Sur le chantier du métro du Grand Paris, le « sourire » de Seydou Fofana égayait la monotonie du labeur. À 21 ans, « le petit » est mort le 6 avril, écrasé par un bloc de béton, cinquième victime d’un accident du travail mortel depuis le début des travaux.
Le jeune apprenti malien avait décroché en septembre une formation dans le bâtiment, « une fierté », confie Philippe Allard, directeur de l’association Concorde, basée à Montfermeil (Seine-Saint-Denis), partenaire de l’aide sociale à l’enfance. Il était mineur non accompagné quand la structure éducative l’a pris en charge, après son arrivée sur le territoire français, en 2019.
« Le désir de Seydou était, depuis le départ, de travailler dans le BTP. Son travail lui donnait beaucoup de satisfaction », assure M. Allard qui l’a accompagné pendant deux ans. Ni la distance ni les horaires n’entravaient son projet de décrocher une qualification d’ouvrier spécialisé. Il avait bien été magasinier dans un supermarché, mais ce job d’appoint ne lui convenait pas, dit Elvis Koloko, l’un de ses éducateurs.
Un jeune déterminé, assidu
C’était « un jeune déterminé, qui s’est donné les moyens de réussir, assidu dans les ateliers scolaires. Il a appris le français, ce qui lui a permis d’obtenir sa formation », détaille son mentor.
Une réussite partagée avec sa mère restée au Mali, à qui il venait d’envoyer de l’argent pour « acheter du sucre, du riz pour le ramadan », raconte son oncle paternel, Cheickna Fofana, rencontré par l’AFP à son domicile parisien.
Au Mali, le jeune homme grandit avec ses six frères et sœurs à Kabaté, un village de la région de Kayes, proche de la frontière avec le Sénégal. Son père est mort quand il avait deux ans. Des ressources plus que modestes poussent l’adolescent à tenter la traversée, par la mer, vers l’Europe. Avant d’y parvenir, il travaille quelques mois en Algérie pour une compagnie chinoise, puis il y sera emprisonné. « C’était un garçon dynamique qui contribuait au village et avait plein de projets », résume son oncle, en pleine démarches pour faire enterrer son neveu au Mali.
Asphyxié sous un bloc de béton
Seydou Fofana était en contrat d’insertion. Son apprentissage de 300 heures touchait à sa fin. Il alternait les cours à Saint-Denis et son travail sur le chantier de la ligne 17 du Grand Paris Express pour le sous-traitant Lif TP à Gonesse (Val-d’Oise), au nord de la capitale, en plein milieu des champs.
C’est sur ce site, le 6 avril vers 9h30, qu’un bloc de béton s’est détaché d’un mur de fondation de six mètres de profondeur. L’apprenti se trouvait dans la voie creusée. Il est mort asphyxié. Une expertise est en cours, pour déterminer notamment « s’il y a eu une malfaçon », indique une source policière.
Sur le chantier, où tout le monde l’appelait affectueusement « le petit », c’est « son sourire communicatif » qui revient à l’esprit. « On ne devrait pas mourir à cet âge », se désole Mamoudou, qui parle sous un prénom d’emprunt comme les autres ouvriers interrogés, la consigne étant « de ne pas parler aux journalistes ». « On n’est pas au Qatar, on a des droits ! », ne décolère pas un collègue, Sofiane, le décrivant comme « souriant, serviable mais sans expérience ». On lui avait confié la tâche de « manœuvre », assistant les ouvriers spécialisés. Un jour, il pouvait s’occuper du trafic des engins et décharger les matériaux ; un autre, il effectuait de petites opérations de terrassement.
Un logement avec carte de résidence et promesse d’embauche
Autant de menus travaux essentiels au bon déroulement d’un chantier titanesque de 200 km de voies et à la création de quatre lignes de métro automatique, devant ouvrir entre 2025 et 2030. « Il y a des tâches qu’il ne faut pas confier à des personnes inexpérimentées surtout sur de gros chantiers », commente Ricardo. « Entre le stress, le bruit, le danger, ça ne pardonne pas », soutient cet ouvrier. Il évoque aussi la « pression de respecter les délais ». Un jour, « un chef m’a dit : ‘C’est vous qui allez payer le retard’ ».
Pour Seydou Fofana, une nouvelle étape de la vie s’ouvrait : s’émancipant de son foyer éducatif, il avait obtenu un logement et une carte de résidence. Sur le bureau de son employeur, une promesse d’embauche l’attendait. Son nom s’est ajouté à ceux de Maxime Wagner, Joao Baptista Miranda, Abdoulaye Soumahoro et Frank Michel, morts sur le même chantier colossal entamé en 2015.
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