C’est un procès extrêmement rare qui démarre lundi, digne d’un film d’espionnage : deux ex-agents secrets français soupçonnés de trahison après avoir été retournés par les services chinois sont jugés devant la cour d’assises spéciale de Paris.
Pierre-Marie H. et Henri M. comparaissent notamment pour « livraison d’information à une puissance étrangère », « atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation », « intelligence avec une puissance étrangère ». Ces deux hommes qui travaillaient pour la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), le service d’espionnage français, encourent 15 ans de prison.
Les anciens agents ont été mis en examen et placés en détention provisoire en décembre 2017, alors qu’ils étaient déjà à la retraite. Pierre-Marie H. a depuis été libéré sous contrôle judiciaire. Son épouse, Laurence H., sera également jugée, notamment pour « recel de bien provenant d’intelligence avec une puissance étrangère de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ».
Ils comparaissent devant une cour d’assises spéciale, composée uniquement de magistrats professionnels. Mais ce dossier ultra-sensible sera probablement jugé à huis clos en raison du risque d’atteinte au secret-défense.
Une « extrême gravité »
Quand l’affaire avait été révélée en mai 2018, les autorités françaises avaient parlé d’une affaire d’une « extrême gravité ». Les deux suspects sont « soupçonnés d’avoir commis des actes susceptibles d’être qualifiés d’actes de trahison (…) et susceptibles de mettre en cause les secrets de la défense nationale », avait déclaré la ministre des Armées Florence Parly.
Le ministère de la Défense avait alors assuré que la DGSE elle-même avait détecté la fuite et « porté à sa propre initiative ces faits à la connaissance du procureur de Paris ». Mais les autorités étaient restées très évasives sur les faits et n’avaient même pas dit au profit de quel pays les agents auraient trahi.
Le renseignement extérieur français espionné pour le compte de Pékin
Les deux accusés auraient, selon plusieurs médias, espionné le renseignement extérieur français pour le compte de Pékin. Les deux hommes se sont côtoyés au contre-espionnage à la DGSE.
En 1997, Henri M. a été nommé représentant officiel de la DGSE à Pékin, où il a occupé le poste de deuxième secrétaire à l’ambassade. Mais il a été rappelé en France dès début 1998, après avoir entamé une liaison avec l’interprète chinoise de l’ambassadeur. Il a pris sa retraite quelques années plus tard et est retourné en Chine en 2003, où il a épousé l’ex-interprète, avec laquelle il s’est installé sur l’ile de Hainan, dans le sud de la Chine.
Pourquoi ont-ils été interpellés si tard? Il y aurait eu, selon un bon connaisseur du dossier, une faille au sein de la DGSE et Henri M. n’aurait pas été surveillé pendant des années après son départ à la retraite.
Pierre-Marie H. s’est lui fait arrêter à l’aéroport de Zurich avec du liquide après avoir rencontré un contact chinois sur une île de l’Océan indien. Lui n’a jamais été en poste à l’étranger. Mais outre le contre-espionnage, il est passé par la surveillance des organisations de masse, parmi lesquelles les syndicats.
En quoi les deux hommes sont-ils liés, au-delà de l’ombre de la Chine ? Les hypothèses sont nombreuses mais une chose est sûre: ils étaient surveillés depuis plusieurs mois lorsqu’ils ont été arrêtés.
Franck Renaud, journaliste, auteur du livre « Les Diplomates » (éditions Nouveau monde, 2010) sur le Quai d’Orsay, dans lequel il évoquait le cas de Henri M., met en avant le contexte « très lourd entre la France et la Chine dans les années 90 », après Tiananmen et l’affaire des frégates à Taïwan.
« C’est une affaire qui a posé pas mal de problèmes à la DGSE, qui a dû rapatrier des yeux et des oreilles du dispositif qu’elle avait installé en Chine », a expliqué Franck Renaud à l’AFP.
Le verdict sera rendu le 10 juillet.
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