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Sylvain Grataloup : « En protégeant le droit de propriété, on sert la société, car ce droit est aussi l’expression du devoir du propriétaire envers la collectivité »

juillet 19, 2024 16:39, Last Updated: juillet 19, 2024 17:33
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ENTRETIEN – Sylvain Grataloup est avocat au barreau de Lyon et président de l’Union nationale des propriétaires immobiliers (UNPI). Cette association, née en 1893, constituée aujourd’hui de 80 chambres locales et soutenue par environ 100.000 adhérents, mène une activité de lobbying auprès des collectivités et pouvoirs publics dans la défense des intérêts des propriétaires immobiliers. Dans cet entretien, le docteur en droit et maître de conférences à l’Université Jean-Moulin Lyon 3 analyse les risques associés à l’abrogation de la loi anti-squat, voulue par le Nouveau Front populaire, et revient sur certaines des réformes de la fiscalité immobilière proposées par l’UNPI. 

Epoch Times : Dans son programme commun, le Nouveau Front populaire prévoit d’abroger la loi anti-squat. Que craignez-vous si ce projet venait à aboutir ?

Sylvain Grataloup : Il est surprenant que la première préoccupation du Nouveau Front populaire, qui aspire à gouverner, soit de supprimer la loi anti-squat. Contrairement à ce qu’ils pensent, il ne s’agit pas d’un texte au bénéfice exclusif des propriétaires. Rappelons qu’un logement squatté peut évidemment impacter le propriétaire si celui-ci en est l’occupant, mais il peut également concerner le locataire qui en sera la première victime. Faire l’amalgame entre la loi anti-squat en une loi « pro-propriétaires » est donc une erreur, car protéger les squatteurs, c’est corrélativement mettre en danger les locataires. Cette législation vise simplement à empêcher qu’un individu pénètre par effraction dans le domicile d’autrui ; le squatteur se moque de la qualité de l’occupant, locataire ou propriétaire. Aussi, l’abroger porterait atteinte au droit au logement.

Ensuite, il est important de clarifier que les locataires ne réglant pas leur loyer peuvent légitimement faire l’objet d’une procédure d’expulsion. Cela commence par un commandement de payer, puis une assignation au tribunal, menant à la résiliation du bail et à l’éviction. Cependant, ces locataires ne sont pas des squatteurs ; ils sont chez eux jusqu’à ce que le contrat soit résilié et les mesures anti-squat ne les concernent pas.

Toutefois, les mesures prises pour cette loi incluant principalement un raccourcissement des délais – par exemple, le délai pour payer après un commandement est passé de deux mois à six semaines – si le nouveau Front populaire revenait à deux mois, cela ne changerait en réalité pas grand-chose. Il s’agissait là surtout d’un geste symbolique du gouvernement envers les propriétaires, d’un message leur signalant que leurs situations sont prises en compte, surtout quand le loyer constitue pour eux une source complémentaire de revenu pour des retraites modestes ou pour rembourser un crédit immobilier.

Au moment des discussions parlementaires autour de ce projet de loi, Me Caroline Laverdet, avocate spécialisée dans le droit immobilier, estimait auprès d’Epoch Times que ce texte n’était en fait qu’« un coup d’épée dans l’eau », puisqu’entre autres choses, il ne réduit pas suffisamment le délai pour quitter le logement (désormais établi entre deux mois et un an) et n’adresse pas la problématique du temps d’attente avant mise à exécution de la décision d’expulsion. Faudrait-il renforcer la loi anti-squat ?

La loi anti-squat, parce que symbolique, n’a pas fondamentalement changé la vie des propriétaires. Cependant, le véritable problème n’est pas tant de réformer la loi anti-squat que de garantir un logement pour tous les Français, et de leur assurer un pouvoir d’achat suffisant pour assurer leurs dépenses du quotidien. Le problème de fond, c’est celui du pouvoir d’achat et de la croissance économique. Lorsque les Français auront tous les moyens de payer leur loyer sans difficulté, ils le feront dans les délais. Si certains ne le font pas, c’est souvent parce qu’ils ne disposent pas des ressources financières nécessaires. Il incombe donc au gouvernement d’identifier les mesures à même de pouvoir relancer la croissance économique pour permettre une hausse des salaires, et de mettre en œuvre une véritable politique du logement.

Par ailleurs, réduire les délais de procédure d’expulsion ne résoudra pas tous les problèmes en matière d’éviction en raison, par exemple, de la trêve hivernale, période du 1er novembre au 31 mars durant laquelle leur exécution est suspendue. Cette trêve n’est satisfaisante, ni pour le propriétaire, ni pour le locataire ni pour l’État. Elle donne aux locataires en situation d’impayé l’illusion d’une sécurité temporaire. Quand vient la fin de cette période, bien souvent, ces derniers n’ont pas cherché de nouveau logement. Les services de l’État ne peuvent pas toujours trouver rapidement une solution d’hébergement et les propriétaires privés sont naturellement réticents à louer leur bien à un individu qui ne s’est pas acquitté de son loyer par le passé. D’ailleurs, il n’est pas de leur responsabilité de suppléer aux défaillances de l’État. Au bout du compte, lorsqu’un commandement de quitter les lieux est adressé au locataire, le juge accordant la plupart du temps un délai, on arrive rapidement au mois de novembre, mois où reprend la trêve hivernale. L’expulsion est donc à nouveau retardée pour plusieurs mois supplémentaires…

Une solution concrète pourrait être de supprimer la trêve hivernale tout en imposant à l’État et aux collectivités de reloger ceux qui doivent quitter leur logement dans un délai déterminé. Cela préviendrait un afflux massif de demandes de logements à un moment précis de l’année, permettrait une gestion plus fluide étalée sur l’année, éviterait que quiconque ne se retrouve à la rue. Ainsi, l’État assumerait ses responsabilités et les propriétaires ne combleraient pas les carences des pouvoirs publics.

Rappelons aussi que l’exécution d’une mesure d’expulsion nécessitant la coopération de la force publique, elle peut aussi se retrouver bloquée par une décision préfectorale ou bien retardée par des facteurs techniques et logistiques. C’est donc tout un système qu’il faut refondre.

En ce qui concerne le squat lui-même, bien qu’il puisse causer un enfer pour la victime, il reste heureusement un phénomène marginal. Chiffres : sur les 13 millions de baux en cours, seuls 200.000 font l’objet d’un contentieux.

La protection des droits du squatteur pose néanmoins la problématique de la maltraitance symbolique en France du droit de propriété, intégré dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Comment expliquer cette atteinte à un droit pourtant censé être sacré depuis la Révolution française ?

Le droit de propriété reste sacré, mais il doit être réexaminé à la lumière de l’intérêt général plutôt qu’incarner un simple outil d’épanouissement individuel. Initialement conçu en 1804, dans un contexte postrévolutionnaire où les droits individuels étaient exacerbés, le droit de propriété visait avant cette date à maximiser le bonheur de la société par le bonheur de l’individu. Cependant, cette vision individualiste n’est plus adaptée à notre époque.

Aujourd’hui, le droit de propriété doit être perçu, à mes yeux, comme revêtant une fonction sociale. L’idée n’est pas nouvelle : elle retrouve aujourd’hui et encore plus qu’hier une nouvelle force que l’on ne peut ignorer. Les propriétaires ont un rôle crucial à jouer dans la société, au-delà de leur satisfaction personnelle. Cette conception marque un virage important au sein de l’UNPI. Il est essentiel de reconnaître que posséder un bien immobilier implique des devoirs. Par exemple, acheter un appartement n’a pas pour seul objectif de le posséder, mais bien de le louer et ainsi de fournir un logement à ceux qui ne peuvent pas ou ne veulent pas être propriétaires. Les propriétaires ont aussi le devoir de mettre à disposition des logements verts avec un confort décent. Encore faut-il que les pouvoirs publics leur fournissent les moyens nécessaires pour remplir cette mission…

Quoi qu’il en soit, en protégeant ainsi le droit de propriété, on sert mieux la société, car ce droit est aussi l’expression du devoir du propriétaire envers la collectivité. Toutefois, la mise en œuvre du droit de propriété rencontre des difficultés, car les contraintes se multiplient, ce qui est regrettable : les propriétaires sont des acteurs clés de l’économie et contribuent à loger les Français.

Les propriétaires ont donc selon vous « le devoir de mettre à disposition de leurs locataires des logements verts » ?

La transition écologique est un enjeu majeur dans lequel les propriétaires privés occupent une place prépondérante, puisqu’ils sont aussi des acteurs environnementaux dont le devoir est de maintenir le patrimoine français en bon état. Cela inclut des rénovations énergétiques.

Toutefois, ces mêmes propriétaires n’ont pas pleinement pris en compte l’ampleur de ce défi, bien qu’il ait fait l’objet de lois et de moultes déclarations politiques. Mais cette question était à l’origine avant tout une préoccupation de sachants et d’experts qui entre désormais progressivement dans l’esprit des Français.

Il faut noter que ces rénovations ont un coût élevé et que les propriétaires ne bénéficient pas d’aides pour les soutenir dans leurs démarches de rénovations énergétiques, puisqu’elles sont souvent réservées aux ménages les plus modestes. En conséquence, ils réalisent des travaux minimaux en la matière, dits « rénovations par geste ».

Le Nouveau Front populaire propose d’accélérer la rénovation énergétique globale, ce qui est louable sur le fond, mais son coût reste un obstacle majeur pour de nombreux Français. Afin de financer ces travaux, certains seraient contraints de puiser dans leur épargne. Or, avec l’âge, les gens deviennent plus prudents et inquiets pour l’avenir. Leur épargne est souvent destinée à financer leur séjour en EHPAD, car leurs retraites sont insuffisantes. Utiliser cette épargne pour la rénovation de logements les mettrait en difficulté et transfèrerait cette charge financière à leurs enfants, ce qu’ils veulent éviter. Impasse.

J’ai mené à l’UNPI une enquête sur ce sujet, dont les résultats seront publiés bientôt. Statistiquement, la moitié des propriétaires envisagent de rénover leurs biens. L’autre moitié ne le fera pas, et parmi ceux-là, certains vendront leurs propriétés tandis que d’autres étudient cette possibilité. C’est dire qu’à moins de six mois de l’interdiction de louer, les propriétaires se trouvent dans une situation bien compliquée que veulent ignorer les pouvoirs publics à qui, pourtant, l’UNPI a rappelé les conséquences tragiques pour les Français et le logement du maintien du calendrier.

L’UNPI appelle à « établir une justice fiscale, donc sociale ». Dans cette optique, vous proposez une suppression de la taxe foncière et « la création d’une taxe citoyenne dont les modalités de calcul seraient déterminées en fonction du degré de l’investissement citoyen des Français ». Qu’entendez-vous par là ?

À l’origine, il y avait deux types de taxes : la taxe d’habitation et la taxe foncière. La taxe foncière est due par tous les propriétaires d’un bien immobilier dans une commune au 1er  janvier, tandis que la taxe d’habitation était due par tout occupant d’un bien immobilier, qu’il soit propriétaire ou locataire. Un propriétaire occupant devait donc payer les deux taxes, alors qu’un locataire ne payait que la taxe d’habitation.

La suppression de la taxe d’habitation a eu des conséquences problématiques. Bien que supprimer un impôt puisse sembler une bonne chose, cette taxe fournissait des ressources essentielles pour les collectivités locales, qui utilisent ces fonds pour renforcer les équipements collectifs et les services publics. Avec la disparition de cette source de financement, les collectivités se sont tournées vers la taxe foncière pour compenser le manque à gagner. C’est ainsi que nous avons assisté à une augmentation significative de la taxe foncière, qui, je vous le rappelle, a augmenté de près de 30 % en moins de dix ans, alors que les loyers restent encadrés et que l’inflation est relativement élevée. Ce déséquilibre financier pèse lourdement sur les propriétaires, qui payent plus qu’ils ne perçoivent.

Au départ, j’avais suggéré que la taxe foncière soit prise en charge par le locataire, de la même manière que la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, car le locataire bénéficie des équipements collectifs et des services publics de sa commune financés par cette taxe.

Cependant, ma pensée a évolué sur cette question, car ces infrastructures profitent également aux propriétaires, en augmentant la valeur de leurs biens. Vivre près d’une crèche ou d’un jardin pour enfants, par exemple, est plus attractif que de résider dans un quartier sans infrastructures. Par conséquent, il semble plus juste de partager cette taxe foncière entre le locataire et le propriétaire. C’est une question de justice fiscale.

Pour autant, la taxe foncière est souvent perçue dans l’esprit des Français comme une charge liée à la propriété, et il serait mal vu de faire financer cette taxe par les locataires.

C’est pourquoi, la taxe d’habitation ne pouvant pas être réintroduite, il serait possible de repenser la manière dont nous finançons les collectivités locales en la remplaçant par une taxe citoyenne, due par tous les résidents d’une commune. Cela permettrait de répartir les charges de manière plus équitable entre propriétaires et locataires.

Le problème de fond, à mon avis, réside dans la perte du lien social et du sentiment d’appartenance à une collectivité. Le maintien de cette cohésion sociale se traduit par un lien financier via une contribution permettant de se dire : « Je vis dans une commune, et je dois donc contribuer, quel que soit mon statut, à assurer que cette commune, à laquelle je suis attachée puisque je l’ai choisie (la plupart du temps), puisse me permettre de vivre correctement avec mes concitoyens. »

Les propriétaires ont des devoirs envers la collectivité, mais il est crucial de rappeler qu’ils doivent être répartis équitablement avec ceux des locataires.

Les droits de succession étant pénalisants en France, l’UNPI porte des propositions en la matière pour y remédier. Quelles sont-elles ?

Les droits de succession sont un impôt dû dès l’instant où vous héritez de biens. Certains estiment qu’il faudrait considérablement l’augmenter. Je ne le crois pas. En général, les propriétaires, lorsqu’ils décèdent, possèdent un patrimoine successoral composé généralement du logement familial, et c’est tout.

L’idée de la transmission des biens est encore imprégnée des fantômes du XIXᵉ siècle, où les biens se transmettaient de famille en famille. Aujourd’hui, tout le monde peut être propriétaire. Même ceux qui ne pouvaient pas rêver de l’être au XIXᵉ siècle peuvent l’être aujourd’hui. Il y a eu une démocratisation de l’accès à la propriété, même s’il reste des efforts considérables à faire à ce niveau.

En matière successorale, je suis favorable à des allègements fiscaux, à condition qu’ils s’inscrivent dans une logique d’intérêt général. Le caractère extrêmement lourd et pénalisant des droits de succession en France est une réalité. Outre des conditions d’ordre général (révision des seuils et barèmes…), des mesures sembleraient opportunes.

L’UNPI formule deux propositions : d’une part, il pourrait être envisagé de créer une franchise spécifique pour des donations directes des grands-parents à leurs petits enfants en vue de l’acquisition d’un bien immobilier pour une résidence principale. D’autre part l’extension du dispositif Dutreil aux activités locatives effectuées sous le statut à définir du bailleur privé semblerait opportune. Mon objectif, c’est de prôner une politique fiscale pour les propriétaires qui soit dictée non pas par des intérêts purement fiscaux, mais par des choix répondant à l’intérêt général.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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