De nos jours, le savoir et sa transmission se sont engagés dans une mutation qui suit le progrès technique de la société. La dématérialisation des savoirs par la numérisation érode peu à peu les structures de la pensée humaine existante. Les anciens – comprenons ceux qui n’ont pas grandi avec internet – suivent tant bien que mal le courant tandis que les plus jeunes sont en surconsommation. Alors pourquoi s’intéresser au savoir ? Parce que l’on s’y intéresse de moins en moins. Pourtant, des sonnettes d’alarme sont tirées ici et là. En 1972, face au danger de la disparition de sites naturels et de monuments historiques, l’UNESCO a adopté la convention sur la protection du patrimoine culturel mondial. Le terme «liste du patrimoine en péril» apparaît à cette époque, et pour la première fois, l’homme moderne doit se positionner quant à la destruction éventuelle de sa propre histoire et de sa propre culture. En novembre 2012, 12 chefs de files de l’UNESCO ont initié le lancement d’un Manifeste sur l’avenir des systèmes de connaissances pour rappeler la souveraineté de la connaissance pour une planète en bonne santé. Loin d’un énième slogan altermondialiste, le constat dressé est simple et direct, voire inquiétant. Évoquant une succession de crises humaines à grande échelle, telles que « l’implosion financière, l’effondrement de l’économie, le chaos climatique, les crises énergétiques et alimentaire », le projet dénonce le rapport actuel de l’homme au monde.
En philosophie, on entend souvent dire que la connaissance libère l’homme des chaînes de l’ignorance et le guide vers le chemin de la liberté et de l’indépendance. Se connaître soi-même, connaître sa nature et trouver sa voie, tels sont depuis des millénaires les fruits de la recherche philosophique et spirituelle des savants et des autodidactes. Cependant, la notion de savoir n’a eu de cesse d’évoluer au cours de notre civilisation. Aujourd’hui, le progrès économique, industriel et technologique domine la société, structure notre pensée et y entretient un mode de vie matérialiste. Parallèlement, l’enseignement se réduit au cadre des derniers outils technologiques, sans remettre en cause le paradigme des dernières années, et sans donner de nouvelles perspectives aux têtes pensantes de demain.
Une nouvelle orientation dans l’enseignement du savoir
L’orientation résolument scientifique que prend l’enseignement de nos jours est bien significative. En 2005, un rapport publié par l’inspection générale de l’Éducation nationale et de la Recherche suggère «d’évaluer des mesures pour revaloriser la filière littéraire au lycée». En trente ans, cette filière, seule à favoriser une approche bien particulière des sciences humaines, a perdu la moitié de ses bacheliers, passant à 12% aujourd’hui. Le rapport montre le désintérêt pour la filière :
«La formation qu’apporte la série Littéraire n’apparaît pas comme adaptée aux exigences les plus visibles de la société contemporaine dont l’environnement, les objets et les pratiques reposent sur la technique. Or, l’essor de la civilisation techniciste se fonde sur le développement des sciences de la matière et le langage mathématique. En outre, le triomphe des écrans (télévision, Internet) s’est fait à l’avantage des supports de diffusion et au détriment du sens et du contenu. »
Bien que, dans les statistiques, les littéraires aient un niveau de réussite équivalent aux scientifiques, les médias et les politiques prolongent globalement la vague du tout scientifique. Exit le contrepoids culturel et la balance des sciences humaines. En 2007, le président Nicolas Sarkozy lançait un constat amer concernant ces disciplines, en répondant à une interview de 20 minutes. «Vous avez le droit de faire de la “littérature ancienne”, mais le contribuable n’a pas forcément à payer vos études de littérature ancienne si au bout il y a 1.000 étudiants pour deux places. Les universités auront davantage d’argent pour créer des filières dans l’informatique, dans les mathématiques, dans les sciences économiques. Le plaisir de la connaissance est formidable mais l’État doit se préoccuper d’abord de la réussite professionnelle des jeunes.»
La connaissance est donc rangée aux rayons des loisirs et devient un luxe coûtant cher. Dans ce contexte, l’étude des langues, de l’histoire des civilisations et des sciences ou de la philosophie incombe à une initiative individuelle et non à une stratégie structurante de la société. Que ce soit par manque d’information ou de communication interdisciplinaire, le résultat est là: les sciences humaines, la littérature, l’histoire sont, d’après les lois du marché, moins bien vus que la science, la technique et l’informatique.
Évolution vers une société matérialiste
Le divorce entre les sciences humaines et les sciences techniques n’a cessé de prendre de l’ampleur dans l’enseignement scolaire; scientifiques et littéraires s’opposent, comme on oppose le matériel à l’idée et l’humain. La définition du réel s’accepte plus facilement au bout d’un microscope que dans une connaissance acquise par l’expérience individuelle ou par une approche spirituelle et intellectuelle désintéressée. Ainsi, nos comportements ont peu à peu évolué vers une compréhension matérialiste de la société et une approche systématiquement pragmatique.
Jusqu’au siècle dernier, les sciences humaines, l’histoire et la littérature faisaient partie intégrante de l’enseignement et de la structuration de la société. De nos jours, ces disciplines ne rencontrent plus grand intérêt. À l’inverse, les sciences expérimentales, impliquant l’utilisation systématique d’une machine, et les sciences économiques, impliquant un revenu commercial, sont à l’honneur dans la société aujourd’hui. L’objectif du parcours scolaire est de rendre l’élève compétitif techniquement, et non de développer en lui un esprit critique et un libre arbitre. L’accumulation matérielle devient alors synonyme de valeur et la maîtrise d’un savoir, une notion abstraite du passé.
Néanmoins, le tableau n’est pas si noir, car il est possible grâce à internet d’avoir accès à des informations qui seraient inaccessibles sans. C’est là aussi le rôle des enseignants et des formateurs de montrer comment se servir intelligemment de ces nouvelles technologies, d’en expliquer leur bonne utilisation et les pièges à éviter.
Le rôle du pédagogue et de l’enseignant
L’arrivée d’internet a transformé l’enseignement et l’acquisition des connaissances en profondeur. Selon Nicolas Lapétina, enseignant vacataire à l’université de Montpellier, «force est de constater que nous, enseignants, n’avons plus la même résonance. Car de fait, le monopole de l’information ne nous appartient plus. Combien de fois ai-je vu des étudiants derrière leurs claviers, tout en m’écoutant, tout en saisissant le cours, ouvrir la fenêtre Google afin de constater par eux même si ce que je proclamais était vrai». Les élèves qui prennent encore le cours au stylo sont comparés aux ‘derniers des Mohicans’». D’après lui, la profession mue peu à peu, transformant le rôle de l’enseignant en facilitateur d’information.
Mais sur Internet, tout évolue à l’horizontal et la disponibilité immédiate des informations n’est pas un gage de qualité. Des contenus violents, négatifs ou fallacieux ont au mieux autant de chances d’être trouvés que des études scientifiques, des conférences d’experts, des ouvrages littéraires ou des œuvres d’arts classiques bien entendu. Google n’est pas là pour guider l’internaute sur la route de la connaissance, mais plutôt de lui proposer pêle-mêle tout un ensemble d’informations et de contenus, la plupart inutiles, non organisés et non triés. Pour le novice, c’est comme un grand sac dans lequel il plonge la main sans savoir à l’avance sur quoi il va tomber. Le rôle de l’enseignant et du pédagogue trouve alors toute sa place pour accompagner l’élève dans une utilisation sereine d’internet et pour l’orienter vers des connaissances structurantes.
Le savoir pour soi-même et pour les autres
Dans le courant de la mondialisation et de l’hypermédiatisation, la connaissance devient précieuse à celui qui l’utilise à bon escient. La maîtrise de la technologie permet actuellement à l’homme de contrôler son environnement et semble-t-il, de dominer la nature par la technique. D’après l’UNESCO, le problème est bien là, l’apparition d’ «un modèle de connaissance réductionniste [qui] repose sur des visions fragmentées du monde et qui assimile processus et systèmes vivants à des machines librement modifiables et manipulables. Or, agir comme si le monde était une machine conduit à un monde où les processus et les systèmes vivants sont détruits». Le rapport de l’organisation encourage ainsi à une évolution vers une vision holistique de l’homme prenant en compte la totalité de son histoire et non les dernières années. En effet, la mondialisation, l’économie de marché, la technologie imposent leur tempo dans une vision à court terme, au détriment des comportements naturels de l’homme et de la nature.
Dans l’histoire de l’Occident et de l’Orient, au début et au cours de notre civilisation, une place importante était pourtant faite au respect de la nature et à la moralité comme moyen d’accéder au savoir. Le savoir était considéré comme un bien accessible à tous, si tant est que les humeurs et les plaisirs ne prenaient pas le dessus sur la raison de l’homme voulant accéder à la connaissance. Un rôle déterminant était alors attribué aux valeurs de la bonté, de l’hygiène physique et intellectuelle, du respect des hommes dans la recherche de la vérité. Pour Socrate, dont les enseignements ont inspiré une partie de la pensée occidentale il y a 2.500 ans, l’exercice d’accéder au savoir est un moyen d’atteindre la libération de soi-même en plus du bonheur et de la santé. La maxime «Connais toi toi-même» assimilait en fait en son sein une étude conjointe de la nature, de l’homme et de l’univers. À la même époque, en Chine, l’idée n’était pas très différente. Chaque métier, chaque discipline et savoir-faire étaient appelés Tao, ce qui signifie une recherche intérieure de sa vraie personnalité et de sa place dans la société.
À cette époque, l’accent était mis sur la méditation ou la contemplation selon que l’on soit en Orient ou en Occident, et sur l’harmonie entre l’Homme et l’environnement. La nature de l’esprit de celui qui voulait apprendre était déterminante. Les savoir-faire et les techniques étaient considérées comme des habiletés secondaires et chaque discipline était respectée et préservée par l’assiduité quotidienne de l’élève, de l’artisan, du médecin, du savant, du fonctionnaire, etc. selon sa place dans la société. La présence de maîtres pour guider les élèves était la base de la transmission du savoir. Ce qu’une machine telle qu’internet ne pourra définitivement pas assurer, puisque fournisseur d’informations décontextualisées et d’applications remplaçant mal l’accès à un savoir par le travail et la recherche personnelle.
La technique et le savoir poursuivent donc un but différent. Il s’agit, pour l’étudiant, d’acquérir les clefs de la réussite dans ce monde, de lui permettre de se frayer un chemin à travers la société. Pour le meilleur et pour le pire, la dépendance de l’homme à la machine ne cesse d’augmenter, et ne cesse de redéfinir son accès au savoir et à sa manière de penser le monde. On pourra toujours admettre que l’apprentissage, quel qu’il soit, se fait par des erreurs, si tant est que l’on ait encore assez de recul pour les reconnaître et les utiliser en vue de nouveaux savoirs.
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