Pendant des années, Huang Sheng-yi a nourri la dépendance de Taïwan envers la noix de bétel, un stimulant chiqué tous les jours par des millions d’adeptes, en plantant des milliers d’arbres dans sa ferme au centre de l’île. Mais aujourd’hui, la plupart de ses palmiers à bétel ont été abattus.
Une décision prise sous l’impulsion du gouvernement, qui veut réduire les surfaces agricoles dédiées à cette noix étroitement associée aux cancers des voies aérodigestives supérieures.
Egalement appelée noix d’Arec, elle est souvent vendue émincée ou râpée, mélangée à de la chaux pour renforcer son effet stimulant -la chaux agit comme catalyseur- et enveloppée dans une feuille du palmier à bétel. Le consommateur mastique un moment avant de recracher le reste de chique.
D’après le ministère de la Santé, le risque pour les chiqueurs de développer un cancer buccal est 28 fois plus élevé que chez les autres personnes.
« Il faut parler des risques pour la santé mais cela ne suffit pas. La noix de bétel est trop profondément enracinée dans la société », souligne Chuang Li-jen, de la Sunshine Social Welfare Foundation, ONG qui aide à la réhabilitation des victimes de ce type de cancer.
Depuis la publication en 2003 d’une enquête confirmant les effets cancérogènes de la noix, le nombre des chiqueurs recule progressivement. Mais deux millions de Taïwanais en mastiquent encore régulièrement, selon les statistiques officielles.
Les adeptes sont reconnaissables à leurs dents orangées. La pratique est particulièrement répandue chez les ouvriers, qui comptent sur le bétel pour endurer de longues heures de travail manuel.
Les autorités proposent aux agriculteurs jusqu’à 250.000 dollars taïwanais (7.000 euros) par hectare reconverti.
Dans sa ferme de Lugu, dans le comté central de Nantou, M. Huang, 57 ans, cultive désormais le camellia oleifera, un arbuste dont les graines fournissent de l’huile comestible prisée en Asie, souvent comparée à de l’huile d’olive.
Mais les agriculteurs sont nombreux à hésiter à franchir le pas, explique M. Huang. Il ne pourra engranger les fruits de sa nouvelle récolte que dans deux ans. Et ce n’est que parce qu’il cultive aussi le thé qu’il parviendra à faire la soudure.
« Les agriculteurs hésitent car se lancer dans de nouvelles cultures est très difficile », raconte-t-il à l’AFP. « Pour faire une vraie différence, il faudrait qu’il y ait plus d’incitations » financières.
Le gouvernement reconnaît qu’il n’a pas vraiment réussi à renverser la vapeur depuis le lancement de sa campagne en 2014. Seuls 435 des 42.940 hectares de palmiers à bétel ont été replantés, un chiffre qui ne tient toutefois pas compte de ceux qui ont changé leur fusil d’épaule sans aide publique.
Malgré tout, Su Mao-hsiang, directeur adjoint de l’Agence de l’agriculture et de l’alimentation de Taïwan, souligne que les demandes de subventions ont accéléré cette année. « Nous espérons que les agriculteurs seront plus nombreux à participer à la reconversion », déclare-t-il à l’AFP.
La noix de bétel, utilisée lors de nombreuses cérémonies, fait partie de la culture millénaire des aborigènes de Taïwan. À son apogée, elle était si lucrative qu’on l’appelait « or vert », deuxième récolte derrière le riz en termes de valeur.
Les palmiers à bétel font toujours partie du paysage rural et les vendeurs sont nombreux au bord des routes à tenter de séduire les automobilistes.
Les acteurs sanitaires soulignent que les dangers du bétel restent trop souvent ignorés malgré les mesures de lutte.
Chen Yung-an regrette de ne pas avoir cru son médecin quand celui-ci lui disait, il y a 20 ans, qu’il présentait des signes précurseur de cancer. « Je ne croyais pas que c’était possible. D’autres gens en mâchaient depuis des années et il ne leur arrivait rien », confie M. Chen, 53 ans.
Il s’est fait opérer d’une tumeur à la mâchoire voici trois ans. Il s’était mis à chiquer le bétel quand il était ouvrier du bâtiment et au plus fort de son addiction, consommait 200 chiques par jour. « Ma bouche ne restait tranquille que lorsque je dormais », dit-il.
Depuis l’opération qui l’a défiguré, M. Chen ne peut plus manger que de la nourriture facile à mastiquer, pour éviter de s’étouffer.
Et il ne travaille plus. « Bien sûr, c’est difficile à présent pour moi de trouver du travail. Je dois affronter le regard des gens », raconte-t-il à l’AFP.
Les cancers des voies aérodigestives supérieures peuvent mettre entre 10 et 20 ans pour se développer et quand les gens consultent il est souvent trop tard, relève Mme Chuang.
Seule la moitié de la population sait que le bétel est cancérogène, ajoute-t-elle.
« Nous avons laissé l’industrie du bétel se développer pendant des décennies. Nous ne pouvons ignorer le fait que c’est le moyen de subsistance de (nombreux) cultivateurs et revendeurs », dit-elle, appelant à une meilleure coordination des ministères de l’Éducation, de l’Agriculture et de l’Économie pour « attaquer le problème à la racine ».
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