Après la chute de Bachar al-Assad, Afaf Mohamed est montée sur les hauteurs du mont Qassioun pour admirer le lever du soleil sur Damas. Cela faisait plus d’une décennie qu’elle était privée du spectacle de sa ville « vue du ciel ».
Tout au long des années de guerre, déclenchée en 2011 par la répression de manifestations prodémocratie, l’accès au site était interdit par l’ancien pouvoir. Désormais, les Syriens s’y bousculent pour contempler leur capitale, avec ses hôtels de luxe illuminés et ses banlieues pauvres éreintées par la guerre.
Dès la tombée du jour, de longues files de voitures avancent péniblement sur une route sinueuse, accueillies au sommet par une corniche éclairée de lampions colorés, où ils peuvent déguster boissons chaudes, maïs grillé ou crêpes fumantes, en écoutant de la musique et enchaînant les selfies pour immortaliser l’instant. Certains soirs, les chanceux peuvent même voir des feux d’artifice.
Pendant la guerre, « il nous était interdit d’aller au mont Qassioun. Peu d’espaces publics étaient véritablement accessibles », déclare la dentiste Afaf Mohamed. À ses pieds, Damas s’étend sur 180 degrés. Pour la trentenaire, c’est sa deuxième escapade. La première fois, peu après la chute de Bachar al-Assad, chassé du pouvoir le 8 décembre par une coalition de rebelles islamistes, elle était venue à l’aube. « Après 13 ans de privation, je ne peux pas décrire ce que j’ai ressenti », ajoute-t-elle, emmitouflée dans une abaya pour se protéger de la brise glacée.
Si les hauteurs de Qassioun étaient interdites aux citadins, c’est parce que le site aurait pu présenter un endroit idéal pour les tireurs embusqués : il offre une vue panoramique sur Damas –en particulier les élégants palais présidentiels et autres bâtiments gouvernementaux. C’est aussi sur le mont Qassioun que se trouvait l’artillerie de l’armée qui, des années durant, a pilonné les localités conquises par la rébellion aux portes de la capitale.
Pour Afaf, la « révolution » c’est aussi « une liberté phénoménale », comme celle de venir sur le mont Qassioun. « Personne ne peut nous bloquer le passage, personne ne va nous faire du mal », résume-t-elle.
Sous le regard des patrouilles des forces de sécurité du nouveau pouvoir, un garçon joue de la tabla, des jeunes installés sur des chaises pliantes fument le narguilé, et un groupe d’amis dansent et chantent en tapant des mains. Une atmosphère bon enfant qui reflète le vent de liberté qui souffle sur la Syrie depuis la chute du « régime ». Oubliées, les restrictions des autorités qui étouffaient l’espace public et l’omniprésence des militaires dans les rues.
Autrefois, Mohammad Yehia emmenait son fils Rabih au mont Qassioun quand il était petit. « Mais il ne se souvenait pas y être venu », raconte le quadragénaire. Quand M. Assad est tombé, son fils « a demandé si on allait être autorisé à y monter, je lui ai dit ‘‘bien sûr’’ », ajoute M. Yehia, bonnet enfoncé sur le crâne. Ils sont venus dès le lendemain.
Ces hauteurs, M. Yehia les connaît bien puisque c’est ici qu’il travaillait autrefois, servant depuis l’arrière d’un van aménagé du thé, du café, ou des biscuits aux badauds venus admirer la vue. Il se targue aujourd’hui d’avoir été un des premiers à retrouver sa place, après plus d’une décennie d’absence.
Pour lui, la fermeture du site l’avait privé de son gagne-pain, dans un pays en plein effondrement économique, frappé de sanctions occidentales. Avec la guerre, 90% de la population s’est retrouvée sous le seuil de pauvreté. « On était arrivés à un point où on suffoquait, même si on travaillait toute la journée, on n’arrivait pas à joindre les deux bouts », reconnaît M. Yehia. « Cet endroit, c’est le seul où les habitants de Damas peuvent venir pour souffler un peu. La vue est spectaculaire (…) elle nous fait oublier les soucis du passé », ajoute-t-il.
Un peu plus loin, Malak Mohamed est assise près de sa soeur Afaf, portable à la main. En revenant ici « pour la première fois depuis l’enfance », elle a ressenti une « joie immense ». « C’était comme si on récupérait l’intégralité de notre pays », explique-t-elle. Avant « nous étions privées de tout », ajoute-t-elle.
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