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Stéphane Rozès : « Nous sommes en train d’assister à une recomposition du paysage politique imposée par le pays »

juillet 1, 2024 18:39, Last Updated: juillet 2, 2024 19:18
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ENTRETIEN – Le politologue Stéphane Rozès, président de Cap (Conseils, analyses et perspectives), enseignant à l’Institut Catholique de Paris, ancien Directeur général de l’Institut de sondage CSA et enseignant à Sciences-po Paris et HEC, auteur de  « Chaos : essai sur les imaginaires des peuples. Entretiens avec A. Benedetti » (Cerf) réagit pour Epoch Times aux résultats du premier tour des élections législatives.

Epoch Times : Comment réagissez-vous aux résultats du premier tour des élections législatives ?

Stéphane Rozès : Ces législatives de dissolution dès ce premier tour représentent un scrutin historique. Une cohabitation entre le président Macron et le RN au travers de la figure de Jordan Bardella est désormais envisageable.

On peut tirer quatre grands enseignements de ces résultats. Le premier est celui d’une forte participation confirmant que quand les enjeux sont décisifs, les citoyens se mobilisent. Le peuple français, en dépit des désillusions, inquiétudes et colères est éminemment politique, car les Français tiennent ensemble, au travers de disputes politiques communes,  à façonner des projets et s’identifier à des politiques pour faire face à des périls ou construire l’avenir.

Avec 67 % de participation, les Français ont participé autant que lors des législatives de dissolution de 1997 en dépit de la soudaineté et de la rapidité de la campagne dans la foulée des élections européennes. La participation des jeunes a été plus forte, favorisant ainsi le Nouveau Front populaire. Du côté des classes populaires, on note également une participation plus élevée, mais qui favorise davantage le Rassemblement national. Avec une participation en hausse de 19 points depuis les législatives de 2022, la prochaine Chambre n’en aura que plus de légitimité.

Le second enseignement, c’est évidemment la défaite sans appel de la majorité présidentielle d’Emmanuel Macron qui passe en deux ans de 26 à 20 % et devient la troisième force politique du pays alors qu’elle était la première avec une légère avance. La famille politique orléaniste, néolibérale et européiste est défaite. L’ancienne majorité présidentielle s’est délitée de l’intérieur durant la campagne au travers des prises de positions de ses principaux leaders. L’image du président Macron en est sérieusement affectée sur le plan national et international. Cela va le priver de légitimité politique dans la période instable qui s’ouvre.

Troisième enseignement majeur, ce premier tour confirme la poussée du RN. Pour la première fois, une formation comme le Rassemblement national, qui vient de l’extrême droite néofasciste et anti-républicaine et qui a muté sous la férule de Marine Le Pen en formation bonapartiste — à l’instar du RPF et du premier RPR de Jacques Chirac — devient la première formation politique du pays. Il s’agit d’une formation cohérente quant à son leadership avec le tandem formé par sa fondatrice et le jeune et populaire Jordan Bardella ; et quant à son projet national : social et européen. Le RN pourrait être en situation de cohabiter. La dramatisation de l’enjeu de ce scrutin et la polémique sur des emplois stratégiques de la haute fonction publique devant écarter les binationaux n’a pas empêché sa progression de 19 % des suffrages exprimés en 2022 à 33 %.

Enfin, le Nouveau Front populaire, qui a su se constituer rapidement, est une plateforme électorale plus large que la NUPES. Elle est tenue ensemble par le péril de l’extrême droite et la nécessité de sauver des sièges. Le NFP est passé de 26 % à 28 %. Mais il est plus hétéroclite, en allant de Philippe Poutou et Jean Luc Mélenchon à Olivier Faure et à l’ancien président Hollande. Les désaccords ne portent pas seulement sur les questions économiques et sociales, mais également sur la question de la République face aux communautaristes, sur l’UE et les questions internationales. La figure de Jean-Luc Mélenchon autrefois rassembleuse est devenue du fait de sa stratégie de la tension, répulsive auprès de l’opinion publique, et même au sein de LFI.

Ce scrutin historique rappelle la seule loi qui vaille en matière politique sous tous les régimes politiques. Qui se rapproche du point d’équilibre idéologico-politique de l’imaginaire de son peuple se renforce ; qui s’en éloigne s’affaiblit. Le président Macron s’en est éloigné, le RN s’en est rapproché.

À l’aune de ces résultats, le RN est-il en mesure d’obtenir la majorité absolue dimanche prochain ?

Les instituts donnent tous, dans leurs fourchettes des projections en sièges, au moins une majorité relative au RN, et pour certains une possible majorité absolue. Tout va dépendre de deux variables en sens contraire.

La première est la réalité sur le terrain des retraits et désistements face au RN dans les 307 triangulaires et quadrangulaires dans le cas où ce dernier pourrait l’emporter. Le Président Macron a appelé en ce sens au rassemblement « des démocrates et républicains », de même que le Nouveau Front populaire. Édouard Philippe et Horizons ont renvoyé dos-à-dos le RN et LFI. Le Modem semble faire de même. Les LR n’ont pas donné de consignes de vote.

On verra une fois les dépôts de candidatures effectués, puisque ce sont les candidats qui décident en la matière sur le terrain. Ceux qui décident ultimement sont les citoyens. Depuis trois décennies, ils sont de moins en moins sensibles aux consignes de vote des formations politiques.

Par ailleurs, le front républicain fonctionne d’autant moins que le RN est moins perçu comme antirépublicain, qu’il semble pour les Français moins dangereux que LFI, et que dorénavant Jordan Bardella est la personnalité la plus populaire pour une majorité relative de nos concitoyens.

Joue en faveur du RN le fait que les seconds tours des législatives ont toujours amplifié ceux des premiers tours sauf lors des législatives de 1978 car le PCF voulait faire perdre l’Union de la Gauche se voyant devancé en son sein par le PS.

Voilà, cela fait beaucoup d’interrogations sur la grande inconnue de cet entre-deux tours. Le RN a dit qu’il cohabiterait à condition qu’il obtienne une majorité absolue. Il ne veut pas, outre le front du président Macron adossé à l’UE, ouvrir celui à l’Assemblée d’une alliance avec les LR, avec lesquels il diverge en matière économique, sociale et européenne. Mais la situation lui imposera peut-être d’aller cohabiter en cas de majorité relative au nom de l’intérêt national.

Les LR ont choisi de ne pas donner de consigne de vote pour le second tour. Comment analysez-vous cette décision ?

L’état-major LR, canal historique hors « ciottistes », est conscient que la moitié de son électorat est favorable à une alliance avec le RN. Je note par ailleurs que certains ténors du parti comme François-Xavier Bellamy ont dit préférer le RN à LFI.

Donc, pour des raisons de réalisme, d’observation sur le plan local de la situation de l’électorat LR et des études d’opinion démontrant que le Front républicain ne fonctionne plus à droite, l’exécutif des Républicains n’a pas donné de consigne de vote.

Les LR jouent en ce moment leur existence. Ils paient leur contournement de la question de la souveraineté nationale qui travaille les profondeurs du pays et leur électorat. Leurs leaders regardent la future présidentielle, mais ils ne pourront pas esquiver la question de la souveraineté longtemps.

« Face au Rassemblement national, l’heure est à un large rassemblement clairement démocrate et républicain pour le second tour », a donc dit Emmanuel Macron. Le barrage anti-RN peut-il fonctionner dans la toute dernière ligne droite ?

Il peut y avoir un événement majeur de dernière minute qui renverse les tendances lourdes déjà énoncées. Mais les continuités observées entre les européennes et ce premier tour de législatives de dissolution à fort enjeu national montre qu’elles sont ancrées.

En 1978, la stratégie volontaire de la division du PCF signifiait pour le pays que l’attelage de l’Union de la gauche ne fonctionnait pas en cas de cohabitation avec le Président Giscard d’Estaing. Il faudra attendre que François Mitterrand réduise le PCF pour qu’il l’emporte en 1981. Nous ne sommes pas dans ce cas de figure.

Nous sommes en train d’assister à une recomposition du paysage politique imposée par le pays. Au travers des priorités que sont le pouvoir d’achat, l’immigration, la sécurité, les services publics, l’École, se joue un enjeu existentiel : celui de la capacité du politique à reprendre la main sur notre destin au travers de la souveraineté nationale et populaire. Le RN a pu et su le capter et en détenir le monopole peu à peu, par abandon des gaullistes historiques et de la Gauche républicaine de leurs fondamentaux.

La dissolution n’a pas seulement accéléré le calendrier, elle l’a inversé. Le pays est maintenant face à deux scenarii possibles. Soit une majorité absolue ou très forte pour le RN et alors une cohabitation de tension avec le Président Macron, soit un risque de chambre introuvable, une majorité ne pouvant se dégager pour trouver un Premier ministre stable.

Alors le président Macron, privé de légitimité, devra par la force des choses quitter l’Élysée. Le pays sera appelé pour une nouvelle élection présidentielle. Elle est la clé de voûte de notre vie politique. Ce serait une réparation de la précédente qui n’a pu réactiver notre imaginaire dont les présidentiables sont les acteurs. Le pays était apeuré par la pandémie et la guerre en Ukraine et le président Macron en a usé et abusé. Le rite habituel de déploiement de notre dispute politique commune n’a pu se déployer, privant le président Macron d’établir un contrat avec le pays.

La souveraineté nationale est la condition de la souveraineté populaire au fondement de la démocratie et de la République.

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