Tik Tok aurait orienté les jeunes électeurs allemands vers l’AfD, proche de Pékin

Par Ludovic Genin
17 juillet 2024 13:56 Mis à jour: 17 juillet 2024 14:00

Une étude d’AI Forensics, une ONG européenne enquêtant sur l’opacité et l’influence des algorithmes, montre comment le réseau social chinois Tik Tok a orienté les jeunes électeurs vers le parti d’extrême-droite allemand de l’AfD. L’ONG a examiné la fonctionnalité « Autres recherches » du réseau social afin de comprendre son influence sur le discours politique, en particulier dans le contexte des élections de 2024.

Menée en collaboration avec Interface, un think tank européen spécialisé dans les technologies de l’information et les politiques publiques, l’étude visait à déterminer si l’algorithme de Tik Tok favorisait les contenus trompeurs ou sensationnels.

L’enquête a montré que les contenus suggérés de Tik Tok, théoriquement associées aux recherches des utilisateurs, portaient un biais politique penchant vers l’AfD, que des scandales récents accusent d’être une porte d’entrée pour des espions chinois.

L’AfD favorisé dans les suggestions de recherche de Tik Tok

L’enquête a été menée en décembre 2023 auprès de 1643 jeunes adultes allemands de 18-24 ans, dont 59 % utilisent Tik Tok. Parmi ces jeunes utilisateurs, 67 % utilisent communément la fonction de recherche qui propose des suggestions et des résultats répertoriés par l’algorithme de Tik Tok.

L’étude a noté que les jeunes utilisateurs utilisaient de plus en plus le réseau social chinois Tik Tok comme moteur de recherche principal pour avoir des informations, au détriment des médias ou des moteurs de recherche traditionnels, alors que l’algorithme chinois oriente ses utilisateurs vers des pièges à clics (des contenus sensationnels ou trompeurs), sélectionnés pour leur engagement plutôt que pour la pertinence de leur contenu.

Pendant les quatre semaines précédant les élections européennes, les chercheurs ont collecté et analysé les 20 suggestions les plus courantes pour les 9 partis politiques allemands. Ils ont conclu que 25 % des recherches sur un parti ont proposé des suggestions redirigeant vers d’autres partis, dont l’AfD a été le plus fréquemment référencé.

Par exemple, la recherche sur le parti « Les Verts » a aboutit sur le discours d’Alice Weidel, la présidente de l’AfD. Parmi l’ensemble des suggestions de recherche de « redirection », l’AfD est clairement le grand gagnant devant les autres partis, alors que le FDP, le Parti libéral-démocrate, n’est suggéré dans aucune des recherches sur les autres partis. Cela pourrait s’expliquer par la plus grande présence des candidats de l’AfD sur Tik Tok, mais cela n’explique pas l’orientation donnée aux contenus suggérés, omniprésents sur l’application.

« Pour la recherche régulière, vous verrez AfD apparaître plus souvent, car l’AfD est plus présente sur TikTok, mais pour les suggestions de recherche, il y a aussi cet aspect algorithmique où quelqu’un prend la décision de relier ces deux recherches » a déclaré Martin Degeling, chargé d’analyser les systèmes de recommandation basés sur l’IA chez Interface. « Vous recherchez le Parti Vert, et l’AfD apparaît, vous recherchez la CDU et l’AfD apparaît, [mais] quand vous recherchez l’AfD, aucun autre parti n’apparaît. » a-t-il continué.

Selon l’étude, « l’absence d’incohérences thématiques claires dans les requêtes des partis sans résultat, soulève des questions sur la manière dont des requêtes spécifiques sont bloquées ou modérées par la plateforme et sur les raisons de ce blocage ou de cette modération ». Selon Salvatore Romano, responsable de la recherche chez AI Forensics, des recherches plus approfondies menées en France, en Pologne, en Italie et dans d’autres pays de l’UE ont constaté que « des contenus problématiques similaires étaient diffusés dans tous les pays » via les suggestions de recherche de Tik Tok.

Les chercheurs ont également constaté que dans 30 % des recherches, les utilisateurs se voyaient présenter des suggestions de recherche de type conspirationniste et « piège à clics » qui n’avaient pas grand-chose à voir avec les termes recherchés. Des exemples montrent la promotion de suggestions de recherche aléatoires de type clickbait (« piège à clics »), telles que « princesse bisexuelle » lors de la recherche sur le Parti social-démocrate, ou des suggestions alarmistes telles que « le dernier avertissement de Poutine » lors d’une recherche sur les Verts, touchant la curiosité des utilisateurs, pouvant se détourner de leur recherche principale.

Les chercheurs affirment cependant que leurs résultats ne prouvent pas de collaboration active entre Tik Tok et l’AfD.

TikTok affirme de son côté avoir mis en place des outils spécifiques à chaque pays pour lutter contre la propagation de la désinformation lors des élections européennes. Mais son application est délibérément à géométrie variable sur l’ensemble de la plateforme, selon les auteurs de l’étude. « S’il existe une politique de modération, elle n’est pas cohérente », explique Salvatore Romano.

La porosité de certains membres de l’AfD avec la Chine et la Russie

Le 23 avril, l’assistant d’un député européen de l’AfD a été arrêté en Allemagne en raison de soupçons d’espionnage en faveur du Parti communiste chinois (PCC). Jian Guo, collaborateur de l’eurodéputé Maximilian Krah, a été accusé d’avoir partagé des informations sur le Parlement européen avec des services de renseignements chinois.

Le parquet allemand a précisé que « l’accusé avait transmis en janvier 2024 à plusieurs reprises des informations sur les négociations et les décisions du Parlement européen à son client du service de renseignement chinois », ajoutant qu’ « il a également espionné des membres de l’opposition chinoise en Allemagne pour les services de renseignement chinois ». Des fouilles ont été réalisées dans les locaux de l’eurodéputé, nourrissant des craintes d’interférence de Pékin dans les élections de juin.

« S’il se confirme que les services de renseignement chinois ont espionné le Parlement européen de l’intérieur, il s’agirait d’une attaque contre la démocratie européenne », a déclaré la ministre allemande de l’Intérieur Nancy Faeser. « Les informations concernant l’arrestation d’un assistant de M. Krah sont très préoccupantes », avait réagi le siège de l’AfD à Berlin.

Maximilian Krah et un autre parlementaire de l’AfD, Petr Bystron, numéro deux sur la liste du parti aux élections européennes, avaient déjà fait face à des accusations de financement liés à la Russie dans le cadre d’un réseau de propagande récemment mis au jour par les services secrets tchèques. Le magazine allemand Der Spiegel a fait état fin avril de nouveaux éléments à charge contre Petr Bystron, en particulier un enregistrement audio sur une remise d’argent liquide présumée par un homme d’affaire pro-russe. Le responsable de l’AfD avait réfuté toutes les accusations.

Tik Tok, une arme d’influence au service du Parti communiste chinois

Selon le rapport « Les opérations d’influence chinoises : un moment machiavélien«  de l’Institut de Recherche Stratégique de l’École Militaire (Irsem) du ministère des Armées français, la plateforme numérique chinoise Tik Tok offre un aperçu de ce que des chercheurs appellent le « techno-autoritarisme », ou « autoritarisme numérique » chinois, utilisé pour alimenter et préparer des opérations d’influence à l’étranger.

Le rapport de l’ASPI (l’Institut australien de stratégie politique) « constate que TikTok s’engage dans la censure sur une gamme de sujets politiques et sociaux, tout en rétrogradant et en supprimant du contenu ». L’étude rappelle que « les dirigeants de ByteDance [qui détient Tik Tok, ndlr] ont déclaré officiellement qu’ils s’assureraient que leurs produits serviraient à promouvoir le programme de propagande du PCC. [Ils] ont clairement indiqué que la ligne du parti devait être intégrée dans les applications de l’entreprise jusqu’au niveau de l’algorithme ».

En mars 2023, lors d’une audience du PDG de Tik Tok au Congrès des États-Unis, la présidente du comité, Cathy McMorris Rodgers, avait pointé les liens de TikTok avec le régime communiste chinois par l’intermédiaire de sa société mère ByteDance, basée en Chine. « Les lois du PCC exigent que des entreprises chinoises comme ByteDance espionnent en leur nom », a rappelé Mme Rodgers. « Cela signifie que toute entreprise chinoise doit accorder au PCC des capacités d’accès et de manipulation en tant que caractéristique de conception. »

L’expert en cybersécurité Casey Fleming, PDG du cabinet de conseil en stratégie et cybersécurité BlackOps Partners, alertait également que TikTok est une «application militaire utilisée comme une arme». Selon lui, sur le réseau social chinois, « ce que vous écrivez, à qui vous écrivez, les mots de passe, les comptes de messagerie, tout ce qui se trouve sur votre téléphone, tout ce que vous tapez dans les mails ou les textos, ce keylogging (enregistrement des frappes) récupère chaque mot, chaque mot de passe, etc. »

Au-delà de ces aspects, une enquête du Wall Street Journal documentait en avril 2023 comment l’application diffuse en permanence des contenus nuisibles impliquant l’automutilation, les troubles de l’alimentation et le suicide dans les fils d’actualité des enfants. Le 19 février 2024, l’Union européenne a lancé une enquête pour déterminer si Tik Tok a enfreint les lois européennes concernant la protection des mineurs, la transparence de la publicité et le partage des données.

En France, une commission d’enquête a été lancée le 1er mars 2024 par le sénateur Claude Malhuret, suspectant également le réseau social de transférer les données personnelles de ses utilisateurs étrangers à des fins politiques et d’avoir une influence néfaste sur les jeunes générations occidentales.

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