Sophie Audugé : « Il existe des cas où des enfants en maternelle sont aujourd’hui exposés à des discours sur la masturbation ou l’identité de genre »

Par Etienne Fauchaire
3 octobre 2024 19:26 Mis à jour: 4 octobre 2024 08:34

ENTRETIEN – Sophie Audugé est directrice de SOS Éducation et spécialiste des politiques éducatives. Maurice Berger est pédopsychiatre et ancien professeur associé de psychopathologie de l’enfant à l’université Lyon-II. Ensemble, ils publient L’éducation sexuelle à l’école : Les nouvelles orientations de l’Éducation nationale en question. Cet ouvrage se veut un cri d’alarme face à une dérive idéologique de l’Éducation nationale par laquelle l’État s’invite sous les draps des enfants au travers de cours d’éducation à la sexualité, qui les exposent souvent à un « réel sexuel adulte » inadapté à leur âge. Dans cet entretien, Sophie Audugé alerte sur les conséquences psychiques d’une exposition précoce à des contenus d’ordre sexuels, l’introduction de l’idéologie du genre en classe par le biais de ces séances, et l’influence des standards de l’OMS sur la législation actuelle, eux-mêmes inspirés par les travaux d’Alfred Kinsey, un zoologiste américain dont l’ambition était de normaliser la pédophilie.

Epoch Times : Tout d’abord, pourquoi s’opposer aux termes même « d’éducation à la sexualité » ?

Sophie Audugé : Maurice Berger et moi-même nous opposons à ce terme, car il laisse entendre que l’enfant est doté dès la naissance d’une sexualité fonctionnelle du même registre que celle de l’adulte. Cette terminologie a été dévoyée, notamment dans les travaux de l’Organisation mondiale de la santé et à travers les standards européens d’éducation sexuelle, qui fixent comme postulat l’idée que les enfants naissent avec une sexualité fonctionnelle, justifiant ainsi une éducation à la sexualité dès le plus jeune âge dans le cadre scolaire.

À partir d’un travail d’explicitation des différents stades du développement de l’enfant, de sa naissance jusqu’à la puberté, élaboré avec des pédiatres, des pédopsychiatres et des cliniciens du développement, nous démontrons l’inanité de cette thèse dans notre livre.

Un enfant n’est pas sexuel, mais sensoriel. À ce titre-là, il traverse une phase d’exploration et d’interrogation liée à son immaturité cognitive et psychique. L’enfant cherche à comprendre qui il est, d’où il vient, et à appréhender à sa manière la différence des sexes et des générations. C’est un processus par lequel celui-ci développe des interprétations personnelles, ce que l’on appelle une vision fantasmatique, essentielle pour qu’il puisse se développer à son rythme.

Il est dans l’intérêt de l’enfant de préserver cette vision fantasmatique, car elle nourrit sa créativité, sa capacité à penser le monde et à se positionner dans ses relations. Toute intrusion dans cet espace peut entraver son développement. Aussi, projeter sur un enfant une sexualité d’adulte alors qu’il est encore en pleine construction, et non sexuellement fonctionnel, revient à l’obliger à grandir plus vite, ce qui est contraire à son intérêt.

J’ajoute qu’il n’existe absolument aucune étude scientifique démontrant un bénéfice, du point de vue du développement de l’enfant, à lui transmettre des informations sur la sexualité adulte. Aucune.

Quand commence cette « éducation à la sexualité » à l’école et quelles peuvent être les conséquences psychiques chez l’enfant lorsque celui-ci est exposé à un « réel sexuel » inadapté à son âge ?

Depuis 2001, la loi prévoit trois séances annuelles obligatoires d’éducation à la sexualité par classe, dès le début de l’instruction obligatoire (6 ans en France). En 2007, l’âge d’instruction obligatoire est toutefois passé à 3 ans, permettant ainsi d’interpréter la loi comme applicable dès la maternelle. Certaines académies mettent ainsi en œuvre les programmes d’« éducation à la vie affective, relationnelle et à la sexualité » dès cet âge.

Dans notre livre, nous relatons des exemples d’interventions en maternelle durant lesquelles les enfants sont exposés à des discours sur la masturbation ou l’identité de genre, c’est-à-dire l’idée selon laquelle ils peuvent choisir d’être fille ou garçon selon leur ressenti.

Bien malheureusement, la circulaire de 2003 qui encadrait l’éducation à la sexualité a été remplacée en 2018 par une autre version, moins protectrice face aux risques d’expositions d’un enfant à un réel sexuel dans le cadre scolaire. Bien qu’établissant quelques garde-fous, l’ensemble de cette circulaire comporte une multitude d’injonctions contradictoires qui ouvrent la porte à toutes formes de dérives. Ainsi, des discours relatifs à la sexualité adulte (fellation, masturbation, pénétration, sodomie) sont parfois tenus à des enfants de primaire, alors même qu’ils ne sont pas prêts à les entendre à leur stade de développement.

Avant la puberté, les enfants sont guidés par des pulsions de savoir, et non par des pulsions sexuelles. L’enfant n’a ni la capacité physiologique ni psychique d’être un être sexuel avant la puberté. L’éducation doit donc se concentrer sur des savoirs à leur portée, écartant tout ce qui concerne le registre sexuel, car leur imposer un enseignement sur la sexualité adulte peut percuter leur vision fantasmatique et provoquer un choc psychique, pouvant aller de la sidération à l’excitation.

Certains enfants peuvent alors se refermer, ressentir du dégoût envers la sexualité, ou développer des troubles tels que des cauchemars ou de l’énurésie nocturne. Il s’agit là d’une symptomatologie relevant d’un état de stress post-traumatique. D’autres peuvent chercher à expérimenter ce qu’on leur a appris, ce qui peut conduire à des comportements inappropriés, comme une augmentation de la masturbation et des gestes déplacés à l’école ou à la maison. Il a d’ailleurs été constaté une hausse des agressions sexuelles chez les plus jeunes, en primaire notamment.

Au lieu d’exposer les enfants à un « réel sexuel » inadapté, l’institution scolaire, à l’instar des parents, devrait rappeler constamment aux enfants que leur corps leur appartient, que personne n’a le droit de toucher leurs parties intimes sauf en cas de soin d’hygiène ou de santé qui le nécessitent, que les adultes n’ont pas le droit de tenir des propos sexuels en leur présence, car cela est choquant et dangereux pour eux. Les enfants doivent savoir qu’il y a des adultes pour les protéger, à la maison comme à l’école, et que s’ils vivent des situations préoccupantes, des adultes sont là pour les écouter et les aider.

Pour passer ces messages aux enfants, il n’est pas nécessaire d’utiliser un langage explicite sur la sexualité. Cela peut se faire par le biais de contenus pensés par des spécialistes (médecins, pédopsychiatres) qui savent comment aborder ces sujets pour leur fournir des éléments de prévention adaptés à leur âge, tout en les préservant.

Vous écrivez que l’éducation à la sexualité est aujourd’hui devenue le « cheval de Troie » de l’idéologie du genre, dont les principes sont distillés par des structures militantes qui présentent une vision idéalisée de ce processus en omettant délibérément d’aborder les risques notamment médicaux qui lui sont inhérents. Pouvez-vous développer ?

Depuis quelques années, les manuels scolaires comportent des contenus qui véhiculent les principes de l’idéologie du genre. On y trouve par exemple des dessins incluant non seulement les symboles des sexes mâle et femelle, mais aussi le symbole pour un « troisième sexe », ou sexe neutre. On remarque également l’utilisation d’une certaine sémantique avec des manuels jouant de la confusion entre sexe et genre, ce qui revient à faire croire que le sexe serait « assigné à la naissance » par une autorité arbitraire.

Ces supports d’apprentissage véhiculent donc une idéologie plutôt qu’un savoir scientifique : un être humain naît avec un sexe mâle ou femelle, et cette différence est irréductible à vie. Chaque cellule de notre corps porte cette information, et la physiologie, le développement hormonal, et le développement psychique suivent cette logique biologique.

Au lieu de leur expliquer cette réalité scientifique, on présente souvent une vision fantasmée, irréaliste, même rêvée du changement de genre ou de sexe aux enfants, sans aborder les implications de tels choix, quand bien même il parait aberrant d’avoir de telle discussions avec des jeunes de leur âge. Par exemple, prendre des bloqueurs de puberté affecte le développement physique et psychique, ce qui entrave notamment le développement normal des capacités de gestion des émotions et des aptitudes cognitives nécessaires au discernement. Il n’est pas expliqué non plus aux enfants que ces traitements peuvent mener à une infertilité permanente et qu’ils devront prendre des médicaments à vie.

Cette manière de présenter les choses est d’autant plus dangereuse que les enfants, par nature influençables, n’ont pas encore développé une identité sexuée solide. Au sortir du primaire, beaucoup d’entre eux en ressortent convaincus par ces idées, puis, quand vient l’adolescence et la crise identitaire liée au chamboulement pubertaire, certains peuvent penser que changer de genre constituerait une solution à leur mal-être. Malheureusement, ils empruntent alors un chemin qui les conduit vers des choix souvent irréversibles et qui ne répondront pas à la véritable cause de leur souffrance.

Les dérives durant certains cours sur cette éducation à la sexualité que vous rapportez dans votre livre sont-elles plus fréquentes dans le système public ou privé ?

Nous avons reçu plus d’une centaine de témoignages, et continuons d’en recevoir. Ces témoignages révèlent que les dérives liées à l’éducation à la sexualité, notamment au travers de séances abordant explicitement la sexualité adulte, sont plus fréquentes dans le public que dans le privé, même si l’idéologie du genre y est tout aussi répandue.

La méfiance étant déjà bien ancrée, de plus en plus de parents nous ont confié avoir décidé de retirer leurs enfants du système public pour les inscrire dans le privé, estimant que les dérives idéologiques, notamment liées à la sexualisation, y sont moins fréquentes.

Vous soulignez par ailleurs que l’éducation à la sexualité comporte plusieurs fragilités juridiques relatives aux droits et à la protection des enfants. Faut-il des actions judiciaires pour mettre un terme aux dérives observées durant certaines séances ?

Il est expliqué dans notre ouvrage que la circulaire de 2018 fixe quelques garde-fous pour l’éducation à la sexualité, mais laisse également des zones floues qui ouvrent la voie aux dérives que nous constatons. En outre, les garde-fous établis ne sont souvent pas respectés. Par exemple, le registre de la sexualité adulte ne devrait pas être évoqué en primaire, mais nous recevons des témoignages de séances qui attestent que sont bien abordés des sujets tels que la pénétration, la fellation, la masturbation.

Eu égard aux dérives constatées, nous énonçons dans notre essai un certain nombre d’axes de droit mobilisables. En revanche, il est essentiel de comprendre que les divers niveaux de qualification juridique ne peuvent être appliqués que dans des cas spécifiques. Prenons l’exemple d’une élève de quatrième, obligée de poser un préservatif sur un modèle en érection malgré son refus, alors même qu’elle avait un passé d’abus sexuel connu de l’établissement. Poser un préservatif sur un sexe, même s’il est fictif, pourrait être qualifié d’abus sexuel, selon la définition officielle.

Toutefois, lorsqu’il s’agit d’agir, les parents se trouvent souvent démunis. Les contraintes liées aux délais d’instruction, à la charge de la preuve, et aux exigences procédurales rendent les recours très complexes.

Pour un enfant victime d’une effraction traumatique, il faudrait que celle-ci soit d’abord constatée par un rapport médical, ce que les parents ne font généralement pas. L’enfant, après avoir été choqué et traumatisé, devrait consulter un pédopsychiatre qui atteste du traumatisme et établisse un lien direct avec la séance en question. Ce n’est qu’avec de tels éléments que des actions en justice contre l’établissement et les intervenants seraient envisageables, sans quoi toute procédure est quasiment impossible.

Cela montre à quel point il est difficile, malgré la multitude de droits théoriquement en place pour protéger les enfants, de faire reconnaître qu’ils ont été victimes d’actes traumatisants. La charge de la preuve complique les actions en justice, d’où la nécessité d’intervenir au niveau législatif et institutionnel pour remettre en question les lois actuelles.

Vous rapportez que la législation actuelle découle des standards de l’OMS, eux-mêmes influencés par les travaux du zoologiste américain Alfred Kinsey. Quel rôle ont-ils joué dans leur formation ?

L’idéologie d’une sexualité dès la naissance est directement issue des travaux d’Alfred Kinsey, qui, sans formation en sexologie, a produit dans les années 1950 des études dénuées de toute rigueur visant spécifiquement à prouver l’existence d’une sexualité et d’une jouissance infantiles et ainsi à normaliser la pédophilie.

Les travaux d’Alfred Kinsey ont rapidement fait l’objet de critiques sévères de la part de célèbres scientifiques comme Abraham Maslow et John Tukey, qui les ont jugés sans valeur en raison de leur méthodologie défaillante. L’échantillon sur lequel il s’est appuyé comportait une surreprésentation de délinquants sexuels et de pédocriminels, dont les témoignages ont été utilisés pour élaborer des statistiques. Ces données provenaient de maltraitances sexuelles infligées à des enfants par ces criminels, présentées par Kinsey comme des ‘orgasmes’, alors qu’il n’en était rien. Certains tableaux contenaient même des informations sur des enfants de cinq mois, reflétant des actes de maltraitance inqualifiables. À partir de ces données biaisées et immorales, Kinsey a développé une idéologie affirmant l’existence d’une sexualité infantile fonctionnelle dès la naissance.

Celui-ci a ensuite utilisé ces arguments pour prétendre que si les enfants avaient une sexualité fonctionnelle dès le plus jeune âge, il n’y avait aucune raison de condamner les interactions sexuelles entre adultes et enfants. Pour lui, le véritable problème n’était pas l’acte de pédocriminalité, mais la réaction des adultes face à celui-ci. Cette rhétorique visait à banaliser la pédophilie et les relations incestueuses, et Kinsey, avec ses partisans, a consacré près de trente ans à analyser et à justifier de tels actes sous couvert de recherche.

Après la mort de Kinsey, ses disciples ont poursuivi la diffusion de son idéologie dans des institutions académiques majeures, intégrant des universités américaines. Ils ont fondé le SIECUS (Sexuality Information and Education Council of the United States), qui est devenu le fondement de l’éducation sexuelle dans les écoles américaines. Les principes qui seront ensuite intégrés dans les standards de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) reprennent exactement les propositions et programmes déployés par le SIECUS.

L’éducation sexuelle à l’école – Les nouvelles orientations de l’Éducation nationale en question, Sophie Audugé et Maurice Berger (Artège), 18,90€.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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