« En quelques années, une industrie européenne peut être balayée ! » prévient un représentant de l’éolien en Europe, en difficulté en dépit des ambitions des États pour verdir leurs sources d’énergie.
Au moment où le secteur doit investir massivement pour répondre à la demande attendue, la flambée des taux d’intérêt et des coûts des matériaux vient le rattraper, au point de le conduire à suspendre des projets… et à ralentir la transition énergétique. Alors que les climatologues exhortent à agir d’ici à 2030 pour éviter les pires effets du réchauffement climatique, les mises en service de projets éoliens dans le monde ont reculé de 15% en 2022, selon BloombergNEF.
Dans l’offshore, l’Europe, pionnière, a installé au premier semestre 2023 2,1 gigawatts (GW) de capacités, qui atteignent désormais un total de 32 GW, selon WindEurope. Mais pour réaliser les 120 GW visés en 2030, elle devrait poser en moyenne l’équivalent de 11 GW par an, souligne l’association professionnelle.
Envolée des taux d’intérêt et des coûts
Or les nuages s’amoncellent. D’abord l’envolée des taux d’intérêt : dans l’éolien terrestre, le coût de l’emprunt représente aujourd’hui « 8–10 euros/MWh sur un prix de 60–65 euros ! » souligne Michel Gioria, de France Renouvelables. Ces infrastructures supposent des investissements de départ importants, financés par emprunts, rappelle-t-il. S’ajoute à cela l’inflation sur les matières premières : acier, aluminium, matériaux composites… Le prix moyen d’une éolienne terrestre est ainsi passé de 2,4 millions d’euros en janvier 2021 à 3,2 millions, selon France Renouvelables.
Dans l’offshore, plusieurs projets, remportés avant l’envolée des coûts, ont été suspendus, comme le Trollvind du norvégien Equinor. Idem pour le suédois Vattenfall et son Norfolk Boreas (1,4 GW) en mer du Nord britannique, quand les déconvenues du danois Orsted dans ses projets américains lui valaient dépréciations et dégringolade boursière. Ce contexte affecte aussi les cinq fabricants européens de turbines, qui depuis des années ont du mal à sortir du rouge.
Le danois Vestas, longtemps premier mondial avant d’être détrôné par le chinois Goldwind, a encore subi une perte au 2e trimestre. Les commandes sont en hausse de 8% sur un an, mais le constructeur, qui emploie 29.000 personnes dans le monde, se dit prudent pour la suite devant les incertitudes géopolitiques, l’inflation et la lenteur des processus d’autorisation.
Coup de semonce, début septembre : un appel d’offres britannique dans l’offshore n’a trouvé aucun candidat, Londres n’offrant pas de prix jugé suffisamment rentable. « Il va falloir des mesures de soutien et une révision des mécanismes d’enchères pour relancer les investissements dans l’éolien en mer », souligne Rystad Energy.
« Des pays, comme la France, ont des mesures d’indexation. Mais le refus de la Grande-Bretagne menace sa position de leader, » estime WindEurope, pour qui indexer rendrait l’éolien en mer « certes légèrement plus cher, mais il resterait toujours moins cher » que l’essentiel des autres énergies et plus stable que les ressources fossiles.
Tensions dans l’approvisionnement
Pour le secteur, cette crise arrive à un moment charnière, où il doit construire usines de turbines et de câbles, s’équiper en navires spécialisés pour pouvoir répondre aux ambitions de décarbonation de l’électricité. Déjà, des tensions apparaissent dans l’approvisionnement. Ainsi le parc de Noirmoutier a dû commander des fondations de Chine, faute de fabricants européens disponibles. Présente en Europe dans l’éolien terrestre, la Chine l’est encore peu dans l’offshore, mais elle a déjà fourni en 2022 le premier parc italien.
« L’avenir de notre industrie des technologies décarbonées doit se construire en Europe », a dit la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, en promettant mi-septembre des mesures à venir pour l’éolien. « La pérennité de l’industrie éolienne en Europe est en jeu, s’il n’y a pas changement de braquet des États, en quelques années elle peut être balayée, » répond le directeur politique de WindEurope Pierre Tardieu.
Le secteur demande un soutien à l’investissement, aussi pour les réseaux, les infrastructures portuaires et un volet contre « la concurrence déloyale ». Il réclame que le facteur prix, qui représente 70% de la notation dans le marin, et plus encore dans le terrestre, fasse de la place à d’autres critères (RSE, contenu local…). Sans oublier l’accélération des autorisations, toujours un frein majeur avec, selon la filière, quelque 80 GW de projets bloqués prêts à être déployés sur le continent.
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