Sébastien Laye : « C’est le Concours Lépine de l’inventivité fiscale qui est de retour »

Par Julian Herrero
18 octobre 2024 15:52 Mis à jour: 18 octobre 2024 17:54

ENTRETIEN – L’économiste et entrepreneur Sébastien Laye analyse pour Epoch Times le Budget 2025.

Epoch Times : Le projet de loi de finances (PLF) a été présenté la semaine dernière par le Premier ministre. Afin d’assainir les comptes publics et de ramener le déficit à 5 % du PIB, celui-ci prévoit 60 milliards d’euros d’économies. En détail, une augmentation d’impôts de 19,3 milliards d’euros, une baisse des dépenses de l’État de 21,5 milliards d’euros, un effort de 5 milliards d’euros d’économies pour les collectivités locales et une baisse de 15 milliards pour le budget de la Sécurité sociale. Comment jugeriez-vous ce budget ? Va-t-il dans le bon sens ?

La présentation de ces chiffres est délicate, notamment l’enveloppe globale de 60 milliards qui tient lieu de l’exercice de communication plutôt que d’économie budgétaire.

À son arrivée, Michel Barnier a constaté ce que tous les économistes savaient déjà, à savoir que le Budget 2024, voté à 4,4 % du PIB en déficit, dérapait vers 6,1 %, en exécution. Dans ce contexte, sur la base des premiers éléments de cadrage budgétaire hérités du précédent gouvernement, s’il ne faisait rien et reprenait le projet de Budget Attal, il fallait s’attendre encore à 6 % de déficit en 2025.

Les 60 milliards correspondent à l’effort supplémentaire pour revenir vers un déficit estimé à 5 % en 2025. En réalité, cette comparaison avec une situation virtuelle ne veut rien dire. Il est plus simple et surtout traditionnel de comparer le budget proposé dans le PLF avec le précédent.

À cette aune, l’effort demandé est de 44 milliards d’euros. Les hausses d’impôts sont certaines et prévues à 24 milliards (et elles vont probablement être accentuées par des amendements lors des débats budgétaires, comme on vient de le voir avec la flat tax ou prélèvement forfaitaire unique (PFU)) alors que nombre de réductions des dépenses sont, elles, des « paquets » généralistes, par exemple une enveloppe globale d’efforts demandés aux collectivités locales, ou à la Sécurité Sociale.

À l’arrivée, le PLF est moins équilibré qu’on ne le pensait, avec 60 % de l’effort passant par l’impôt, et 40 % par la dépense. Michel Barnier cherche surtout à enclencher une dynamique pluriannuelle, mais il n’atteindra probablement pas ces 20 milliards d’euros d’économies cette année, notamment parce qu’il a manqué de temps dans l’élaboration du budget, alors que chez nos voisins, les vrais plans de réduction de la dépense ont demandé des mois de préparation.

Je suis donc plutôt critique des détails du PLF, du fait de cette impréparation qui amène à faire feu de tout bois, à pratiquer la politique du rabot un peu partout et à tondre la niche fiscale, sans vision cohérente. Mais quelle marge de manœuvre politique et financière avait vraiment ce gouvernement ? On ne peut donc pas blâmer véritablement la démarche elle-même, dans la mesure où depuis 10 ans, aucun gouvernement n’a fait d’effort budgétaire. Malgré tout, pour des raisons sur lesquelles nous reviendrons, cet effort risque d’être inutile.

Vous êtes un économiste libéral, quelle est votre analyse sur la réduction de la dépense publique annoncée ?

À la lecture du PLF, elle est plus modeste qu’envisagée, à peine 20 milliards d’euros maximum, alors que Bruno Lemaire, par exemple, face à la dérive du budget 2024, avait trouvé en urgence rapidement 10 milliards en gelant certains crédits et qu’il avait encore identifié 10 milliards sur ces mêmes gels en demandant une loi de finances rectificative juste avant les élections européennes – refusée par Emmanuel Macron.

Un certain nombre de ministres, à l’instar de Didier Migaud à la Justice ou d’Agnès Pannier-Runnacher à la Transition Énergétique, contestent déjà les coupes les affectant. Les collectivités locales, l’Éducation ou l’hôpital récusent l’effort demandé.

Ainsi, au-delà des annonces initiales, je crains que l’effort demandé ne soit largement qu’un chemin tracé pour les prochaines années, mais que pour le Budget 2025 on n’atteigne pas l’objectif affiché. À long terme, l’objectif doit être de ramener la dépense publique rapportée au PIB dans la moyenne européenne, soit 50 % contre 57 % pour nous, soit un effort de 200 milliards. Nous sommes dans un ratio pour l’instant de 1 contre 10.

Des hausses d’impôts sont notamment prévues pour les grandes entreprises. Celles réalisant un chiffre d’affaires supérieur à un milliard d’euros verront le taux d’impôt sur les sociétés passer de 25 à 30 %. Il passe à 36 % pour les entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse 3 milliards d’euros. Il s’agit avec cette hausse de rapporter à l’État 8 milliards d’euros. Des coups de rabot sur certaines aides sont également prévus. Quelles conséquences pourraient avoir ces augmentations d’impôts sur l’économie ?

Faisons un peu d’histoire économique. « Il faut que tout change pour que rien ne change », disait le comte de Lampedusa dans Le Guépard. Barnier 2025, avec son ton d’austérité et de coupes technocratiques, c’est du Fillon 2011 ou le choc fiscal d’Ayrault de 2013. Cela n’a jamais fonctionné sans remettre à plat toute la structure de dépense de l’État.

Et si Emmanuel Macron n’a jamais baissé la pression fiscale globale – à 46% du PIB -, nous avions au moins l’impression d’une certaine stabilité. Michel Barnier rouvre la boite de Pandore des augmentations d’impôts.

À ce sujet, permettez-moi de lancer un pari osé. Déjà, en 2024, en exécution du budget, on a des problèmes avec les recettes fiscales : plus d’exports sans TVA donc moins de recettes de TVA, des contournements dans tous les sens – peut être à cause d’une résistance  fiscale, une crise de l’immobilier qui a enlevé 8 milliards de recettes en DMTO (ndlr : frais de notaires). Avec ces augmentations d’impôts, peut-être que certains acteurs ne vont pas pouvoir réagir la première année, mais la seconde, ils adapteront leurs comportements.

Je prédis qu’en 2026, Michel Barnier n’aura plus que la moitié des recettes annuelles envisagées avec ces augmentations d’impôts. Et bien sûr, la plupart des augmentations seront pérennes, les parlementaires s’en sont déjà chargé d’ailleurs sur la flat tax.

Selon l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), le Budget 2025 pourrait diviser la croissance par deux. Qu’en pensez-vous ?

Proche de Sciences Po, l’OFCE est essentiellement keynésien et donc par essence peu enthousiaste à l’idée de réduction des déficits. Cela étant, leurs calculs sur l’impact récessif de l’ajustement budgétaire est réaliste, justement parce que cet ajustement ne se fait que par des hausses d’impôts et quelques coups de rabots sur des dispositifs étatiques mais sans réelle libéralisation de notre système économique – ce qui aurait contribué positivement au PIB.

Ainsi, il faut bien en passer par une petite contraction de la croissance : mais comme la prévision initiale était de 1,1%, l’impact est somme toute modeste, avec une croissance ramenée à 0,8% en 2025.

Le risque est ailleurs, dans la dégradation des conditions macroéconomiques, les faillites post Covid, la détérioration de la croissance mondiale. Et in fine, j’attends une croissance bien plus faible en 2025, vers 0,5 %, pour des raisons tout autre que ce budget.

Par ailleurs, ce moindre PIB fait aussi – et cela peut paraître décourageant, que les recettes ne sauront pas à la hauteur des estimations du PLF, et l’OFCE place ainsi le déficit à 5,3 % du PIB en 2025. Pour ma part, même si le PLF est voté tel que présenté, on ne pourra faire mieux que 5,5%.

Après un premier examen du budget, les députés ont adopté une augmentation du taux global de la flat tax à 33 % en 2025. Une surtaxe des « superdividendes » a également été adoptée. Comment regardez-vous ces durcissements des mesures fiscales du gouvernement ?

C’est le Concours Lépine de l’inventivité fiscale qui est de retour.  On notera qu’il s’agit d’une vraie compétence française, depuis l’invention de la TVA ou de l’IR.

Même si ces amendements ne seront pas adoptés, il est intéressant d’étudier le déchainement de certains parlementaires en la matière. Certains veulent, par exemple, taxer les plus-values sur la résidence principale. La flat tax ou  PFU a donné lieu à toutes les fantaisies ; le gouvernement a d’abord augmenté son montant à 37 % pour les plus riches (du coup, la taxe n’est plus « flat » mais progressive), puis l’Assemblée a augmenté son taux global. Tout comme pour l’ Impôt sur les sociétés (pour lequel on a, pour les grandes entreprises, détricoté tout ce qui a été fait depuis 10 ans), le PFU va devenir d’une complexité incroyable.

À cet égard, les principaux vainqueurs des arbitrages budgétaires seront les comptables et les avocats.

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