Sécheresse, pénurie d’eau, ces sujets ne datent pas d’hier. Mais le fait qu’ils fassent la une des médias pendant des mois et des mois est un phénomène inédit.
Vue de loin, la Terre apparaît comme une petite larme bleue flottant dans l’espace immense et profond, étant recouverte jusqu’à 72% de sa surface par l’eau. Pour les scientifiques, toute forme de vie trouve son origine dans l’eau, une substance qui existe depuis plus de quatre milliards d’années. Dans de nombreuses cultures, elle symbolise la longévité et la prospérité.
Mais depuis quelque temps, cette ressource naturelle et renouvelable qui nous nourrit tous en permanence devient une source de crise sous les lumières médiatiques. Sécheresse et pénurie d’eau font la manchette des médias. « Crise de l’eau, planète terre invivable ? » (Thinkerview), « La guerre de l’eau a commencé » (France culture), « Sécheresse : 2023, l’année de tous les dangers » (TF1), « Manque d’eau nous ne sommes pas prêts » (France info), pour ne citer que quelques uns des sujets.
La consommation d’eau totale d’un touriste est quatre fois plus élevée que la moyenne
Entre une série record de 32 jours sans pluie enregistrée par Météo France en février dernier et les nouvelles restrictions d’eau dans les Pyrénées-Orientales, la réalité est palpable en Hexagone. Et elle est encore plus critique dans les endroits dont la population explose pendant une brève période estivale. Avec ses 150 millions d’habitants et ses 250 millions de visiteurs chaque été, les côtes méditerranéennes sont « la première région touristique au monde », selon Gaëlle Dupont, journaliste et co-auteur de Planète. État des lieux, état d’urgence.
« Chaque touriste consomme environ 300 litres d’eau par jour, soit le double des populations locales (jusqu’à 880 litres pour le tourisme de luxe). Le remplissage des piscines, l’arrosage des golfs et des espaces verts réclament également beaucoup d’eau », souligne Gaëlle Dupont.
Au côté de la consommation directe d’eau par jour et par personne, il faut prendre également en compte l’ensemble des consommations d’eau nécessaires à la production d’un bien ou d’un service, ainsi que « l’empreinte eau ». Cette dernière mesure le volume total d’eau douce utilisé directement ou indirectement pour produire un produit — alimentaire ou industriel —, dans toutes les phases de sa fabrication et de sa transformation. Ainsi, une analyse de cycle de vie complet sur un panel de plus de 100 hôtels a permis à Betterfly Tourism d’estimer que la consommation totale d’eau est de l’ordre de 625 litres par touriste et par nuitée, soit environ quatre fois plus élevée que la consommation d’eau moyenne d’un Français (150 litres).
« Une surpopulation touristique hors de contrôle »
Mercredi dernier, le chef de file des écologistes des Pyrénées-Orientales, Nicolas Berjoan, a invité les auditeurs de France Bleu Roussillon à « réfléchir sur le tourisme de masse et à la transition de notre agriculture car nous ne pourrons pas continuer à faire des fruitiers et même de la vigne partout ».
Outre-Pyrénées, tandis que la Catalogne fait face à une sécheresse historique, les hôtels de Barcelone sont montrés du doigt par le collectif Agua es vida [l’eau c’est la vie]. « Le tourisme consomme beaucoup d’eau », alerte Dante Maschio, membre du collectif. « Un touriste de luxe en consomme cinq fois plus qu’un habitant de Barcelone. C’est très préoccupant, surtout quand on n’a pas assez d’eau pour les gens d’ici. »
La maire de gauche de Barcelone, Ada Colau, a également fait de la lutte contre les excès du tourisme un point clé de sa politique, alors que la ville a atteint en 2019 un pic d’environ 12 millions de visiteurs logés sur place, selon l’AFP. « En 2015, nous avons hérité d’une ville […], avec une pollution hors de contrôle, une spéculation immobilière hors de contrôle, une surpopulation touristique hors de contrôle », a déclaré début mai Mme Colau, ajoutant que « la première chose que nous avons faite a été de mettre de l’ordre ».
« La société actuelle (…) est celle du siècle passé »
Comment mettre de l’ordre dans ce dossier de la sécheresse, qui est un « phénomène naturel » fréquent depuis l’antiquité de la région méditerranéenne pour de nombreux scientifiques, à l’instar de Narcis Prat, professeur d’écologie à l’université de Barcelone ? Ce dernier a en effet rappelé dans une tribune de presse que « la sécheresse est un élément caractéristique du climat méditerranéen et est la clé de sa biodiversité » avant d’appeler à la considérer comme une source de richesse naturelle au lieu d’un obstacle pour le développement économique et social :
« Il est évident que les effets des sécheresses sur la nature et l’homme sont beaucoup plus préjudiciables maintenant que par le passé du fait de l’utilisation que nous faisons du territoire et de l’eau […] Pour incorporer les sécheresses à notre planification, nous devons au préalable définir quel type de société nous voulons. La société actuelle, basée sur la consommation de l’énergie et des ressources, est celle du siècle passé. »
Ce n’est donc pas un sujet lié au changement climatique, mais un choix de la société. Il s’agit là d’une idée partagée par Victor Peñas, docteur en géographie à l’université du Pays Basque.
« Nous devons connaître les limites naturelles du territoire dans lequel nous vivons et nous y adapter, et non tenter de les dépasser », propose le fonctionnaire de l’Administration autonome basque. Et d’expliquer : « Conscients de la problématique, nous oublions cependant que nous sommes dans un pays essentiellement méditerranéen et sec, avec certaines nuances territoriales ; grâce à la technologie nous avons adopté des pratiques et des utilisations peu durables avec notre réalité et identité méditerranéennes, comme, par exemple, des golfs en zones arides, des grandes concentrations touristico-résidentielles là où il y a moins d’eau, des cultures peu adaptées aux conditions climatiques, etc. »
Avec seulement quelques jours de pluie par an, le beau temps est en quelque sorte une trade mark touristique de la région méditerranéenne. Presque tout le temps, le soleil y brille sur un fond de ciel bleu, tandis que l’air s’emplit de l’odeur vivifiante des embruns. Tout cela est en contraste avec la froideur du béton et la grisaille record observée en janvier dernier dans le Nord. De quoi donner envie aux travailleurs, qui se concentrent autour d’une grande métropole fortement urbanisée comme celle du Grand Paris, de s’évader « en masse ».
Il suffit d’y penser et les avancées technologiques sans précédent font le reste en quelques clics : obtenir des billets d’avion, réserver une voiture, une chambre d’hôtel, des repas en demi-pension, voire se faire octroyer un crédit bancaire pour booster son pouvoir d’achat. En un rien de temps, des travailleurs « en masse » peuvent se convertir en touristes « en masse » grâce au progrès vertigineux de la technologie. « Voyage, voyage », le rêve imaginé par Desireless en 1987 est plus réaliste que jamais.
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