Temps d’attente interminables, manque de personnel, etc. : l’hôpital français en « grande fragilité »

Par Ludovic Genin
21 août 2024 07:58 Mis à jour: 21 août 2024 22:07

Un peu partout, la presse régionale relate les difficultés des hôpitaux à assurer un fonctionnement fluide de leurs services d’urgence, du fait notamment d’un manque d’effectifs endémique.

« Jusqu’à 70 heures » d’attente aux urgences de Nantes, dénoncent les syndicats du CHU, ce qui aurait mené au décès de quatre patients en zone d’attente cet été – des chiffres démentis par la direction de l’établissement ensuite.

« Depuis plusieurs semaines, le service des urgences adultes est saturé et de nombreux patients attendent plus de 20 h avant d’être pris en charge. Plusieurs patients ont attendu jusqu’à 70 h avant d’être transférés dans une unité de soins », a déclaré début août le syndicat FO de cet établissement. « Au moins 340 lits sont fermés administrativement faute de personnel », a alerté le syndicat, s’inquiétant de « nombreux signes d’épuisement » parmi les hospitaliers.

« Dans tout le reste du territoire, les services sont encore et toujours en grande souffrance », avec des « fermetures perlées », décrit le docteur Marc Noizet, président du syndicat de médecins urgentistes Samu Urgences de France. « Partout on identifie de vraies zones de grande fragilité », déplore-t-il. Et cela touche « de gros établissements”.

Une cinquantaine d’hôpitaux actuellement en tension

Les urgences d’ ”une cinquantaine d’hôpitaux » français « sont actuellement en tension » par manque de personnel, a affirmé le 20 août le ministre délégué à la Santé démissionnaire, Frédéric Valletoux, sans préciser combien avaient dû fermer totalement ou partiellement.

Au CHU de Brest, par exemple, « le temps d’attente moyen, entre l’arrivée et la sortie des urgences […] a pu monter à 9 heures » ces dernières semaines, mais se situe habituellement plutôt autour « de 6 ou 7 heures », a déclaré le ministre.

Dans l’Ouest, le CHU de Caen a connu de gros problèmes d’engorgement de ses urgences à la mi-juillet, avec dépôt d’un préavis de grève – inopérant car suivi de réquisitions immédiates – par les médecins du service. « Actuellement, le service fonctionne avec 30 % de l’effectif théorique », expliquait Florian Michel, un des médecins des urgences du CHU, sur France 3 Normandie.

Le CHU de Rennes a pour sa part prévenu que ses urgences, comme celles de deux cliniques privées de l’agglomération, ne seraient plus accessibles qu’après avis du 15, entre le 9 et le 18 août. Une première pour ce grand hôpital régional. Le cas de Rennes illustre un phénomène dénoncé par le Dr Noizet, avec des services d’urgences d’hôpitaux privés « qui se donnent la possibilité de fermer » faute de soignants, en reportant la charge sur l’hôpital public. « C’est nouveau et ça n’est pas entendable ».

Dans l’Est, au CHU de Metz, « les difficultés sont encore pires que l’année dernière ».

Pour le président de Samu Urgences de France, les Agences régionales de santé (ARS) doivent prendre le taureau par les cornes et imposer « une gestion plus efficace des ressources » au niveau de chaque territoire.

Selon une enquête publiée en juillet par la Drees, le service statistique des ministères sociaux, la France comptait mi-2023 719 services d’urgence, qui avaient reçu le jour de l’enquête entre 10 et 290 patients. « Dans un contexte récurrent de manque de personnel », 54 de ces services d’urgence (8 %) « ont dû fermer complètement au moins une fois entre mi-mars et mi-juin 2023 », dont 23 contraints de fermer en journée et non pas seulement la nuit.

Les régions Pays de la Loire, Occitanie et Auvergne-Rhône-Alpes « sont les plus concernées » par ces épisodes de fermeture complète, qui ont touché, pour la moitié d’entre eux, les plus petits services (moins de 40 patients par jour en moyenne), notait l’étude.

Le cas de l’hôpital Nord Franche-Comté qui a déclenché son plan blanc

Confronté à une « saturation des capacités d’hospitalisation », l’hôpital Nord Franche-Comté, installé à Trévenans (Territoire de Belfort), a activé le plan blanc le 18 août, afin de mobiliser des moyens et effectifs supplémentaires.

Le plan blanc est activé « pour répondre au nombre de patients pris en charge au service d’accueil des urgences, à la saturation des capacités d’hospitalisation, aux tensions exercées sur la gestion des effectifs et aux mesures d’exception à engager pour répondre aux besoins de santé » du bassin de vie du Nord Franche-Comté, précise l’hôpital.

Le plan blanc est un dispositif de gestion de crise des établissements confrontés à des pics d’activité, permettant de mobiliser des moyens supplémentaires pour faire face à l’afflux de patients. « On a une saturation du service des urgences, car nous sommes les seuls à assurer la permanence des soins. La moyenne haute est à environ 250 patients accueillis par jour, il en faudrait 100 de moins pour tourner correctement », a déclaré Mélanie Meier, aide-soignante et déléguée CFDT au sein de l’hôpital.

L’hôpital est également confronté, de longue date, à des difficultés de recrutement, tandis qu’il voit partir certains de ses professionnels de santé. « Cette année, on a été contraints de fermer des services de médecine polyvalente et de gériatrie. En juillet, 16 lits du service de diabétologie, sur 32, ont fermé par manque de personnel médical », explique Stéphanie Grosbon, déléguée du syndicat CNI (Coordination Nationale Interprofessionnelle de Santé). « Le service entier d’urologie a fermé. Depuis l’inauguration de l’hôpital, en 2017, environ 100 à 120 lits ont fermé. Il y a des services vides, et les services qui tournent sont surchargés. C’est catastrophique. »

Une chute des internes dans les hôpitaux en 2024

Ajouté aux vacances estivales, plusieurs représentants hospitaliers alertent sur le faible nombre d’internes qui intégreront les hôpitaux français, cet automne. Selon le Journal officiel, 7974 postes ont été ouverts pour la nouvelle promotion d’internes qui commencera à exercer en novembre, contre 9484 l’année dernière, soit 1510 de moins (-16 %).

Les professionnels « se demandent comment ils vont faire tourner leurs services » alors que « les internes travaillent 59 h / semaine en moyenne », explique Guillaume Bailly, président de l’Intersyndicale nationale des internes (Isni).

Le gouvernement « n’a pas fait le choix de diminuer » le nombre de postes, s’est défendu le ministre délégué à la Santé démissionnaire, Frédéric Valletoux, en début de semaine. Ce nombre a baissé proportionnellement au nombre d’étudiants inscrits au concours.

Raison de ce décrochage : une réforme qui introduit pour la première fois une note éliminatoire à l’écrit, et une épreuve orale. Une partie de la promotion (7 % contre 3 % habituellement selon la Conférence des doyens de médecine) a stratégiquement décidé de redoubler sa cinquième année, pour ne pas essuyer les plâtres du nouveau concours. Ces étudiants, qui rêvent d’une spécialité depuis des années (chirurgie, cardiologie, ORL…), estiment avoir été insuffisamment préparés aux nouvelles modalités, modifiées au milieu de leur cursus, et demandent au gouvernement de rouvrir des postes dans les spécialités très prisées qu’ils souhaitent intégrer.

Selon plusieurs syndicats, les internes représentent 40 % de l’effectif médical hospitalier et leur diminution risque encore d’alourdir la charge de travail et les gardes des praticiens en poste. « Cette baisse peut inquiéter mais ce n’est pas un effondrement », ce chiffre « va normalement se rétablir » dès l’an prochain, avec l’arrivée des redoublants, a estimé sur France Inter Arnaud Robinet, président de la Fédération hospitalière de France (FHF).

Pour pallier le manque, le gouvernement envisage de recourir temporairement à des médecins étrangers. Car rouvrir des postes dans certaines spécialités prisées risquerait de priver d’autres spécialités d’internes, observe Lucas Poittevin (Anemf).

L’exécutif cherche à « préserver une sorte d’équilibre » entre spécialités et territoires, ajoute-t-il, plaidant pour revoir « plusieurs points de la réforme ».

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