Mon grand-père possédait des terres dans le sud de la Chine, avant le coup d’État communiste de 1949. La possession d’un peu plus d’un hectare de rizière et de plantations de litchis lui a valu d’appartenir, du jour au lendemain, à la classe des « propriétaires fonciers » ; une catégorie sociale contre laquelle le nouveau régime était déterminé à utiliser « la plus grande force », comme le disait Mao Tsé-Toung.
La fabrication d’un art nouveau et d’une culture nationale nouvelle au service du Président Mao, a préparé, accompagné et même légitimé sa campagne de massacre de masse.
Le Détachement féminin rouge, un ballet chinois de 1964 est l’une des nombreuses œuvres à la gloire de la violente lutte des classes. Elle a été jouée le soir du 11 juillet, au Manhattan’s Lincoln Center, à New York.
Interprétée par la compagnie d’État du Ballet national de Chine, la pièce fait partie des rares œuvres, 8 au total, à avoir été approuvées et jouées pendant les dix années qu’a duré la Révolution culturelle (1966-1976). Elle raconte l’héroïque défaite et l’exécution d’un « propriétaire foncier diabolique » par les partisans communistes des années 1930.
Le site web du Lincoln Center a mis en ligne des extraits du spectacle, dans lesquels les acteurs tendent des banderoles rouges où sont inscrits en larges caractères chinois : « Écrasez les propriétaires, partagez leur terre » et « Le tyran sudiste, capturez-le vif ».
La campagne de « réforme agraire », entre la fin des années 1940 et le début des années 1950, a conduit à un massacre à l’échelle du pays. L’extermination des propriétaires est le résultat direct des théories maoïstes, qui appelaient ouvertement à la terreur et au meurtre comme étant un des moyens de déraciner les propriétaires – et même ceux qui y avaient été assimilés par erreur. Le professeur et auteur Ralph Thaxton a révélé que le terme « propriétaire » n’existait pas dans la langue chinoise, avant son invention par les communistes. Diabolisés par la propagande communiste et ses agitateurs, les propriétaires fonciers des zones rurales de la Chine ont été tués en quantités effrayantes. On estime à des millions le nombre de ces victimes.
Tout comme ses voisins campagnards, étiquetés de propriétaires ou de riches paysans, mon arrière grand-père a été traduit en justice dans un tribunal de village organisé par les communistes. Dans son village, on avait une bonne estime de lui car il avait contribué au développement de l’éducation et de la culture. Mais cela ne comptait plus. En effet, le seul fait d’être propriétaire avait fait de lui, a priori, un oppresseur. Il a été pour cela sommairement exécuté en 1952.
Ma grand-mère, qui était partie étudier en Union soviétique, a mis des années avant d’établir les circonstances de la mort de son père. Des décennies ont passé avant qu’elle ait pu en parler ouvertement.
Comment ose-t-on s’enorgueillir de cette page noire de l’histoire ?
Près de quatre décennies après le chaos de la Révolution culturelle, le Détachement féminin rouge est resté une référence du Ballet national de Chine. Pourtant, cette pièce glorifie la brutalité absolue du régime chinois contre les propriétaires, dans les campagnes.
Ce spectacle a suscité aux États-Unis des réactions qui sous-entendent une approbation de cette partie de l’histoire : une revue publiée par le New York Times complimente l’interprétation de cette pièce pour son histoire « facile à comprendre » traitant d’une « libération et juste revanche ».
Mark Harrison, professeur d’économie à l’université de Warwick, spécialisé dans l’histoire soviétique, considère que la représentation du Détachement féminin rouge met en évidence le besoin du régime chinois de légitimer son passé maoïste – une période qu’il décrit comme étant un « gouffre dans lequel des dizaines de millions de gens sont morts ».
« Le Parti communiste a un problème de légitimité », rappelle Mark Harrison dans un entretien téléphonique avec Epoch Times. « Il a besoin de redorer des parties de son histoire pour en être fier. »
Quand on considère bien la Révolution culturelle, dans laquelle l’héritage de la Chine antique – tout comme ses millions d’intellectuels – ont été attaqués et détruits sans pitié, on constate que cette facette de l’histoire a vite été balayée d’un revers de la main. Le Grand bond en avant, avec ses plans économiques et politiques inapplicables, a fait mourir de faim plus de 30 millions de gens, à la fin des années 1950.
«Evoquer cette période est très délicat », a témoigné Mark Harrison.
« Une révolution n’est pas un dîner de gala »
Le récit de la lutte contre la classe des propriétaires fonciers, que dépeint le Détachement rouge, exploite le conflit séculaire entre riches et pauvres, qui n’est d’ailleurs pas propre à la Chine. « Il existe une tension entre 99% de l’opinion publique et les 1% restants en ce moment aux États-Unis », a évoqué Mark Harrison. « Imaginez dans ce cas si cette minorité de 1% était tuée. »
Voici un autre exemple, plus connu : la propagande nazie a focalisé les esprits sur la soi-disant nature parasitaire des Juifs « comme quelqu’un qui ferait fortune en exploitant la misère des autres », a analysé Mark Harrison.
« Le Juif éternel », documentaire antisémite produit par l’Allemagne nazie durant la seconde guerre mondiale, décrit « une race parasite » vivant du troc pour obtenir les produits du travail de la race aryenne, dans l’objectif d’instaurer une domination économique.
De même, Mao Tsé-Toung a appelé à la violente destruction des propriétaires fonciers et de la « bourgeoisie diabolique ». Cette catégorie de la population représentait pour Mao la classe qui s’était approprié les terres de la population rurale, laissée dans le plus grand dénuement depuis des millénaires. « Sans le recours à la force la plus grande, les paysans ne pourront probablement pas renverser l’autorité profondément enracinée des propriétaires fonciers qui dure depuis des centaines d’années », a écrit en 1927 le dirigeant communiste, dans un rapport sur la situation de la classe paysanne du sud de la Chine.
C’est également dans ce rapport que l’on trouve les déclarations de Mao fréquemment citées : « une révolution n’est pas un dîner de gala » et « la révolution, c’est un soulèvement, un acte violent par lequel une classe en renverse une autre ».
« Un meurtre de masse reste un meurtre de masse »
Ma grand-mère avait essayé de concilier le meurtre de son père avec l’idéologie communiste à laquelle elle était obligée de croire, comme tous les chinois à l’époque. Pendant des décennies, elle a essayé de se convaincre qu’en tant que propriétaire foncier, son père avait mérité la mort qu’il a eu. C’est seulement en 2004, après la publication de la série éditoriale d’Epoch Times, intitulée les Neuf commentaires sur le parti communiste, qu’elle a commencé à voir son histoire familiale et l’histoire de son pays sous un nouvel éclairage.
Elle savait que quelque chose n’allait pas quand une de ses lettres lui avait été retournée à Moscou, où elle était partie étudier. La lettre portait la mention : « Votre famille a été combattue dans le cadre de la réforme agraire. Cessez de lui écrire. » Plus tard, son frère lui a simplement dit : « Papa est mort. » Son corps avait été recouvert de paille et laissé à même le sol, au lieu d’être enterré sous terre selon la coutume.
Dans une lettre évoquant l’incident, adressée à sa famille, et dont elle m’a fait part récemment, ma grand-mère analysait ses sentiments contradictoires lorsqu’elle a appris la nouvelle. « La mort est venue contredire ma façon de penser. Je pensais qu’il avait été tué selon un « commandement » communiste auquel j’adhérais. Mais comment une « bonne » idéologie pouvait-elle tuer de bonnes personnes ? J’étais tellement partagée ! »
Nigel Redden du Lincoln Center a noté la façon dont le massacre avait été intégré comme un simple « moment de l’histoire » au cours du long récit épique et que son caractère immoral avait prêté à réflexion. Il explique au Wall Street Journal que cette façon de faire avait atténué la nature haineuse de ces massacres. En Chine, le régime a eu abondamment recours à cette méthode.
En-dehors de la Chine, faire de la sorte est moins pardonnable. « Si on parle d’une classe sociale, ça ne compte pas », a précisé Harrison, « mais le meurtre de masse reste un meurtre de masse. Ce dont nous parlons ici c’est bien d’un meurtre de masse. »
Version originale : Chinese Ballet at Lincoln Center Glorifies the Violent Class Struggle That Killed My Great-Grandfather
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