EUROPE

Tchétchénie, Syrie, Ukraine : les ravages de l’impunité au sein des forces russes

avril 17, 2023 12:45, Last Updated: avril 17, 2023 14:16
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Depuis le début de la guerre en Ukraine, d’atroces vidéos d’exactions attribuées aux Russes sèment l’effroi, alimentant parfois des comparaisons avec les jihadistes de l’organisation terroriste État islamique. Mais la question essentielle, pour des défenseurs des droits humains, est l’impunité régnant depuis des décennies au sein des forces russes.

La vidéo apparue il y a quelques jours de la décapitation d’un prisonnier de guerre ukrainien présumé par un bourreau russophone a sidéré et provoqué des réactions internationales horrifiées, certains évoquant des méthodes jusqu’alors associées à l’organisation jihadiste EI, qui filmait les décapitations et meurtres de ses otages. « Si l’authenticité de cet acte barbare est confirmée, les soldats russes seraient du côté de l’organisation terroriste État islamique », a ainsi twitté le président tchèque Petr Pavel. Le chef de la diplomatie ukrainienne Dmytro Kouleba a lui estimé que la Russie était « pire que l’organisation terroriste État islamique ».

« Il y a un contexte » et « il y a eu des précédents »

Fait inhabituel, le parquet russe a annoncé l’examiner pour l’authentifier, alors que Moscou dément d’ordinaire immédiatement les accusations de crimes de guerre portées contre ses troupes en Ukraine. Il ne s’agit cependant pas d’une première, plusieurs vidéos – montrant une castration, un prisonnier abattu à bout portant, des corps de soldats mutilés…– ayant circulé sur les réseaux sociaux depuis le début du conflit. Elles n’ont pas toutes été authentifiées ni les bourreaux identifiés, mais pour les Ukrainiens pas de doute : ces exactions sont l’œuvre des « monstres » russes, selon les mots du président ukrainien Volodymyr Zelensky.

« Nous ne savons pas quand et où cette vidéo (de décapitation) a été faite, il est impossible de dire pour le moment qui sont les auteurs, mais il y a un contexte », souligne pour l’AFP Alexandre Tcherkassov, directeur du centre des droits humains de l’ONG russe Memorial, bannie dans son pays. « Il y a eu des précédents, notamment en Tchétchénie où des dizaines de corps décapités ont été retrouvés, parmi les milliers de disparitions forcées de Tchétchènes pendant la deuxième guerre (1999-2000), cite-t-il. « Il y a aussi la vidéo syrienne », reprend-il, en référence aux tortures et au meurtre filmés d’un déserteur de l’armée syrienne en 2017, qui a donné lieu à la première plainte contre le groupe paramilitaire russe Wagner.

« Une chaîne de guerres, une chaîne de crimes, une chaîne d’impunité »

Déposée en 2021 à Moscou par trois ONG dont Memorial, qui affirmaient avoir identifié les responsables comme des hommes de Wagner, la plainte a été classée et se trouve désormais devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). « Il y a un mécanisme d’impunité qui fonctionne depuis la première guerre de Tchétchénie (1994-1996), et ce que nous voyons aujourd’hui en Ukraine en est le résultat », estime M. Tcherkassov, pour qui « les responsables russes, qu’ils soient de l’armée, des services spéciaux ou des Wagner, restent impunis et ont la certitude de cette impunité ». Un récent volumineux rapport de Memorial, dont il est le co-auteur, relève que les conflits tchétchènes, syrien et ukrainien « ont parfois impliqué les mêmes acteurs, les mêmes unités et formations militaires » et décrit « une chaîne de guerres, une chaîne de crimes, une chaîne d’impunité ».

L’avocat syrien Mazen Darwish, fondateur du Centre syrien pour les médias et la liberté d’expression, en est convaincu : « parce qu’il n’y a pas eu de réaction de la communauté internationale à ce qui se passait en Syrie, nous avons aujourd’hui cette situation en Ukraine ».

Un recrutement dans les prisons  russes de criminels et d’individus à haut niveau de tolérance à la violence

L’ONG de M. Darwish faisait partie des associations ayant déposé la plainte contre Wagner en Russie. « En la rejetant, la justice a donné un feu vert à ceux qui savent qu’ils ne seront jamais poursuivis », dit-il à l’AFP, en confiant d’une voix lasse avoir visionné « l’horrible » vidéo en Ukraine.

Spécialiste des sociétés post-soviétiques, la chercheuse Anna Colin Lebedev met pour sa part en garde contre toute « explication culturaliste ou essentialiste » et fait la distinction entre Wagner, accusé d’être à l’origine de la plupart des vidéos d’exactions, et l’armée russe. Mais « il y a tout un faisceau de choses qui rendent possible ces violences », estime-t-elle, citant « un certain nombre de pratiques jugées acceptables, comme de ne pas distinguer civils et combattants » ou encore « un problème de commandement et de hiérarchie au sein de l’armée russe, un manque de clarté des objectifs de guerre, et le profil social des combattants sur le front », souvent de milieux défavorisés et peu éduqués.

Sans compter les prisonniers russes, qui ont été recrutés pendant des mois par dizaines de milliers par Wagner pour aller sur le front ukrainien. Il s’agit de criminels, mais aussi d’individus « brisés psychologiquement » et ayant développé un haut niveau de tolérance à la violence après des années dans les prisons russes où la torture, le viol, l’isolement sont généralisés, rappelait récemment une juriste russe, Yana Gelmel, lors d’une conférence de Memorial à Paris.

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