L’attaque commise par un camion fou, le 19 décembre, au marché de Noël de Berlin était tout sauf une surprise. Le département d’État américain avait lancé, le 22 novembre dernier, une mise en garde sur d’éventuels attentats lors des vacances de Noël. D’après Washington, des informations jugées crédibles étaient de nature à penser que Daech entendait commettre ce type d’attaque en Europe. À l’heure où ces lignes sont écrites, aucune revendication de l’attaque, qui a fait 12 morts et 48 blessés, n’a pas encore eu lieu.
Il faut se rappeler aussi que Bernard Cazeneuve avait annoncé, toujours le 22 novembre, que sept personnes ont été arrêtées récemment en France. Celles-ci planifiaient un projet d’attentat à Marseille et à Strasbourg. Le marché de Noël de la capitale alsacienne était visé.
La crainte d’un Noël sanglant
L’office européen de police Europol, dans son dernier rapport sur la menace terroriste, dit TE-SAT 2016, avait pressenti un Noël couleur rouge sang : « L’état général de la menace terroriste s’est aggravé ces dernières années et la situation ne va dans la bonne direction », dit en substance ce document. Toujours selon ce même rapport, les attaques de Paris de 2015 ont montré un changement clair de stratégie dans l’intention et la capacité des terroristes djihadistes. L’idée est, ajoute le rapport, de susciter des attentats de masse destinés à causer le plus grand nombre de victimes.
Face à cela, la réponse européenne échafaudée après les attaques de Paris, puis celles de Nice, se structure dans un domaine qui, traditionnellement, relève des compétences nationales et pour lesquelles les États demeurent jaloux de leur souveraineté. Où en est-on en cette fin 2016 ? Trois chantiers sont en cours : le renforcement du centre antiterroriste d’Europol, la réforme du système d’information Schengen (SIS) et l’adoption de la directive « armes à feu ».
Montée en puissance du Centre antiterroriste européen
Le premier chantier consiste dans le renforcement du centre antiterroriste d’Europol. Lancé le 26 janvier 2016 à La Haye (Pays-Bas), au QG de l’Office européen de police, ce centre – l’ECTC (European Counter Terrorism Centre), a deux missions principales : faciliter l’échange d’informations entre les services antiterroristes nationaux et effectuer une analyse approfondie du phénomène terroriste. L’ECTC a vu ses effectifs renforcés : 35 postes ont été pourvus, et ce n’est qu’un début. Car l’idée est de faire d’Europol, à travers l’ECTC, un centre d’expertise incontournable sur ces questions. Il faut rappeler que la France a joué, dans ce dossier, un rôle moteur : sa création a vu le jour sous son impulsion déterminante.
En vérité, l’ECTC n’est pas un service antiterroriste à l’image, en France, de l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT), de la DGSI ou bien encore de la sous-direction antiterroriste (SDAT) de la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ). Ce centre est, avant tout, destiné à appuyer les enquêtes nationales. Il ne dispose donc pas d’agents sur le terrain – qu’il s’agisse de policiers infiltrés ou d’indicateurs. Sa valeur ajoutée consiste davantage dans l’analyse de l’information.
À ce sujet, les bases de données antiterroristes d’Europol sont enfin mieux alimentées. À titre d’information, l’une d’elles, le « FP Travelers » (fichier ressemblant les données sur les combattants européens partant faire le Djihad au Moyen-Orient) comportait les noms de 3600 personnes un mois après les attaques de janvier 2015 contre Charlie Hebdo. Leur nombre s’élève désormais à près de 34.000.
Un système d’informations perfectible
Le deuxième chantier est la réforme du système d’information Schengen (SIS) concernant les alertes émises pour fait de terrorisme. Pour rappel, le SIS est une grande base de données européenne qui rassemble 64 millions de signalements (objets, personnes recherchées, étrangers indésirables, etc.). En 2015, il a fait l’objet de 3 milliards de consultations.
Mais des problèmes demeurent concernant la question des suspects pour fait de terrorisme signalés dans le SIS. Exemple : le défaut d’informations sur le signalement lancé par un État (la Belgique), qui rend problématique pour les autres services (comme en France) la distinction entre terroristes et délinquants. Le cas s’est présenté très concrètement dans l’affaire Abdeslam : les services de police belges avaient signalé cet individu dans la catégorie « répression des infractions pénales » (canal habituel pour les services de police judiciaire). Or, ils auraient dû le répertorier dans la catégorie « menace de la sûreté de l’État » (canal choisi par les services de renseignement). Résultat : lorsque Salah Abdeslam, à l’époque en cavale, a été contrôlé par la gendarmerie de Cambrai, les militaires ne l’ont pas appréhendé, faute d’instruction précise figurant dans la base européenne.
Le rapport parlementaire publié en France, l’été dernier, sur les attentats de novembre 2015 enfonce le clou : les Français ont appris seulement plusieurs heures (précieuses) après ce contrôle que Salah Abdeslam était surveillé par les services belges pour radicalisation violente. Tirant les leçons de ces dysfonctionnements, la Commission européenne, avec l’appui des experts nationaux, s’est efforcée de rassembler les meilleures pratiques en matière de signalements dans ce cas de figure.
Toutefois, même si des améliorations sont apportées, le système comporte des limites intrinsèques à sa nature intergouvernementale. Le rapport de l’Assemblée nationale le souligne avec justesse : « Faute d’un organe supranational disposant de la totalité des informations et des menaces, le système Schengen demeurera un écheveau complexe favorable aux projets terroristes d’individus exploitant nos réticences envers une politique antiterroriste européenne. »
Accord à l’arraché sur une directive « armes à feu »
Troisième et dernier chantier : l’adoption d’une directive « armes à feu ». Ardemment souhaité par Bernard Cazeneuve, ce projet entend imposer une surveillance drastique des armes. Il s’agit surtout d’empêcher la libre circulation des armes d’assaut à usage militaire. Sont notamment dans le collimateur les armes semi-automatiques « d’usage civil » type « AK47 Kalachnikov ». Pour rappel, de telles armes ont permis de perpétrer les attaques armes du 13 novembre 2015 à Paris. Et elles avaient été commandées sur le darknet à un marchand d’armes en Allemagne…
Le Parlement européen fait la résistance car certains eurodéputés plaident pour que le texte prenne en compte « l’intérêt légitime des chasseurs et des tireurs sportifs ». À cet égard, certains tireurs sportifs, des policiers notamment, estiment qu’ils sont en règle en détenant une licence et en ayant déclaré leur arme. Ils rejettent donc fermement l’idée d’en être privés. En dépit des « trilogues » successifs (réunions des représentants des trois institutions), ce dossier est resté bloqué un bon moment. Une véritable saga institutionnelle qui n’est pas sans rappeler celle qui a eu cours sur l’adoption de la directive PNR : pendant des mois, le Parlement européen a refusé de valider le texte, cédant finalement en avril 2016, un mois après les attaques de Bruxelles.
Finalement, ce 20 décembre 2016, au lendemain même du drame de Berlin, le Parlement européen et le Conseil sont tombés d’accord sur une mouture commune. Entrent dans le champ de la directive les armes des collectionneurs. En revanche, le dispositif d’interdiction des armes d’usage civil semi-automatiques, tel que prévu dans la proposition initiale, n’a pas été conservé.
En Europe, une vulnérabilité structurelle
L’impulsion politique est forte et les progrès sont tangibles, mais les résistances restent, elles aussi, très présentes. Finalement, si la question du terrorisme est centrale dans chacun des États membres, notamment en Allemagne comme en France, il convient de s’intéresser à la nature des réponses à apporter. Certaines, prônées par des partis extrémistes, relèvent purement et simplement du mythe, comme le rétablissement total et durable du contrôle aux frontières : même le régime nord-coréen ne parvient déjà pas à contrôler de manière hermétique sa frontière… D’autres, comme on l’a vu, sont bien plus réalistes, comme l’intensification du partage de l’information et de l’analyse du renseignement. En revanche, ces solutions, aussi efficaces soient-elles, n’empêchent pas les sociétés européennes de demeurer vulnérables au terrorisme.
Cette vulnérabilité est structurelle : elle résulte du fait que les systèmes économiques et sociétaux sont étroitement imbriqués, que ce soit au niveau européen, national, régional ou local. Elle découle aussi de la sensibilité de l’opinion publique au terrorisme. Chaque attaque entraîne, par effet de résonance, un séisme médiatique. Dans nos sociétés de réseaux et de l’information, ce séisme lié à la vague d’émotion qui submerge l’opinion publique et alimenté par une profusion des rumeurs et des thèses complotistes à chaque drame (comme celui de Berlin), contribue à renforcer le sentiment d’insécurité, à saper la confiance envers les dirigeants politiques, et donc à déstabiliser les sociétés européennes. Gérard Challiand et Arnaud Blin notent ainsi, dans un ouvrage sur l’histoire du terrorisme, que le tourbillon médiatique et notre incapacité à mettre en perspective cette menace nous empêchent de mener une réflexion froide permettant de se distancier de manière salutaire d’un phénomène complexe.
La peur prime sur l’analyse et la surenchère politique, destinée à engranger prestement des gains électoraux, se substitue à une action publique lucide et nécessaire. La contagion virale et le discours sur le supposé laxisme sont les deux facteurs de ruine de nos démocraties. Les terroristes l’ont bien compris et leur stratégie consiste à attaquer ces démocraties sur leur point faible.
La réaction, qui consiste à réduire drastiquement les libertés publiques, à « dés-exceptionnaliser » l’état d’exception, à créer un « droit pénal de l’ennemi », ou encore à dépeindre l’islam comme un partenaire de guerre de civilisations, s’inscrit justement dans le cadre du projet terroriste. Notre réaction correspond ainsi pleinement à leurs attentes, à savoir déchirer le tissu social et détruire l’idéal démocratique.
Pierre Berthelet, Enseignant Chercheur en sécurité intérieure européenne – PhD, Université de Pau et des pays de l’Adour
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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