Détenu dans une prison chinoise surpeuplée, l’avocat aveugle Chen Guancheng dissimule son bien le plus précieux du regard des gardes – dans une petite boîte de lait.
Il s’agit d’une radio de poche à ondes courtes.
Pendant trois ans, M. Chen a attendu avec impatience les heures suivant le couvre-feu. Une couverture enroulée autour de sa tête et l’antenne métallique de la radio parallèle à son corps, il demeurait immobile, écoutant l’appareil vibrer sous son oreille, offrant un monde hors des murs de la prison chinoise. Pétitionnaires, manifestants, lanceurs d’alertes de violations des droits de l’homme, mouvement populaire visant à couper les liens avec le Parti communiste chinois (PCC) – dans ce petit murmure, il les voyait tous. Il était libre.
Depuis que M. Chen s’est enfui aux États-Unis il y a environ dix ans, le nombre de radiodiffuseurs occidentaux offrant des programmes destinés aux Chinois avides d’informations comme lui s’est considérablement réduit.
Les grandes radios – BBC, Deutsche Welle, Voice of America – ont soit réduit leurs services en Chine, soit transféré leurs émissions en ligne. Paralèllement, le « Grand Pare-feu », l’appareil de censure du régime visant à isoler la Chine sur le plan numérique, semble se renforcer de jour en jour.
Contrairement à celles-ci, « Sound of Hope » (Son de l’espoir), un réseau radiophonique géré en grande partie par des bénévoles, dont les émissions de 22 heures et de minuit tenaient M. Chen informé de l’actualité chinoise lors de ses années d’emprisonnement, est aujourd’hui l’un des plus grands réseaux radiophoniques de Chine.
Avec environ 120 stations diffusant des signaux en Chine 24 heures par jour et 7 jours par semaine, la société s’enorgueillit aujourd’hui de posséder l’un des plus grands réseaux de diffusion sur ondes courtes en Chine.
Allen Zeng, cofondateur et directeur général de la radio Sound of Hope, considère les ondes courtes comme la réponse à la censure du régime.
« Ils sont capables de couper internet, de commettre un meurtre, de nettoyer le sang, puis de remettre internet en marche », déclare-t-il à Epoch Times, en rappelant que l’Iran bloque régulièrement l’internet lors de manifestations nationales.
En revanche, avec les ondes courtes, « ils n’ont nulle part où couper », relève M. Zeng.
« C’est comme de la pluie qui tombe du ciel : on ne peut pas bloquer le ciel. »
Une voix de confiance
En 2004, un voyage improbable a débuté pour M. Zeng, alors ingénieur dans la Silicon Valley.
À l’époque, en Chine, une vaste campagne de persécution était en cours à l’encontre des pratiquants du Falun Dafa, qui représentaient près d’une personne sur treize de la population chinoise. Le Falun Dafa (aussi appelé Falun Gong) est une pratique basée sur les principes d’authenticité, de compassion et de tolérance.
Détentions arbitraires, camp de travail, administration forcée de médicaments psychiatriques et abus sexuels : les témoignages en provenance de Chine étaient suffisamment révoltants pour que M. Zeng et un groupe d’expatriés chinois décident de passer à l’action.
« Nous devions faire quelque chose. Nous devions arrêter les massacres », déclare-t-il.
La première chose qui lui est venue à l’esprit est la radio à ondes courtes, qui faisait partie de tout foyer en Chine depuis l’époque de la guerre froide. En 1989, M. Zeng et d’autres étudiants l’avaient utilisée pour obtenir des informations, lorsque les autorités ont fait rouler leurs chars sur les manifestants pro-démocratie sur la place Tiananmen.
« Parce qu’on ne pouvait se fier à rien d’autre », a-t-il déclaré.
Avec des moyens financiers et un savoir-faire limités, l’équipe a débuté modestement : ils ont loué une heure d’antenne au radiodiffuseur national taïwanais Radio Taiwan International.
À cette époque, les « Neuf commentaires sur le Parti communiste chinois », une série éditoriale d’Epoch Times qui expose la véritable nature du régime chinois, venaient d’être publiés, et la radio Son de l’espoir (Sound of Hope) l’a diffusée en audio.
Le succès a été tel à Pékin que les radios à ondes courtes ont été en rupture de stock pendant des mois.
La réaction et les encouragements occasionnels des auditeurs qui ont réussi à contourner le pare-feu internet chinois ont encourageaient l’équipe de M. Zeng à continuer leur travail. Des dissidents du régime se sont impliqués dans le projet, et les programmes se sont diversifiés. Peu après, Sound of Hope est devenu le plus gros contractant de Radio Taiwan International.
Étant donné l’opacité des informations en provenance de Chine, il est difficile d’évaluer la taille de l’audience du réseau.
Mais l’influence de Sound of Hope est devenue telle, que la radio a attiré l’attention de Pékin. Le régime chinois a commencé à faire pression sur le partenaire taïwanais radiophonique.
Finalement, le diffuseur taïwanais s’est retiré, et Sound of Hope est revenu à la case départ.
« Marcher dans l’obscurité »
Abandonner n’était pas envisageable pour M. Zeng.
Au fur et à mesure que le partenariat avec Taïwan s’effilochait, les ingénieurs se sont empressés de développer leurs propres solutions. Ils se sont inspirés des ondes radio des bateaux de pêche pour construire leur propre émetteur.
Le résultat fut une mini-tour basée à Taïwan avec des antennes orientées vers le haut se déployant comme des ailes. Ils l’ont surnommée « Goéland ».
L’équipe a visé juste. Le premier « Goéland » avait une puissance de 100 watts, soit un millième du plus petit service radio qu’ils avaient loué au radiodiffuseur taïwanais.
« C’était la seule chose que nous pouvions nous permettre », se rappelle M. Zeng.
Le premier « Goéland » installé n’a pas tenu longtemps, tout comme nombre de ses successeurs dont les autorités chinoises ont rapidement brouillé les signaux. Toutefois, pour l’équipe, il s’agissait d’une découverte majeure : même à seulement 100 watts, ils avaient encore une chance d’être entendus.
Ils ont continué à produire et à perfectionner leur équipement à chaque installation.
« C’était comme marcher dans le noir : nous ne savions pas s’il y aurait un bout à ce tunnel », a déclaré M. Zeng.
Finalement, au 16e essai, ils ont fait une percée. Le signal est passé et s’est maintenu.
Selon M. Zeng, ils avaient, à l’époque, consommé toute la puissance de brouillage de la Chine.
« Nous avons été plus forts qu’eux », a-t-il soutenu. « Ils sont incapables d’aller aussi vite que nous ne le faisions. »
L’expansion
Mis à part les défis techniques, faire fonctionner les stations n’était pas une mince affaire.
Les milieux sauvages, qui offrent le meilleur emplacement pour éviter les interruptions de signal, sont également le refuge d’une faune effrayante, allant des scorpions aux serpents. Une fois, le bénévole Hsieh Shih-mu, a marché sur un serpent, et en a aperçu beaucoup d’autres, en construisant les premières stations « Goéland », à l’extrémité sud de Taïwan. Souvent, il se retrouvait couvert de piqûres de moustiques, après avoir conduit en moto sur un chemin montagneux, vacillant et dans l’obscurité totale.
Étroit et boueux, le chemin devient doublement traître après la pluie. Une fois, un autre bénévole a failli tomber de la colline – si ce n’était des branches d’arbres en bordure de route qui n’avaient retenu sa moto. Il a fallu appeler une dépanneuse pour remonter l’homme.
Mélangeant du béton, soudant des métaux et érigeant des antennes, l’équipe a tout mis en place à partir de rien. L’échec d’une étape pouvait mettre leur vie en jeu.
Parfois, après la mise en service d’une tour radio, les pièces vieillissantes tombaient en panne. Les interférences de Pékin, la faune et la flore menaçantes, les conditions météorologiques difficiles, tout pouvait leur barrer la route. À tout moment, une personne devait être assignée à la surveillance du signal, prête à pallier toute défaillance.
« Nous ne savions pas quel était notre impact, mais nous avions entendu que c’était quelque chose de faisable, alors nous nous sommes mis au travail », se rappelle M. Hsieh, dans un entretien avec Epoch Times. « Et nous n’avons pas lâché l’affaire. »
Son emplacement, perchée au sommet d’une montagne à deux pas de la Chine continentale, couvrait le delta de la rivière des Perles en Chine méridionale, un centre économique et manufacturier clé du pays.
Aujourd’hui, selon une « estimation modeste » de M. Zeng, le réseau radio Sound of Hope couvrirait 60% de la Chine et atteindrait 80% de sa population, y compris au Tibet et au Xinjiang, où la surveillance est très stricte.
Sound of Hope génère des revenus grâce à ses activités aux États-Unis, à la location à d’autres réseaux radiophoniques et aux dons, explique Selon M. Zeng.
Avec 120 stations installées au pourtour de la Chine, le réseau des « Goélands » est plusieurs fois plus important que celui de Voice of America et de Radio Free Asia. Et ce, même si ces deux réseaux reçoivent des fonds du contribuable pour soutenir leurs opérations, relève M. Zeng.
Coups durs
Incapable de bloquer les ondes de Sound of Hope dans le ciel, le PCC s’est attaqué à l’infrastructure du réseau au sol.
Après avoir repéré les signaux et trouvé l’emplacement des « Goélands », les agents du régime ont fait pression sur les pays hôtes pour qu’ils démantèlent le réseau radio.
L’une des cibles était le « Goéland » situé dans le nord de la Thaïlande. En août 2018, la station a fait l’objet d’une descente de police, qui a démantelé l’équipement et tout emporté, y compris les ventilateurs électriques, selon l’homme d’affaires taïwanais Chiang Yun-hsin, responsable de la station.
« C’était tout simplement époustouflant », a-t-il déclaré à Epoch Times.
En novembre, M. Chiang a été arrêté et conduit pendant la nuit à un poste de police de Bangkok.
Lors de son arrestation, M. Chiang a appris par l’un des policiers que la police chinoise avait localisé leur station grâce à des images satellites. Les policiers chinois étaient si déterminés à agir qu’ils ont pris l’avion jusqu’à Bangkok pour exiger de leurs homologues thaïlandais qu’ils démantèlent le réseau. Le procureur a ensuite déclaré à son avocat que l’ambassade de Chine tenait absolument à ce que M. Chiang soit envoyé en prison.
« Ils voulaient faire de moi un exemple », a déclaré M. Chiang.
M. Chiang, qui pratique le Falun Gong, a déclaré que les autorités chinoises s’étaient donné beaucoup de peine pour faire refléter une impression négative de lui: en discréditant vivement sa pratique méditative auprès de leurs homologues thaïlandais. Le premier matin de sa détention, alors que M. Chiang méditait, un officier thaïlandais a été surpris par son attitude paisible et s’est demandé à voix haute pourquoi les autorités chinoises l’avaient décrit comme un homme dangereux.
Finalement expulsé de Thaïlande avec une interdiction de séjour de 10 ans, M. Chiang est retourné à Taïwan, sans regrets – il a fait ce que doit, disait-il.
Il s’est souvenu, qu’il y a vingt ans, à Changchun, dans le nord-est de la Chine, un groupe de compagnons de pratique du Falun Gong avait risqué leur vie pour détourner un signal de la télévision d’État chinoise afin de diffuser un programme contrant la propagande haineuse du régime à l’égard de leur pratique méditative. Ce qui avait conduit à l’arrestation de millions de personnes par un régime frénétique.
Rendu à Taïwan, de l’autre côté du détroit, M. Chiang avait lu des témoignages révélant les graves tortures qui tuaient de nombreux pratiquants de Falun Gong emprisonnés en Chine, et en avait rencontré plusieurs qui avaient dû abandonner leur pays d’origine pour sauver leur vie.
Il a déclaré que, comparé à eux, le prix qu’il avait payé était « insignifiant ».
La précieuse radio
M. Chen, avocat autodidacte qui défendait les plus démunis en Chine, a obtenu sa première radio à ondes courtes dans les années 1990, et en a toujours gardé une près de lui, jusqu’en 2012, lorsqu’il s’est réfugié à l’ambassade américaine et a été autorisé à se rendre aux États-Unis.
Pendant les périodes intermittentes de confinement à domicile et d’emprisonnement en raison de ses activités de défense des droits de l’homme, l’appareil était ses yeux et oreilles, lui permettant de garder contact avec le monde extérieur.
Lorsque les autorités l’ont jeté en prison pour avoir dénoncé la politique d’avortement forcé du régime, il a obtenu une radio en contrebande, grâce au système des boîtes de lait, permettant de la faire passer à l’insu des nombreuses caméras, du regard des autres détenus et des gardiens qui fouillaient leurs bagages toutes les deux semaines.
Aujourd’hui, malgré l’omniprésence des smartphones et des ordinateurs, cette technologie demeure éprouvée et toujours d’actualité, en particulier dans les régions rurales de la Chine, a déclaré M. Chen, car peu coûteuse et capable d’informer, indépendamment de la disponibilité de l’internet.
« C’est une communication à sens unique, mais elle demeure essentielle », a-t-il déclaré à Epoch Times. « Même si vous êtes enfermé, au moins vos pensées demeureront en phase avec la société actuelle. »
M. Chen qualifie les reportages de Sound of Hope de « terre à terre », car ils abordent de manière détaillée les affaires sociales de la Chine.
« Quelqu’un doit garder un œil sur la souffrance dans cette partie du monde et la placer sous les feux de la rampe internationale », a-t-il déclaré. « Il faudrait consacrer davantage de ressources à ce domaine. »
Alors que plusieurs radios battent en retraite, Sound of Hope promet de poursuivre sa mission.
« C’est ce que le gouvernement chinois craint le plus », a déclaré M. Zeng. Sinon, « pourquoi déploient-ils tant d’efforts pour nous bloquer, même encore aujourd’hui ? »
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