint-Denis, 40 femmes ont été maquillées mercredi. Grâce à un partenariat avec LVMH, elles seront bientôt 350 à bénéficier de cette initiative dans plusieurs villes de France.
« Ça peut paraître futile mais dans la vie, on a tous droit à la futilité », poursuit Annick Tamet. « L’image qu’on envoie aux autres et qu’on se renvoie quand on se regarde dans un miroir, c’est très important. Ça vous booste. »
Le réseau Féminité sans Abri collecte produits d’hygiène et de beauté pour redonner dignité et féminité aux femmes dans la précarité. Ce lundi c’est le Local des Femmes Association Femmes SDF de Grenoble qui a pu bénéficier d’une distribution ! https://t.co/HWKDKjPnGg
— Le Bon Plan (@LeBonPlan_) 20 février 2019
Une philosophie du bien-être pour toutes qui essaime dans le monde caritatif. À Paris, l’association Joséphine pour la beauté des femmes propose coiffure, maquillage ou épilation aux plus démunies.
Née à Bordeaux, l’organisation Féminité Sans Abri collecte elle les échantillons gratuits de maquillage, de shampoing ou de parfum pour les redistribuer aux femmes SDF un peu partout en France.
Bonjour la beauté, et pourtant la précarité ( situation fragile) existe également dans la fonction publique, c'est juste une nuance à prendre en compte. Derrière les chiffres il y a des êtres humains
— Ouenja (@Ouenja) January 30, 2019
« Le maquillage, je n’y ai jamais pensé », murmure Bahija à Saint-Denis. Arrivée les traits tirés, sans aucun fard, cette mère de famille, malentendante et sans emploi, a bien du mal à se reconnaître sous le crépitement des flashs.
« J’ai pas l’habitude« , s’excuse-t-elle. « À part les pièces d’identité, moi les photos… »
Sous son masque de timidité affleure soudain un regard espiègle : avec une touche de mauve sous les paupières, du crayon sous les yeux et un rouge intense sur les lèvres, la quinquagénaire semble avoir rajeuni. « Ça fait du bien », rit-elle.
D. S avec AFP
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