Bruno Julliard : « Nous sommes à un moment important de l’identité humaniste, culturelle et politique de notre pays »

août 29, 2016 10:44, Last Updated: septembre 6, 2016 20:23
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Bruno Julliard est entré à la Mairie de Paris sous le mandat de Bertrand Delanoë. D’abord adjoint à la culture et à la jeunesse, il est depuis 2014 le Premier adjoint d’Anne Hidalgo. En cette période de rentrée, M. Julliard évoque les nombreux sujets d’actualités (réforme, camp humanitaire, sécurité…) qui vont rythmer la vie des Parisiens.

Le 3 août, un projet de loi a été présenté en Conseil des Ministres pour transférer certains pouvoirs relevant de la préfecture vers la Ville de Paris. Anne Hidalgo a évoqué une « réforme historique ». Que représente cette réussite, pour vous?

C’est une double satisfaction. D’abord symbolique parce qu’historiquement, le maire de Paris ne bénéficiait pas des mêmes pouvoirs et des mêmes attributions que les autres maires de France – les Parisiens n’ont pu élire leur premier Maire, Jacques Chirac, qu’en 1977. Le gouvernement nous a suivis sur cette réforme. C’est désormais au tour du Parlement de faire de même cet automne ! Nous avons été entendus, et finalement, c’est une émancipation démocratique pour notre ville.

Ce projet nous permettra d’y voir plus clair dans les responsabilités des uns et des autres : l’État doit se concentrer sur le maintien de l’ordre, la sécurité des Parisiens comme des nombreux touristes et nous les y aiderons. En revanche, tout ce qui concerne l’usage de la voirie, la délivrance des titres d’identités, les polices de proximité, la lutte des incivilités, la propreté, le respect du stationnement, ce n’est pas à la Préfecture d’en décider, cela doit relever de la compétence de la Ville de Paris.

La deuxième satisfaction est très concrète. Pour répondre à des défis contemporains majeurs tels que la lutte contre la pollution, l’attractivité de Paris, le service public de proximité, l’augmentation du nombre de pistes cyclables, l’utilisation de la voirie… Ce ne sera plus nécessaire de demander l’autorisation de la Préfecture de Police. Nous avons pris beaucoup d’engagement lors des dernières élections municipales. Anne Hidalgo a été élue sur la base d’un programme qui comprend, par exemple, un plan très ambitieux de développement des pistes cyclables à Paris. Si nous voulons que le vélo prenne une place encore plus importante dans notre capitale, il faut des aménagements. Il faut que la Maire ait la capacité de prendre ces décisions.

Allez-vous revoir votre agenda en cas de vote de ce projet de loi ?

Nous sommes totalement respectueux du débat parlementaire. Sur quelques sujets, effectivement, cela nous permettra d’aller plus vite et plus loin. Je prendrais un exemple tout à fait immédiat : la diminution de la place de la voiture à Paris.

Certaines portions des berges de Seine, sous l’impulsion d’Anne Hidalgo, pourraient bientôt devenir des zones piétonnes. (LOIC VENANCE/AFP/Getty Images)

Pour pouvoir fermer les berges de Seine côté rive droite aux voitures, depuis l’Hôtel de Ville jusqu’à la place de la Concorde, nous avions besoin d’une autorisation expresse de l’État. C’est une autoroute urbaine, nous sommes convaincus qu’il faut rendre cet espace public aux piétons. Or, nous avons été bloqués pendant de nombreux mois et nous avons perdu beaucoup de temps. Il a fallu de nombreux échanges avec l’État. Lorsque Bertrand Delanoë avait souhaité supprimer les voitures sur la rive gauche, qui était elle aussi une autoroute urbaine source de pollution, de nuisance sonore et qui dénaturait Paris, le gouvernement de droite avait alors tout fait pour empêcher Bertrand Delanoë de prendre cette décision.

Il y a aussi le rapprochement des quatre premiers arrondissements…

Le rapprochement des quatre premiers arrondissements de Paris permettra de faire quelques économies puisqu’il n’y aura qu’un seul Maire pour l’ensemble de ces arrondissements. Mais surtout, si l’on veut être efficace et pouvoir répondre aux attentes des Parisiens, certains arrondissements ont besoin d’avoir une certaine taille critique. En termes de populations, ce nouvel arrondissement aura la taille moyenne du Xeme arrondissement, soit à peu près 100 000 habitants.

Ainsi, ce projet de loi amènera plus de démocratie, car dans l’organisation actuelle des quatre premiers arrondissements, la représentativité des Parisiens est très inégale au Conseil de Paris.

Myriam El-Kohmri est une de vos proches, elle a été à vos côtés dans la campagne d’Anne Hidalgo pour la Mairie, et vous aviez déclaré en mars avoir « du mal à la reconnaître » dans le projet de Loi. La Loi El-Kohmri a été publiée ce mardi dans le journal officiel, après cinq mois de conflit social. Quel bilan faut-il tirer ? N’y a t-il pas plus à perdre qu’à gagner pour le gouvernement ?

Oui, je pense que cette Loi est un échec à plusieurs égards. Il y a d’abord une erreur sur la méthode : la consultation a été largement insuffisante, il n’y a pas eu de concertation avec les organisations syndicales, et l’utilisation à plusieurs reprises du 49-3 est indigne d’un gouvernement de gauche. Et sur le fond je ne crois pas à cette doctrine qui voudrait que le principal frein à l’emploi soit la lourdeur ou la rigidité du droit du travail. Je pense qu’il y avait d’autres priorités que de mettre en place une loi à rebours de ce que François Hollande avait proposé dans sa campagne. Je crains que cela ne soit pas efficace économiquement. De plus, cette loi a divisé la gauche et nous a éloigné des forces syndicales de ce pays. La gauche ne peut pas réussir au pouvoir sans un soutien populaire derrière elle. Déjà que celui-ci n’était pas majeur, il fait encore plus défaut aujourd’hui.

Il y aura en France, avec les attentats de Nice, ainsi qu’à Paris un « avant » et un « après » attentats.

Donc je dirais que tant sur la méthode que sur le fond, nous aurions dû nous passer de cet épisode. Myriam El Kohmri est une amie personnelle et elle le restera, mais je ne suis pas d’accord avec ce choix politique. Cette loi, son choix de la porter, je ne crois pas qu’elle en soit à l’origine. C’est extrêmement dur pour elle. Mais après, elle a choisi d’assumer et d’être solidaire de cette réforme. Elle aurait pu ne pas le faire, donc elle porte une part de responsabilité.

 

Bruno Julliard. (amabilité de Bruno Julliard)

Paris s’apprête à ouvrir Porte de la Chapelle un premier camp humanitaire. Les avis sont encore partagés sur cette décision. Certains s’interrogent sur le rôle de la Mairie de Paris, d’autres, comme Pierre Henry, directeur de France Terre d’Asile, regrettent qu’il n’y ait pas de centre dans chaque capitale régionale… Est-ce une mesure d’appoint ou le premier pas d’un processus ?

Il faut absolument que ce soit la première étape d’une nouvelle façon d’envisager l’ accueil des réfugiés. Un peu plus de 90% de ceux que nous appelons communément les migrants de Paris sont des personnes qui deviendront demain des demandeurs d’asiles, puis qui seront des réfugiés. Il faut pouvoir les accueillir, les héberger dans des structures d’urgence, puis ensuite les accompagner dans un processus de demande d’asile. La difficulté à laquelle nous sommes confrontés est qu’il n’y a pas assez de place dans les centres. Nous avons demandé à l’État d’en construire plus, nous l’avons également accompagné en mettant gratuitement à disposition des lieux d’accueil. Or, il se trouve que l’État n’est pas allé assez vite dans la livraison de ces centres, donc ces réfugiés s’établissent de façon spontanée à même la rue, ce qui est humainement et sanitairement inacceptable pour eux et pour les riverains. Ce que nous voulons, c’est mettre en place des procédures systématiques de mises à l’abri, c’est-à-dire des camps de premier accueil. Le principe est qu’ils puissent y rester quelques jours, maximum deux semaines, pour être par la suite orientés dans des hébergements de droits communs. Ce type de structure existe déjà en Allemagne.

La position de la Maire de Paris, de l’exécutif et de moi-même est restée la même depuis le début de cette crise. Aujourd’hui, on doit changer de méthode, d’échelle. Nous espérons construire rapidement un second camp. L’État a soutenu la proposition, et comme le demande Pierre Henry, il faut qu’on puisse en ouvrir dans d’autres capitales régionales. Ensuite, il faut fluidifier ce parcours des réfugiés, pour éviter cette situation insupportable pour tout le monde, ces campements à même la rue, qui créent des situations humainement insupportables pour les migrants et pour les riverains.

Évidemment, pour cela, il faut assumer, convaincre pourquoi il faut le faire. Ces migrants ne sont pas des migrants qui sont à la recherche d’un eldorado économique. Pour l’immense majorité, ce sont des familles qui fuient les guerres, les dictatures, qui auraient aimé rester dans leur pays. Rappelons que ces cinq dernières années, il y a 5 millions de Syriens qui ont fui leurs pays. Plus de la moitié sont arrivés en Allemagne. Le Liban en a accueilli 1 million et nous ne serions pas capables d’en accueillir quelques milliers ? Assumons, mettons en place une politique à la hauteur de notre histoire, de ce que nous attendons du pays des droits de l’homme.

Pour conclure, je dirais qu’il ne faut pas céder à cette dictature de pensée d’extrême droite, qu’il faut en finir avec ce que j’appellerais la solidarité honteuse qui caractérise la France et notre politique d’accueil des migrants aujourd’hui. Oui, ça ne fait pas plaisir à tout le monde, il y a un populisme très important en Europe – pas qu’en Europe, si on regarde les États Unis avec Donald Trump, ce populisme est puissant. Mais il ne faut pas céder à cette dictature de pensée d’extrême droite. Elle ne peut pas imposer sa doctrine de refus de l’accueil des réfugiés, cette intolérance ne doit pas s’imposer au débat politique français.

Je vous avoue que depuis que nous avons assumé cette position, j’ai constaté un nombre extraordinaire d’insultes, par exemple sur les réseaux sociaux, par courrier ou par mail, que je n’attendais pas. Mais nous ne pouvons pas céder à ce climat ambiant, qui surfe sur les questions de sécurité, de xénophobie.

Vous savez, cela me tient beaucoup à cœur, parce que je suis convaincu que se joue là une question essentielle. Je ne reconnais pas notre pays quand on met un mois à mettre à l’abri des centaines de personnes en hiver, dans un métro, parce qu’il n’y a pas assez de places dans les centres d’hébergement. La priorité est bien sûr de sauver des vies, des familles, de redonner de l’espoir et des perspectives ; mais au-delà de cela, dans une période où toutes les valeurs sont troubles, où ce qui pourrait être la base d’une pensée humaniste n’est plus partagée par tout le monde y compris par la classe politique dite républicaine, ce qui se joue dans cette bataille est une bataille philosophique, humaniste. Il faut convaincre que c’est notre responsabilité d’être à la hauteur de cet enjeu. Nous sommes dans un moment important dans l’identité humaniste, culturelle et politique de notre pays.

Les attentats ont profondément marqué la capitale française. Est-ce que la question du « savoir vivre-ensemble » se pose encore aujourd’hui ? Quel est votre sentiment sur la période que nous vivons ?

Il y aura en France, avec les attentats de Nice, ainsi qu’à Paris un « avant » et un « après » attentats. Nous l’avons vu dans la réaction de la population comme dans celle des responsables politiques et des cultes, des associatifs et syndicaux : il y a eu le meilleur comme le pire.

 

Bruno Julliard et Anne Hidalgo, durant l’exposition consacrée à Serge Poliakoff (1900-1969) en 2013. (FRANCOIS GUILLOT/AFP/Getty Images)

Le meilleur, ce sont ces rassemblements à plusieurs reprises de toute la population pour défendre les valeurs de la République. Après Charlie, après le Bataclan, c’était comme la communion d’un pays qui veut rester debout, qui ne veut pas céder sur ses valeurs fondamentales de fraternité, de tolérance, qui refuse la guerre de religion, ne veut pas céder au terrorisme.

Je vous le disais, il y a eu aussi le pire : on a eu des discours de haine, d’intolérance. Certaines personnes n’arrivent pas à prendre du recul, il y a la tentation de la surenchère sécuritaire. L’extrême droite a cédé à ce discours, cherchant à mener une guerre de religions en faisant l’amalgame avec l’Islam et les terroristes. Ces discours de plus en plus belliqueux s’éloignent de ce que l’on pourrait attendre d’un État de Droit. Ces amalgames nous affaiblissent, affaiblissent ce que nous sommes face aux terroristes.

Nous sommes dans une situation où il faut absolument que nous trouvions un juste équilibre. La sécurité est évidemment déterminante, il faut être extrêmement vigilant dans l’organisation de tous les événements publics, vigilants sur les individus recherchés par les services de renseignements français ; il faut en même temps que la vie continue et que nous soyons très fermes sur nos principes et nos valeurs. Je crois que tout ce qui peut contribuer à la recherche de cet équilibre à Paris, quelles que soient nos différences, croyances, origines, convictions, c’est absolument essentiel.

J’ai confiance dans les Parisiens, dans ce qu’ils sont, dans ce qu’ils ont envie de défendre. C’est vrai que ces convictions sont confrontées à rudes épreuves. Mais il ne faut pas céder. J’ai en mémoire un discours extraordinaire du Maire d’Oslo après l’attaque terroriste d’un fou d’extrême droite contre un rassemblement de jeunes. Il avait dit que ce que recherchait ce terroriste, c’était d’affaiblir des valeurs de tolérance, de respect, de fraternité et en a donc conclu que la première réponse à apporter était de porter encore plus haut ces valeurs.

Un an nous sépare de la décision du CIO pour l’attribution des JO en 2024. Les soutiens continuent de se mobiliser pour la candidature parisienne, certains estiment la capitale au coude à coude avec Los Angeles. Que reste-t-il à faire durant cette dernière ligne droite ? Êtes-vous confiant ?

Il y a encore un travail très important à faire. Confiant, ce serait excessif. Il faut être très humble jusqu’au bout, car nous devons aussi tirer les leçons de nos échecs précédents. Los Angeles est effectivement un concurrent très sérieux. Je pense que Paris a des chances importantes, mais il va falloir « être au top » et déposer un dossier excellent, sans faille, sans faiblesse. C’est l’enjeu du travail mené par Anne Hidalgo, le gouvernement, les sportifs sont en première ligne pour porter la candidature.

Nous avons tiré la leçon de nos échecs. Le travail se situe sur plusieurs points. D’abord, il faut que d’un point de vue technique, la candidature soit excellente : les structures, les transports, l’accueil des sportifs, des médias… Il faut répondre parfaitement au cahier des charges du CIO. Ensuite nous devons choisir certains axes qui seront l’identité de la candidature. L’héritage de ces JO doit être puissant, il doit avoir du sens, être porteur pour l’avenir. Nous avons choisi de faire de l’axe Paris – Seine-Saint-Denis un élément moteur de notre candidature. Il faut que l’héritage en termes de transformation urbaine soit extraordinaire, cela doit permettre de transformer des quartiers entiers de la Seine-Saint Denis. Certaines communes accueilleront les villages olympiques, qui seront ensuite transformés en logements étudiants. Il y aura aussi certaines infrastructures nouvelles, comme une piscine olympique construite dans le 93, ce qui correspondait de toute façon à un besoin. Ensuite, sur la question budgétaire, notre candidature doit être sobre et son exécution doit l’être aussi – le coût des structures ne doit pas être le double de ce qui aura été estimé.

Enfin, il faut également que la candidature soit excellente du point de vue environnemental, car nous pouvons faire la différence sur ce point. Si dans le futur, certaines compétitions pourront avoir lieu sur la Seine suite à son assainissement, l’héritage sera là aussi important et les Parisiens pourront en profiter dans les années à venir. Cela demandera pas mal d’investissements dans Paris mais aussi dans d’autres collectivités. Ce serait une avancée écologique très importante d’avoir par exemple un fleuve moins pollué.

 

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