Le vice-président américain Mike Pence, dépêché par Donald Trump en Turquie, va tenter jeudi d’arracher un cessez-le-feu au président Recep Tayyip Erdogan, jusqu’ici inflexible dans sa volonté de mener au bout son offensive contre les milices kurdes dans le nord-est de la Syrie.
M. Pence, arrivé jeudi midi à Ankara, ainsi que le secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo, doivent rencontrer M. Erdogan.
« Notre mission est de voir si nous pouvons obtenir un cessez-le-feu, voir si nous pouvons négocier », a affirmé M. Pompeo à la presse avant de monter à bord de son avion.
300.000 déplacés et près de 500 morts
Une semaine jour pour jour après son déclenchement, l’offensive turque contre la milice kurde des Unités de protection du peuple (YPG) a déjà fait 300.000 déplacés, selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), et près de 500 morts, dont une centaine de civils.
Elle a aussi rebattu les cartes dans le nord de la Syrie, nouvel épicentre du conflit qui déchire ce pays depuis 2011. A la faveur d’un accord avec les forces kurdes, le régime de Damas est en effet revenu dans des régions qui lui échappaient depuis des années et Moscou a commencé à remplir le vide laissé par le retrait des forces américaines.
Erdogan exige que les forces kurdes désarment et se retirent de la frontière
La mission du vice-président américain s’annonce extrêmement difficile, M. Erdogan ayant d’ores et déjà exclu de « s’asseoir à la table des terroristes », et exigé que les forces kurdes désarment et se retirent de la frontière pour qu’il soit mis fin à l’offensive.
Vivement critiqué à Washington, le président américain a nié avoir donné son feu vert à l’opération turque et a exhorté Ankara à stopper son offensive et autorisé des sanctions contre la Turquie. Il a cependant défendu le retrait des soldats américains de la région. « Si la Turquie va en Syrie, c’est une affaire entre la Turquie et la Syrie, ce n’est pas notre problème ». « Les Kurdes ne sont pas des anges », a déclaré mercredi M. Trump.
L’objectif affiché de l’opération turque est la création d’une « zone de sécurité » de 32 km de profondeur le long de sa frontière, qui permettrait de séparer celle-ci des zones YPG et de rapatrier une partie des 3,6 millions de réfugiés syriens installés en Turquie.
Ankara considère les YPG comme une « organisation terroriste » pour ses liens avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) qui livre une sanglante guérilla en Turquie.
Les pays occidentaux soutiennent la milice YPG
Mais les pays occidentaux soutiennent la milice YPG, qui domine une coalition arabo-kurde nommée Forces démocratiques syriennes (FDS), pour son rôle de premier plan dans la lutte contre l’organisation jihadiste Etat islamique (EI).
Le chef des Forces démocratiques syriennes (FDS), Mazloum Abdi, a annoncé mercredi soir le « gel » des opérations contre l’EI, muté en organisation clandestine depuis sa défaite en mars, pour mieux se concentrer sur le combat contre les forces turques.
Les Européens s’inquiètent tout particulièrement des possibilités d’évasion des jihadistes étrangers jusque-là retenus par les Kurdes. Le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian s’est d’ailleurs rendu jeudi à Bagdad pour discuter du possible transfert et jugement en Irak des jihadistes étrangers, dont 60 Français.
Le Conseil de sécurité de l’ONU s’est également inquiété mercredi « du risque de dispersion » des jihadistes retenus prisonniers dans le nord-est de la Syrie, sans toutefois réclamer la fin de l’offensive militaire turque contre les Kurdes.
Sur le terrain, les combats continuent de faire rage, en particulier à Ras al-Aïn, ville située à la frontière turque où les combattants kurdes tentent de repousser l’assaut des forces d’Ankara.
Un reporter de l’AFP près de Ras al-Aïn a vu des colonnes de fumée s’élever de la ville pendant que l’écrasant tonnerre de l’artillerie turque emplissait l’air. Afin d’aveugler les avions d’Ankara, les combattants kurdes brûlaient des pneus.
Les combattants kurdes prêts à se battre jusqu’au bout à Ras al-Aïn
Un responsable des FDS a déclaré que les combattants kurdes étaient « prêts à se battre jusqu’au bout » à Ras al-Aïn. « Nous ne sommes pas encore passés à l’attaque La véritable bataille n’a pas encore débuté », a-t-il averti.
Accusant M. Trump, dont la décision de retirer des militaires américains a laissé le champ libre à l’assaut turc, de les avoir trahies, les forces kurdes ont appelé à la rescousse Damas, qui a déployé des troupes à Minbej et à Ras al-Aïn, entre autres.
Les combattants kurdes, appuyés par les forces syriennes, sont entrés mardi dans une base fraîchement vidée par les Américains, devançant les rebelles soutenus par Ankara qui voulaient s’en emparer, selon une ONG, l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH).
La police militaire russe mène des patrouilles dans le secteur de Minbej
Profitant du retrait des Américains, et afin d’éviter un affrontement d’envergure entre les forces de Damas et les militaires turcs appuyés par leurs supplétifs syriens, la police militaire russe mène des patrouilles dans le secteur de Minbej, selon Moscou.
M. Erdogan, qui avait dénoncé mardi le « sale marché » conclu entre les forces kurdes et le régime de Bachar al-Assad, a déclaré mercredi que peu lui importait « qui des Russes ou du régime » fasse « sortir les YPG de Minbej ».
Invité par le Kremlin, le président turc rencontrera son homologue russe Vladimir Poutine le 22 octobre dans la station balnéaire de Sotchi, a précisé mercredi la présidence turque.
L’offensive turque a fait depuis le 9 octobre au moins 72 morts parmi les civils en Syrie et 203 parmi les combattants FDS, selon un dernier bilan de l’OSDH, qui indique aussi que 171 membres des forces supplétives syriennes pro-turques ont été tués.
La Turquie a pour sa part fait état de la mort de six soldats turcs dans les combats et de 20 civils tués selon Ankara par des tirs imputés aux combattants kurdes depuis la frontière.
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