Les appels à armer la population se multiplient au Soudan avec l’avancée des paramilitaires vers le sud, faisant planer le spectre d’une guerre civile totale dans un pays déjà ravagé par huit mois de conflit entre les généraux rivaux.
Après s’être emparés de la majeure partie de l’État d’al-Jazira et de sa capitale Wad Madani, les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdane Daglo ont continué leur percée vers le sud et se sont emparés de territoires dans l’État voisin de Sennar.
Effrayés par les violences contre les civils dont sont accusées les FSR, des citoyens ont lancé une campagne « de résistance populaire armée » dans d’autres États, ceux du Nil Blanc, du Nil, de Gedaref, du Nord, de Kassala et de la mer Rouge. Dans les zones qu’elles ont conquises, les FSR ont de leur côté exigé des habitants qu’ils fournissent des volontaires, afin de les armer pour « protéger leur territoire ». Cette course à l’armement auprès des populations fait craindre une militarisation à grande échelle.
Plus de 12.000 personnes ont déjà été tuées depuis que le conflit a éclaté mi-avril entre l’armée du général Abdel Fattah al-Burhane et les FSR du général Daglo. Et ce chiffre est, selon toute vraisemblance, largement sous-estimé tant des pans entiers du pays sont coupés du monde. Le chiffre des déplacés est également très élevé – il concerne 7,1 millions des quelque 48 millions de Soudanais, dont 1,5 million dans les pays voisins, d’après l’ONU.
Gouverneurs et paramilitaires multiplient les appels à armer les civils
Dans la ville de Chendi (État du Nil), dans le Nord jusqu’ici épargné par les combats, le gouverneur Mohammed Badaoui s’est exprimé la semaine dernière devant des milliers de personnes : « nous allons former les jeunes au port d’armes pour qu’ils puissent défendre leurs terres, leur honneur et protéger leurs familles de la rébellion », a-t-il dit, en référence aux FSR.
Lundi, dans le port soudanais de Suakin (État de la mer Rouge), situé à près de 800 km au nord-est de Khartoum, un chef tribal Beja, Mohammed el-Amine Turk, a lui menacé : « nous sommes prêts à prendre les armes pour vaincre » les paramilitaires.
Dans un village situé dans la partie orientale d’al-Jazira, un habitant qui a requis l’anonymat pour des raisons de sécurité a affirmé à l’AFP : « les FSR arment un certain nombre de jeunes hommes de chaque village, ils leurs remettent des Kalachnikovs et un ou plusieurs véhicules, selon la taille du village ».
Des armes à feu plus faciles à obtenir que de la nourriture
À ce jour, selon le projet de recherche Small Arms Survey (SAS), 6,6% des 48 millions de Soudanais possèdent une arme à feu.
La situation est particulièrement critique au Darfour (ouest). Cette région, la plus touchée par les combats avec la capitale Khartoum et le Kordofan (sud), a connu un conflit sanglant dans les années 2000 ayant fait 300.000 morts et 2,5 millions de déplacés, selon l’ONU.
Dans cette vaste région, affirmait déjà l’ONU en mai, des civils armés et des combattants tribaux ou rebelles ont rejoint les affrontements entre camps rivaux. Dans ce contexte, analyse un responsable soudanais de la sécurité qui a requis l’anonymat auprès de l’AFP, les appels à armer les civils « sont désastreux (…), dans un pays qui souffre déjà de la prolifération des armes ».
« Il faut appeler les deux camps à mettre fin au conflit au lieu d’encourager les citoyens à rejoindre la résistance populaire ou à rejoindre les rangs de l’armée », estime aussi Sherif Mohammed Othman, un dirigeant des Forces pour la liberté et le changement (FLC), le principal bloc civil au Soudan. Car, dit-il, « cela aura pour seul effet de prolonger la guerre ».
Fin 2022, la Commission gouvernementale en charge de la collecte des armes estimait que « cinq millions d’armes étaient aux mains de citoyens, sans compter celles des groupes rebelles du Darfour, du Kordofan-Sud et du Nil Bleu ».
Un chiffre là encore largement sous-estimé, selon le responsable de la sécurité. « Même avant la guerre, les autorisations de port d’armes étaient devenues faciles à obtenir », dit-il, sans compter le fait que la contrebande d’armes en provenance des pays voisins a aussi prospéré.
Youssef Ali, un habitant d’al-Jazira ne s’embarrassera pas de cette autorisation : « si aucun camp ne me donne une arme, j’en achèterai une moi-même », prévient-il. Car, dit-il, « c’est même plus facile que de trouver de la nourriture ».
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