Et si des constellations d’étoiles étaient enfouies dans les terres du passé… le delta du Diquis dans le sud du Costa Rica où se trouve la mangrove la plus étendue d’Amérique centrale avait inspiré Jacques Cousteau dans les années 1980. Il en avait retenu l’extraordinaire diversité de la faune et de la flore, montrant les méandres impénétrables mais fragiles d’un territoire de plusieurs dizaines de milliers d’hectares débouchant sur l’océan Pacifique tropical et ses eaux chaudes où viennent chaque année se reproduire les baleines. Il avait simplement évoqué la présence de volumineuses sphères de granit, sans en connaître ni les origines ni le sens.
Et si en fait, ces sphères, de toutes les tailles et d’une rondeur parfaite, parfois alignées, disposées en triangle, ou aussi sans aucune logique, étaient là pour composer le reflet de notre univers mis à plat.
Certains en effet, ont défini les sphères mystérieuses du Costa Rica tels les éléments d’une représentation astrale monumentale, un jardin astronomique en quelque sorte. Leur perfection inhumaine, bien que réalisées par l’homme, les font apparaître comme des boules de feu pétrifiées.
En rupture totale avec les civilisations précolombiennes dont la forme artistique des représentations culturelles tournait autour du monde naturel, avec des modèles animal, végétal ou humain, les Indiens du Détroit du Diquis dont les récentes études ont pu démontrer l’étendue de leurs connaissances, avaient choisi pour leur part de développer le concept totalement abstrait de la sphère de pierre. Une représentation tridimensionnelle de l’Équilibre, l’Égalité et la Plénitude, dans laquelle Haut et Bas, Gauche et Droite perdent leur signification et leur raison d’exister.
Depuis leur découverte très tardive, les avis les plus divers ont tenté d’expliquer le phénomène.
D’un signal évident de la visite d’extra-terrestres sur terre pour certains, à la composition d’un calendrier astronomique de grande précision pour d’autres, dont les ombres indiqueraient les meilleures périodes pour semer et récolter, chasser et pêcher, faire la guerre et vivre en paix, les thèses, parfois aussi les plus farfelues, ont été avancées: compas magnétique, dispositifs de navigation, symboles mythologiques de la lune et du soleil, jeu de boules d’un monde de géants, éléments d’un système permettant l’équilibre atmosphérique et tectonique des Amériques car positionnées au point précis de jonction des masses du nord et du sud du continent, phénomène naturel durant la période de glaciation, mêlant le feu à la glace qui aurait abouti dans certaines situations, à polir le granit dans une sorte de tourbillon circulaire.
Mais les recherches de plusieurs archéologues costariciens durant les dix dernières années permettent à présent de comprendre quand (?), comment (?), par qui (?), pourquoi (?) ces mystérieuses représentations ont été réalisées.
Parmi les faits établis, il en est un qui tient du miracle : ces sphères dont le diamètre peut aller de quelques dizaines de centimètres à plus de deux mètres – les plus volumineuses pèsent plus de 15 tonnes – ont réussi à échapper totalement aux « prédateurs » des civilisations anciennes. Ni les conquistadors espagnols, ni les missionnaires, ni les corsaires et boucaniers qui trouvaient refuge dans le delta et venaient y cacher leurs trésors, n’ont découvert leur existence. En effet, absolument aucune trace n’a été rencontrée dans les écrits des siècles passés sur les sphères avant leur découverte.
C’est en 1516, qu’est évoqué la première fois le delta de Diquis par Hernán Ponce et Bartolomé Hurtado. Leurs carnets de route racontent le trajet par la mer entre la péninsule de Asuero, plus au sud au Panama, et les côtes du delta. Ce sont les deux seuls témoignages de cette expédition car la grande majorité des hommes qui y participèrent décédèrent avant l’arrivée, de maladie, de piqûres de serpent, d’accidents. Les deux espagnols décrivent toutefois la profusion des bijoux et ornements en or que possèdent les indigènes. Rien sur les sphères.
En 1520, Gaspar de Espinoza et Francisco Pizarro tentent d’atteindre le delta pour y chercher l’or largement évoqué dans les carnets de Ponce et Hurtado. Les conditions de voyage sont telles (maladie, pluies intenses) qu’ils font demi-tour bien avant d’atteindre le delta et les sphères.
En 1522, Gil Gonzales Dávila et Andres Nino, et une petite armée atteignent le delta. Avant d’entrer à Palmar, ils prennent d’assaut le long d’un fleuve, la maison d’un « cacique » (chef de village), nommé Coto. Le fleuve s’appelle aujourd’hui Rio Coto. Ils retiendront encore la profusion d’or, pilleront certaines familles. Mais rien dans leur récit concernant les sphères.
En 1563, Juan Vásquez de Coronado, et son armée, ratisse la région et monte plusieurs expéditions pour capturer de nouveaux esclaves. Cette chasse à l’homme, accompagnée de pillages, de saccages et de massacres, dure sept années, mais absolument rien dans les écrits sur les sphères.
En fait, une source écrite en réalité datant de 1560 fait état de l’existence de la terre des « boules » (« bolas »). Il s’agit d’un colonisateur espagnol au Pérou qui écrivait des chroniques. Dans l’une d’entre elles, il évoque des peuples, installés beaucoup plus au nord et écrit : « J’ai entendu que les hautes personnalités de cet empire se réunissent une fois, tout les quatre ans, dans le pays des « boules ». Ils s’y rendent pour recevoir les conseils de Grands Sages ». Il se pourrait que cette terre des boules, soit en fait le delta du Diquis.
De 1502 à 1939 date de leur découverte, soit durant 437 années de phases successives de colonisation, aucun écrit n’évoque précisément la présence des sphères dans le delta.
Leur découverte date en effet de 1939 et elle est attribuée à l’ingénieur américain, George P. Chittenden, un cupide explorateur travaillant pour l’entreprise américaine United Fruit Company. Chittenden achetait des terres de grande fertilité, les faisaient défricher totalement pour permettre les plantations de banane sur des milliers d’hectares.
Mais en pénétrant dans la jungle du delta, les tracteurs de la United Fruit Company ont été immédiatement stoppés dans leur progression dévastatrice par ces sphères volumineuses.
Les engins à moteur déplacèrent les plus légères alors que d’autres furent broyées sans distinction. Toutefois Chittenden, soucieux de ménager au mieux ses intérêts, décidait d’informer de sa découverte une archéologue, Doris Stone, la fille du grand patron de la United Fruit Company. Elle le supplia de ne pas déplacer d’autres sphères avant son arrivée.
Dans ses carnets de travail, l’archéologue écrit que cette invasion eut les effet les plus dévastateurs sur la vie du delta de Diquis: des milliers d’hectares de forêt tropicale furent rasés ou brûlés, des centaines d’espèces animales et végétales disparues à jamais, et des milliers d’objets archéologiques et de statues volés lors des pillages systématiques de toutes les tombes découvertes dans ce périmètre.
« Presque toutes les sphères ont été déplacées, mais je ne toucherai pas aux prochaines. Mais ne tardez pas trop », avait averti Chittenden dans son dernier courrier au docteur Doris Stone.
A son arrivée… six mois plus tard, en avril 1940, l’archéologue est désespérée par l’ampleur des dégâts. Des centaines de sphères ont été déplacées. Elle observe toutefois plusieurs groupes demeurés sur leur site d’origine où elles sont accompagnées de statues. Ces sculptures d’une hauteur parfois supérieure à deux mètres et pouvant peser plusieurs tonnes, représentent des personnages ou des animaux. Mais il est impossible de dater leur réalisation. Tout ce qui les entourait (sites d’habitations, tombes, etc…), a été dévasté.
Elle travaille notamment sur un site de 300 hectares présentant une dizaine de sphères de granit, d’un diamètre d’1,50 m à 2 m, positionnée sur un socle de terre dans un alignement parfait qui reflèterait la constellation d’Orion. Un peu plus loin, l’une d’elles aux dimensions démesurées pèse 16 tonnes.
En 1948, Doris Stone entreprend une seconde expédition avec son confrère Samuel K. Lothrop, archéologue expert des civilisations indiennes des Amériques.
La conclusion de leurs travaux portant sur cinq sites composés de 44 sphères dont ils dessinent les plans, offre de multiples renseignements précieux permettant notamment de dater leur conception entre 800 et 1350 de notre ère.
Jusqu’au début des années 1990, personne ne s’est plus réellement intéressé à ces réalisations. Par dizaines, les sphères sont volées puis vendues aux familles les plus riches du Costa Rica pour rejoindre les collections les plus secrètes de bijoux et objets de jade et d’or précolombiens découverts dans le pays tout au long du XXe siècle. Plusieurs centaines de sphères demeurent encore aujourd’hui jalousement gardées dans les plus belles propriétés du pays. D’autres ont été utilisées à des fins décoratives par le gouvernement, aux abords de certains édifices publics de la capitale San José.
Ce sont trois Costariciens – une archéologue, un anthropologue, actuel directeur du musée national à San José, et un sculpteur – qui durant ces quinze dernières années ont permis à tout un pays de découvrir le sens de ces sphères et les particularités de la civilisation qui les a réalisées.
Les recherches les plus précises dans le domaine archéologique ont été menées par le docteur Ifigenia Quintanilla Jiménez qui travaille à San José et au département d’anthropologie de l’Université de Barcelone.
Ifigenia Quintanilla sait ce qu’elle veut trouver et où elle peut le trouver mais faute de moyens, elle n’a pu pour l’instant entreprendre les fouilles qu’elle juge indispensables afin de compléter et confirmer ses recherches initiales. Du coup, comme prisonnière de la rigueur qui caractérise le cheminement de l’archéologue-anthropologue, les travaux qu’elle a menés depuis des années et qui sont jugés essentiels par ses pairs, n’ont pas encore été publiés. Grâce à cette femme surnommée au Costa Rica « la Dame des sphères », on sait toutefois que les sphères découvertes dans deux secteurs précis appelés « Finca 4, section 23 et 36 » étaient situées au milieu de plusieurs construction où furent également retrouvés des objets en or et en cuivre et de multiples pièces de céramique. Pour les fabriquer, les Indiens auraient utilisé le feu et l’eau : en recouvrant de braises le granit puis en y versant dessus avant qu’il ne refroidisse de l’eau très froide, on peut grâce à cet effet chaud-froid, retirer des épaisseurs successives convexes de pierre, et procéder ainsi à chacune des étapes menant à la rondeur parfaite. Avec un tel procédé, la pierre présenterait en effet l’aspect d’un oignon. Les pierres étaient prétaillées avant, près des carrières, avant d’être transportées dans le delta pour les étapes de finition. Un long travail de polissage était nécessaire et devait occuper toute la famille des artisans chargés de les réaliser, voire de les commercialiser. Certains emplacements laissent en effet supposer qu’elles étaient parfois rassemblées et exposées près des ateliers pour être commercialisées. Certaines d’entre elles présentent une finesse remarquable, d’autres sont plus rugueuses, moins polies, ce qui laisse à penser que des pierres de différentes qualités étaient proposées.
Les sphères se trouvaient sur de petits monticules circulaires, bordés de chemins de pierres, proches de cimetières et les formes géométriques formées par leur position étaient toujours pointées très précisément au Nord.
Les blocs de pierre extraits de carrières distantes de plusieurs dizaines de kilomètres auraient été transportés sur des radeaux construits en bois, sans doute du balsa, de très grandes dimensions.
La nature des objets découverts sur ces sites amène également à la conclusion que les hommes qui vivaient là, à partir de l’an 750, avaient une fonction sociale différentes de celles généralement liées aux activités économiques et politiques habituelles. Les figurines en or découvertes dans la Finca 4 composent une partie de la collection du Musée de l’Or à San José. Bon nombre d’entre elles sont toutefois entre les mains de collectionneurs privés. On en retrouve également beaucoup au National Museum de New York. Deux magnifiques pièces, représentant un corps d’homme nu avec une tête de cerf surmonté de huit cornes, ont été vendues aux enchères salle Drouot à Paris. Le prix de départ (33 000 euros) a explosé au terme d’une lutte acharnée entre quatre collectionneurs privés…
Selon l’archéologue, cette zone du delta aurait été de 750 à 1450 l’un des principaux lieux de production d’objets d’or et de cuivre des peuples pré-colombiens, grâce notamment aux énormes quantités d’or charriés par les fleuves Térraba et Sierpe. Les objets d’or du delta Diquis ont leur propre style, réalisés avec une précision remarquable, étaient destinés à des offrandes, et leur symbolique particulière est caractéristique de la complexité de la société des peuples qui vivaient à cette époque et qui alliaient dans un même lieux ces figurines aux dimensions réduites (10 à 15 cm) à des pierres parfaitement sphériques de plusieurs tonnes.
Dans un même temps, un projet de créer un parc thématique sur les sphères est soutenu par le directeur général du Musée National de San José, Francisco Corrales Ulloa. Cet anthropologue est l’un des principaux artisans du dossier déposé cette année à l’UNESCO pour obtenir en 2006 l’inscription des sphères du Costa Rica au patrimoine mondial de l’humanité. Il a entrepris également le recensement dans le delta de Diquis, des sites archéologiques et historiques qui ne seraient pas encore mis à jour. Ils seraient au nombre d’environ 5 000, dans différents endroits du territoire indigène de 300 000 hectares attribué par le gouvernement du Costa Rica, à la faveur de la loi appelée Loi Indigène appliquée depuis une cinquantaine d’année, a la communauté indienne des Borucas. Car ce sont les Borucas, présents dans cette région historiquement appelée « Chibcha Choco » qui seraient les concepteurs ou du moins les gardiens de ces sphères uniques au monde.
Le 10 août 2005, Francisco Corrales, qui a entrepris d’engager des fouilles dans des zones préalablement définies grâce à des photos aériennes, a mis à jour une formidable découverte sous 1,50 m de sédiments : une maison en forme de « 8 », composée de deux cercles de 25 mètres de diamètres chacun.
L’ensemble de la construction est protégé des inondations de la rivière voisine par un épais mur d’une hauteur d’1,50m, construit avec des pierres du fleuve Térraba.
D’autres fouilles sont programmées pour les mois à venir.
La grande particularité des Borucas était de former une société de caractère horizontal, basée sur l’égalité entre les hommes. Eblouis par leurs maîtrise de la technique de la cire perdue qui leurs permettait de réaliser d’extraordinaires figurines en or, et en alliage cuivre/or, appelées les Tunjos, les conquistadors pillèrent ce qui pouvait l’être et dispersèrent les populations de la quasi totalité des villages. De part la conception de leur société, les indiens résistèrent à l’envahisseur qui fut incapable face à cette société sans chef, sans réelle hiérarchie, sans pyramide symbolisant la puissance de leurs « chamans », de corrompre ou de soumettre à leurs règles ces magiciens du travail de l’or.
Cette société plantée dans le delta de Diquis, au point de jonction des deux Amériques, était réellement unique en son genre : égalitaire, pacifique, sans ressemblance avec les autres civilisations précolombiennes qui à leur apogée, avaient élevé les pyramides aztèques et mayas, les gigantesques sculptures de l’île de Pâques, les monuments Olmeca, les reliques de Anahuac ou encore la ville mystique de Tollan.
Durant la conquête espagnole, afin de protéger une partie de leur territoire où se trouvaient leurs cimetières, leurs secrets et leurs montagnes sacrées, les Borucas ont quitté la jungle épaisse et hostile du delta. Lors d’une bataille féroce, fêtée chaque année par les 3 000 indiens Borucas qui composent aujourd’hui la communauté, ils avaient même chassé l’assaillant espagnol, avide d’or et venu capturer de nouveaux esclaves pour les plantations de cacao et de canne à sucre récemment installées en Jamaïque.
Les villages Borucas se trouvent actuellement à une vingtaine de kilomètres du delta, dans les montagnes bordant le puissant fleuve Térraba, le plus important du pays, dont le débit est démultiplié par la force des précipitions enregistrées dans cette région (de 4 000 à 8 000 cm/an) et la conjonction de plusieurs rivières secondaires dont certaines qui prennent leur source à plus de 3 500 mètres d’altitude.
Du delta, les Indiens ont donc remonté le fleuve, seule voie d’accès pour le commerce et les échanges. Mais dans les années 70, malgré la loi Indigène qui protège ces territoires, le long du fleuve Térraba a été construite la route interaméricaine reliant le Panamá au Mexique, passant par Costa Rica, Nicaragua, El Salvador, Honduras et Guatemala.
« Cette route, elle symbolise pour notre peuple la pollution sociale », disent aujourd’hui les jeunes indiens Borucas. Huit kilomètres de piste de terre séparent le premier village Borucas de la route interaméricaine. Au total, quelque 3.000 indiens Borucas vivent dans des villages séparés les uns les autres de quelques dizaines de kilomètres, reliés entre eux par des chemins parfois très périlleux mais qui renferment encore certains trésors anciens.
Chaque année, du 29 au 31 décembre, les Borucas organisent la danse de « Los Diablitos » (les petits diables). Sous l’emprise de la Chicha, un redoutable alcool de maïs qu’ils produisent, les jeunes du village recréent la victoire sur l’assaillant espagnol symbolisé par un taureau fait de paille dans un sac de jute et d’un masque surmonté de larges cornes.
Les guerriers borucas portent des masques de balsa, légers à porter, présentant sous le visage d’un homme, les traits des plus terribles animaux de la jungle. Les combattants s’échangent des coups violents avec le taureau et bien souvent le sang coule malgré la protection des masques. Chaque année, épuisé par l’âpreté du combat qu’il a mené, le taureau finit par céder. Décapité symboliquement, sa tête rejoint les trophées des fêtes précédentes.
La tradition des masques Borucas est l’une des rares à avoir survécu aux agressions du temps. Toutefois dans les villages, les femmes tissent avec des techniques inchangées depuis des siècles. Elles filent le coton ou la « laine » de plants de café, et utilisent des teintes naturelles, confectionnées avec des racines, des feuilles, des herbes, jusqu’au rouge pourpre obtenu avec l’urine d’escargots de mer que l’on ne rencontre que quelques jours par an sur certaines plages sauvages de l’océan pacifique, quelques kilomètres plus bas.
« Nous, peuple Brunca, issue de 3 000 ans d’Histoire, sommes détenteurs d’une immense richesse culturelle qui renferme encore bien des inconnues. Nous conservons notre singularité grâce à une relation spirituelle ancestrale dont nous devons renouer les fils afin de la transmettre aux générations futures telle une icône de la connaissance indienne du Costa Rica …» Cette déclaration a été signée il y a quelques mois par les principaux représentants de la communauté, dont le M.I.E.L, un mouvement baptisé Mujeres Indigenas con Espiritu de Lucha (Femmes Indigènes à l’Esprit de Lutte), l’une des principales associations des femmes indigènes.
Car des siècles après la barbarie des conquistadors, et des années après la construction de la route interaméricaine, véritable saignée moderne dans un monde inconnu, un nouveau danger encore plus dévastateur que les précédents a déclenché la mobilisation générale des communautés indiennes de la zone du delta…
Le sculpteur costaricien José Jiménez Deredia, installé pour son travail depuis plusieurs années tout près des carrières de marbre de Carrare, en Italie, est devenu l’un des porte-parole les plus écoutés de cette nouvelle bataille engagée par les Borucas.
Jiménez Deredia, âgé de 51 ans, a exposé dans tous les pays du monde ses œuvres qui sont inspirées de la sphère de pierre des Borucas, qu’il qualifie de véritable représentation de la « genèse » de l’humanité. Il en a dégagée la portée philosophique et ses entretiens sur la problématique sociologique et ethnologique du peuple costaricien avec le célèbre critique d’art français Pierre Rastany, décédé en 2003, ont été publiés dans un superbe essai intitulé « Plénitude sous le ciel, Jiménez Deredia et sa légende ».
« J’avais neuf ans quand j’ai vu pour la première fois de ma vie les sphères borucas. J’ai été fasciné, raconte-t-il. Ma femme me reproche toujours la première fois que je l’ai invitée à sortir tous les deux… ce fut pour aller voir les sphères exposées au musé national de la capitale. J’ai cherché le message qu’elles renfermaient et c’est à partir de 1985 que mon raisonnement a pris forme. »
Pour le sculpteur, les sphères délivrent un message hermétique. Les archéologues se demandent comment ont-elles été faites, quand, avec quels instruments, comment alors que certaines pèsent quinze tonnes ont-elles pu être déplacées quand les carrières de granit les plus proches se trouvent à quelque 80 kilomètres du delta du Diquis. Mais ces questions secondaires n’étaient pas importantes pour les Indiens. Pour parvenir à réaliser ces sphères, les Borucas disposaient en fait de prédispositions religieuses et d’un esprit ouvert, estime-t-il.
Jiménez Deredia a récupéré pour sa part le symbole de la sphère qui grâce à sa vision à 360 degrés, permet de voir l’homme dans sa totalité, avec pour objectif créer de nouvelles passerelles vers un nouveau langage. D’une sphère initiale, il développe la genèse de la vie sur terre et de ses symboles religieux.
« Aujourd’hui, je souhaite que les costariciens récupèrent l’identité culturelle qui est la leur. C’est seulement de cette manière, grâce à une Renaissance culturelle, artistique, sociologique et politique, que nous possèderons les armes pour affronter la globalisation. En détruisant les symboles, la globalisation capitaliste tente de détruire la spiritualité. Elle fixe des règles et efface les mythes, » insiste-t-il.
C’est toutefois aux côtés de ces archéologues et anthropologues « qui ne posent pas toujours les bonnes questions », que Jiménez Deredia a décidé de mener la lutte pour la survie du peuple Borucas, confronté à présent à un projet démesuré de barrage hydroélectrique. Sa réalisation viendrait engloutir une grande partie des terres indiennes encore inviolées, le long de fleuve Térraba, assécher toute une zone du delta du Diquis et entraîner des variations climatiques destructrices pour la biodiversité de la plus grande mangrove d’Amérique centrale.
Le projet impulsé par des intérêts nord-américains et canadiens consiste à dresser le plus grand barrage d’Amérique centrale, d’une retenue d’eau de 260 km2 (26 000 hectares) et d’une capacité de 1600 Méga Watts (lorsque la consommation actuelle du Costa Rica est de 593 Méga Watts). Pour bâtir le barrage, au cœur d’une zone sismique aux risques particulièrement élevés, il sera nécessaire de construire quelque 60 kilomètres de routes, percer des tunnels, élever une ville et tous ses équipements pour accueillir les ouvriers et leurs familles, détourner le lit de plusieurs rivières secondaires, déplacer des dizaines de villages indiens, etc.
Le coût de ce barrage phénoménal, destiné principalement à produire de l’électricité pour les États-Unis et le Mexique, est estimé à 2 milliards de dollars et son financement est déjà assuré par la Banque mondiale ainsi que de nombreuses banques commerciales et multilatérales de développement dont certaines impliquées par le passé dans de vastes réseaux de corruption.
Les Indiens de la zone concernée, déterminés à empêcher 3 000 ans d’histoire d’être engloutis, agissent chaque jour auprès des tribunaux et du gouvernement costaricien pour stopper ce projet. Mais ils luttent avec de faibles moyens et contre un adversaire peu soucieux de détruire un monde qu’il ne connaît pas.
L’archéologue, le directeur du musée, le sculpteur ont déjà convaincu des milliers de costariciens et des dizaines d’associations internationales de résister à ce nouvel assaut contre les gardiens des sphères du delta du Diquis, sachant qu’il viendrait engloutir cette fois à jamais ces terres du passé et leur mystères encore inexpliqués.
Jacques Lanusse-Cazalé, âgé de 58 ans, est journaliste. Il a travaillé durant 25 ans à l’Agence France Presse (AFP) et est maintenant indépendant. Il a notamment été directeur du bureau de l’AFP à San José capitale du Costa Rica), en charge de l’ensemble de l’Amérique Centrale, de 1999 à 2004. Il est de nationalité franco-costaricienne et partage à présent sa vie entre Paris et le Costa Rica. Il accompagne depuis quelques années plusieurs maîtres-artisans et artistes, spécialisés dans la marqueterie traditionnelle, le bronze et le mobilier classique, dans leur développement à l’International.
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