La littérature fantastique moderne trouve ses racines dans les romans chevaleresques de l’Europe médiévale. Dans des vers puissants et majestueux, les poètes médiévaux se sont penchés sur la question de savoir ce qui constitue l’héroïsme et sur les idéaux de la chevalerie chrétienne.
Dans ces récits, un chevalier légendaire entreprend une quête qui met à l’épreuve ses qualités de loyauté, de courtoisie, d’honneur et de courage ; il rencontre des forces merveilleuses et magiques dans des contrées brumeuses, a moitié mythiques, à la limite du connu.
L’une des œuvres les plus importantes est le poème Sire Gauvain et le Chevalier vert, écrit par un poète anonyme dans la seconde moitié du XIVe siècle. Il offre une vision sophistiquée et spiritualisée de la romance chevaleresque traditionnelle. Plutôt que de se concentrer sur les faits d’armes du héros, le récit met l’accent sur les exploits de l’esprit. Le poème suggère que les plus grands héros sont tels parce qu’ils apprennent en premier lieu à se conquérir eux-mêmes, à vaincre leurs propres faiblesses et leurs propres péchés. Sire Gauvain et le Chevalier vert est avant tout un combat spirituel et n’en est pas moins épique pour autant.
Un début troublant
Le poème commence par un festin de Noël à la cour du roi Arthur. Au milieu des rires, des cornemuses, des viandes fumantes et grésillantes, des dames vêtues de vêtements « brodés et bordés des plus belles pierres précieuses », des « clercs et de toute la cour acclamant la joyeuse saison », un personnage monstrueux fait soudain irruption dans la salle. Vert de la tête aux pieds, cet homme gigantesque brandit une hache dans une main et, paradoxalement, une branche de houx festif dans l’autre.
Comme le souligne le médiéviste Philip Chase, le Chevalier vert est étroitement lié à une figure populaire de la légende médiévale : l’Homme vert, une sorte d’incarnation étrange de la fertilité, du sauvage et de la Nature. Il est un « autre » mystérieux, une sorte de défi vivant au monde de la courtoisie, de la civilisation et de la chevalerie incarné par la cour du roi Arthur.
Cette force sauvage et anti-civilisationnelle pénètre donc dans la salle d’Arthur et réprimande ses habitants, les mettant au défi de prouver qu’ils possèdent les vertus chevaleresques qu’ils prétendent avoir. S’ils sont vraiment courageux et nobles, ils doivent accepter son défi. Ce défi est une variante d’un autre motif folklorique, le « jeu de la décapitation ». Dans ce « jeu », les concurrents échangent de nombreux coups pour tenter de se décapiter l’un l’autre. Le Chevalier vert défie la cour d’Arthur de lui porter un coup et, s’il survit, il rendra le coup un an plus tard dans sa propre maison, la « Chapelle verte ».
Seul Sire Gauvain, le neveu d’Arthur, relève le défi. À l’aide de la grande hache, il décapite le Chevalier vert. Ce dernier, imperturbable – à la grande surprise des spectateurs – ramasse sa propre tête, rappelle à Gauvain son serment de se rendre à la Chapelle Verte un an plus tard et sort à grands pas.
Le chevalier et la quête
Ceci établit la quête de Gauvain : il doit prouver qu’il est fidèle à sa parole en respectant le rendez-vous et en recevant un coup du Chevalier vert.
Dans de nombreux romans chevaleresques, un chevalier accomplit de grands faits d’armes et accomplit une quête au nom de sa dame, l’objet de son amour courtois. En revanche, dans Sire Gauvain et le Chevalier vert, Sire Gauvain subit des épreuves spirituelles pour sa dame dans la cour du paradis, la Sainte Vierge Marie.
La quête terrestre du Chevalier vert et de sa Chapelle verte devient un cadre dans lequel se déroule une quête plus importante : la quête pour vaincre à la fois la sensualité et la lâcheté, la quête pour sauver l’âme. Comme l’explique Alan M. Markman, professeur d’anglais, « ce qu’un homme doit faire, ou, en un mot, la conduite humaine, est le cœur du poème, et notre participation à l’épreuve du héros est sa source de plaisir ».
En effet, Alan M. Markman affirme que le point central du poème est le personnage de Gauvain, qui nous est présenté comme l’incarnation du chevalier idéal, non sans quelques défauts qui l’humanisent. La joie du poème est de voir un grand homme confronté à des épreuves et des tentations inattendues, baignant dans une atmosphère de mystère et de magie. Markman écrit : « C’est la fonction du héros de roman, je pense, de se poser en champion de la race humaine et, en se soumettant à des épreuves étranges et sévères, de démontrer les capacités humaines d’action bonne ou mauvaise. »
Tentations et remèdes
Quelles sont les épreuves auxquelles Gauvain doit faire face ? Ce sont des épreuves qui vont pousser son code chevaleresque à sa limite. Tout d’abord, il doit tenir sa parole en se soumettant à un coup fatal du Chevalier vert sans se défendre d’aucune manière. Deuxièmement, il doit maintenir sa chasteté et sa loyauté lorsqu’il est approché par une séductrice. Les deux épreuves sont magnifiquement liées par le poète à la fin du poème.
Nous examinerons d’abord la tentative de séduction. Sire Gauvain se met en route un an après sa première rencontre avec le Chevalier vert pour aller le chercher à la Chapelle verte. Comme le souligne Philip Chase, le poète passe en quelques strophes sur les scènes « d’action » que sont la lutte contre les monstres et le voyage à travers des terres abandonnées. Comme nous l’avons mentionné, le poète ne se préoccupe pas des exploits physiques, mais plutôt des joutes spirituelles.
Finalement, Gauvain prie Marie, la mère du Christ, de le guider vers une demeure. Peu de temps après, il tombe sur un château. Le seigneur du château, Bertilak, l’accueille chaleureusement et ils s’engagent dans un autre jeu folklorique, l’« échange de gains ». Bertilak partira chaque jour à la chasse et remettra à Gauvain ce qu’il y gagnera ; Gauvain restera au château et remettra au seigneur ce qu’il aura reçu au cours de la journée.
Les ennuis commencent lorsque la femme de Bertilak, la dame du château, entre dans la chambre de Gauvain chaque matin et tente de le persuader de faire l’amour avec elle. Ici, le poète a judicieusement choisi le défi parfait pour son noble chevalier, car il oppose plusieurs aspects du code chevaleresque. D’une part, un chevalier ne doit jamais être impoli ou rabrouer une dame. D’autre part, il doit être pur, chaste et loyal envers son hôte Bertilak (en ne couchant pas avec sa femme). Grâce à des réponses humbles et à des esquives pleines d’esprit, Gauvain parvient à repousser les avances de la dame en les devançant, bien que cela devienne de plus en plus difficile.
Conformément à la croyance catholique dans le pouvoir d’intercession de Marie, le poète indique que la force de Gauvain pour résister à la tentation provient de sa dévotion à la Mère de Dieu. Tout d’abord, lorsque Gauvain se lance pour la première fois dans sa quête, le poète passe du temps à décrire son armure et ses armes d’une manière qui rappelle le célèbre passage de Saint Paul dans lequel il dit à ses auditeurs de « revêtir l’armure de Dieu ». Les armures physiques et spirituelles de Gauvain sont ici intimement liées, presque mélangées dans ce passage.
Alors que la description de l’armure se poursuit, nous apprenons que l’intérieur de son bouclier est orné d’une image de la Vierge Marie. « Et donc, comme je l’ai constaté, il avait convenablement / Sur la partie intérieure de son bouclier son image dépeinte, / Que lorsque son regard s’allumait sur elle, il ne perdait jamais courage. » Ainsi, au milieu de la bataille (qu’elle soit physique ou spirituelle), le chevalier prend courage en regardant cette image de la reine céleste, tout comme un chevalier pourrait prendre courage en pensant à sa dame bien-aimée, là-bas au château.
Lors de ses échanges avec Dame Bertilak, l’épouse de Bertilak, Gauvain mentionne le nom de Marie. Par exemple : « Madame, dit le joyeux luron, Marie vous récompense ». L’utilisation du nom de Marie semble fortuite, mais Gauvain le prononce probablement dans le but de rappeler à son esprit cet idéal de virginité qui l’inspire dans la chasteté alors qu’il repousse cette tentation.
Enfin, le poète rend explicite le rôle crucial de cette patronne céleste dans le combat intérieur de Gauvain lorsqu’il décrit le rendez-vous de Gauvain et de la dame Bertilak :
Leurs paroles de salutation étaient bonnes ;
Chacun se réjouissait de la vue de l’autre ;
Un grand péril guette cette rencontre
Si Marie oublie son chevalier.
C’est la protection de Marie envers Gauvain qui le préservera du péché. Si elle l’oublie, il tombera, mais elle ne l’oublie pas. Notez également que la souveraineté de Marie sur Gauvain est indiquée ici. Il est « son chevalier ». Cela reflète, une fois de plus, la tradition de l’amour courtois dans laquelle les dames avaient le droit de commander leurs chevaliers dévoués, presque un droit de propriété. C.S. Lewis a qualifié l’amour courtois de « féodalisation de l’amour », la dame jouant le rôle de suzeraine et le chevalier celui de vassal, lui devant fidélité. Le poète applique cette dynamique à la relation de Gauvain avec sa reine céleste. Elle est l’objet de son amour courtois, celle qui le soutient et pour laquelle il accomplit finalement ses actes de force spirituelle lorsqu’il résiste avec succès aux avances de Dame Bertilak.
Cependant, Gauvain tombe dans un péché moins grave. Lors de leur dernière rencontre, la dame Bertilak lui offre une ceinture verte, lui promettant que quiconque la porte ne peut être blessé par des armes. Pensant à sa prochaine rencontre avec le Chevalier vert, Gauvain accepte la ceinture et ne la remet pas au seigneur Bertilak, bien qu’ils aient convenu de partager tous leurs gains. Il a vaincu sa convoitise, mais pas complètement sa peur, ce qui l’a conduit à manquer à sa parole envers Bertilak.
La révélation
Lors de l’affrontement avec le Chevalier vert qui suit, Gauvain reçoit plusieurs révélations. Tout d’abord, il apprend que le Chevalier Vert est en réalité le seigneur Bertilak, transformé par magie, et que les rencontres avec la femme de Bertilak étaient un piège et un test. Parce qu’il a résisté à la tentation de la séduction, le Chevalier vert ne coupe pas la tête de Gauvain. Il l’entaille cependant, lui laissant une cicatrice, à cause de la faiblesse de Gauvain qui a pris la ceinture verte et a menti à Bertilak à ce sujet. Gauvain en vient ainsi à comprendre qu’en réalité, son épreuve physique (la décapitation) et son épreuve spirituelle (les tentations) ne faisaient qu’un.
Bien que Gauvain n’ait pas agi sans défaut, le Chevalier vert lui pardonne la moindre faute d’avoir gardé la ceinture. Parce que Gauvain a vaincu sa propre impulsion à faire le mal avec la dame du château, il a involontairement sauvé sa propre vie. Bertilak/Chevalier vert, ayant testé et prouvé le caractère intérieur et l’héroïsme de Gauvain, lui laisse la vie sauve. Ainsi, le combat spirituel sauve non seulement son âme, mais aussi son corps.
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