Thomas Piednoel : « Les Outre-mer français sont des poudrières prêtes à s’embraser »

Par Julian Herrero
10 décembre 2024 13:41 Mis à jour: 10 décembre 2024 17:44

ENTRETIEN – Plus de six mois après le début des émeutes provoquées par un projet de loi constitutionnelle visant à modifier le corps électoral calédonien, Thomas Piednoel, président de la radio Océane FM donne son analyse de la situation sur le « caillou ». Le journaliste revient également sur les ingérences étrangères qui frappent de plein fouet l’archipel du pacifique.

Epoch Times : Où en est la situation sécuritaire aujourd’hui en Nouvelle-Calédonie ?

Thomas Piednoel : Les forces de l’ordre françaises ont repris le contrôle de la majeure partie du territoire calédonien. Cependant, cela a exigé un déploiement massif : de 800 hommes initialement présents, l’État a dû mobiliser plus de 6000 forces mobiles en l’espace de quelques semaines.

Cette intervention, jugée tardive par une grande partie de la population, a renforcé un sentiment de frustration. Bien que le calme soit revenu, la situation m’apparaît précaire, marquée par des incidents sporadiques tels que des incendies, des agressions et des tensions récurrentes autour de la tribu de Saint-Louis. Ce climat est exacerbé par la prolifération rapide de rumeurs sur les réseaux sociaux, alimentant l’inquiétude générale.

De plus, les revendications des instigateurs, notamment la CCAT (Cellule de Coordination des Actions de Terrain) n’ont pas été satisfaites. Ils continuent de demander l’indépendance unilatérale, la libération de leurs leaders et le maintien du gel du corps électoral, en contradiction avec les résultats des trois référendums d’autodétermination. Ce rejet des principes démocratiques et juridiques de la République creuse davantage les divisions.

Cette période rappelle d’autres moments critiques de notre histoire : 1878, 1917, et surtout les événements des années 1984-1988. Ces crises ont laissé des séquelles profondes et ont souvent nécessité des années pour retrouver une stabilité relative. La situation actuelle, bien qu’en phase d’accalmie, semble s’inscrire dans cette même dynamique, avec des enjeux institutionnels et sociaux d’une portée potentiellement révolutionnaire.

Le Parlement français a récemment adopté une loi sur le report des élections provinciales. Cette loi va-t-elle favoriser le retour du dialogue entre les indépendantistes et les loyalistes ?

Je fais partie de cette génération de Calédoniens lassée par la gestion du dossier depuis plus de quarante ans. Ce report d’élections est emblématique d’une approche qui consiste à repousser les échéances plutôt qu’à affronter les vrais enjeux. Ce n’est pas en gagnant du temps que l’on instaure un dialogue sincère.

Au contraire, un dialogue authentique exige des élus forts de leur légitimité populaire retrouvée, car ce sont les urnes qui clarifient les rapports de force. En réalité, les indépendantistes voient dans ce report une stratégie pour maintenir le statu quo, tandis que les loyalistes espèrent une clarification des règles en leur faveur. Ces divergences ne font que refléter l’absence de confiance mutuelle et le blocage persistant, qui, soyons honnêtes, n’a jamais vraiment été levé.

Cette loi ne répond ni aux aspirations des indépendantistes ni à celles des loyalistes. Le retour au dialogue nécessite des garanties institutionnelles et des gestes significatifs de part et d’autre, pas des mesures temporaires perçues comme superficielles. Pour l’instant, ce report apparaît surtout comme un moyen pour nos dirigeants de faire ce qu’ils font le mieux : gagner du temps, sans apporter de solutions durables.

Viginum a publié le 2 décembre un rapport sur la campagne numérique de manipulation de l’information orchestrée par le Baku Initiative Group (BIG) et ciblant nos régions et collectivités d’Outre-mer. Comment analysez-vous les ingérences du régime d’Aliyev en Nouvelle-Calédonie ?

Le rapport de Viginum révèle une vérité troublante : Aliyev, président autoritaire d’Azerbaïdjan, a compris avant Emmanuel Macron que les Outre-mer français sont des terrains fragiles, des « poudrières » prêtes à s’embraser. En orchestrant des campagnes de désinformation via le Baku Initiative Group (BIG), il exploite ces vulnérabilités pour affaiblir la France et détourner l’attention des propres failles de son régime.

Ces ingérences ne sont pas de simples provocations numériques. Elles visent à amplifier les tensions, délégitimer les institutions françaises et saper les principes démocratiques. La Nouvelle-Calédonie, marquée par une histoire de fractures identitaires et des tensions politiques non résolues, est une cible idéale, comme la Polynésie et demain la Corse.

En manipulant les perceptions locales et internationales, ces campagnes aggravent les divisions et compliquent encore un contexte déjà fragile. Et pendant qu’Aliyev agit avec une stratégie froide et méthodique, Emmanuel Macron semble, comme à son habitude, réagir tardivement, sans vision claire.

La France, trop souvent centrée sur ses enjeux hexagonaux, semble sous-estimer l’importance stratégique de ses Outre-mer. Là où Aliyev voit une faille et y insère une allumette, Emmanuel Macron se contente de jouer les pompiers, avec retard et toujours à contre-temps. Le Général MacArthur disait qu’on peut résumer toute défaite à deux mots et à deux mots seulement : « Trop tard… »

Le gouvernement a été censuré le 4 décembre. La chute du gouvernement de Michel Barnier peut-elle avoir des conséquences sur la Nouvelle-Calédonie ? On sait que le ministre délégué des Outre-mer démissionnaire François-Noël Buffet avait annoncé début novembre l’introduction dans le budget 2025 de trois amendements destinés à aider l’archipel.

La censure du gouvernement de Michel Barnier ne changera rien aux problèmes des collectivités calédoniennes et je n’ai aucun doute que l’État versera, d’une manière ou d’une autre, les fonds mensuels nécessaires (et minimum) pour maintenir les collectivités calédoniennes à flot. Et je n’ai aucun doute non plus sur le fait que de très nombreuses personnalités politiques calédoniennes salueront cet effort extraordinaire de l’État, tout en expliquant qu’ils en sont à l’origine.

C’est le jeu de nos élus qui, totalement impuissants, sont en fait devenus des mendiants institutionnels professionnels. Un rôle qu’ils jouent, admettons-le, particulièrement bien. Rappelons juste que le milliard d’euros dont les collectivités calédoniennes ont besoin pour continuer à fonctionner comme elles le font (c’est-à-dire en conservant des budgets déséquilibrés) représente une somme dérisoire dans les finances publiques françaises.

L’année prochaine, puisque l’État dépense un quart de plus que ce qu’il ne gagne, l’Agence France Trésor empruntera, chaque matin, entre 800 millions et 1 milliard d’euros sur les marchés financiers. Budgétairement, la Nouvelle-Calédonie représente une demi-journée de l’endettement de la France. C’est donc insignifiant à l’échelle nationale.

Vous avez publié le 24 novembre dans le Journal du Dimanche, un article dans lequel vous établissez un lien entre la crise qui frappe la Nouvelle-Calédonie et la chute de la Ve République. Pensez-vous que cette crise ait mis en exergue les faiblesses de notre système ?

À ce sujet, il faut d’abord rendre à César ce qui appartient à César : l’avocat et historien Philippe Fabry a depuis longtemps démontré que la chute de la Ve République n’est pas une éventualité, mais une trajectoire presque inévitable.

Selon lui, cette chute passera par une assemblée constituante et par un Congrès à Versailles. Or, ce Congrès est déjà inscrit dans le calendrier politique : le Président devra le convoquer avant juillet 2025 pour permettre les élections provinciales calédoniennes en novembre, une obligation légale incontournable. Sans cela, ces élections pourraient être annulées par le Conseil d’État ou la CEDH.

Mais quel sera le climat en juillet 2025 ? Le gouvernement Barnier est tombé, et 54 % des Français s’en réjouissent. L’instabilité politique s’intensifie, le déficit explose, et l’augmentation des intérêts de la dette menace d’asphyxier les finances publiques.

Dans ce contexte tendu, le Congrès pourrait devenir un théâtre d’exaspération sociale et politique, où la Nouvelle-Calédonie jouerait un rôle de catalyseur. Je pense et je préviens : ce qui devait être une simple formalité technique pour organiser des élections pourrait devenir un moment de bascule historique. En résumé, Fabry prévoit la chute. Moi, je cherche quand et où l’étincelle risque de jaillir. Et tout pointe vers ce Congrès à Versailles, où la Nouvelle-Calédonie pourrait bien sceller le sort de la République.

Notre crise révèle en fait les failles systémiques d’un régime hyper-présidentiel, incapable de gérer la complexité des enjeux modernes, de fédérer des idées ou de restaurer la confiance démocratique. Ce qui devait être une formalité technique pourrait devenir un moment de bascule historique. Qui peut croire que, l’année prochaine, 925 parlementaires se réuniront pour parler une heure du droit de vote en Nouvelle-Calédonie et repartiront comme si de rien n’était ?

Un nouveau Mirabeau pourrait émerger, transformant ce Congrès en constituante, proposant la proportionnelle intégrale et amorçant ainsi la fin de la Ve République et l’entrée dans un nouveau régime.

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