C’est l’action qui conclut tout passage aux toilettes : vous actionnez la chasse et celle-ci, en remplissant avec fracas la cuvette, libère à votre insu des panaches de minuscules gouttelettes d’eau dans l’air ambiant. Des gouttelettes qui peuvent sembler bien anodines… Mais ces aérosols (fines particules, solides ou liquides, en suspension dans l’air) peuvent en fait propager des agents pathogènes – selon, entre autres, ce qu’il y avait dans la cuvette.
Dans des toilettes publiques, cela signifie que les personnes de passage vont potentiellement se trouver exposées à des maladies contagieuses (ou apporter son lot de pathogènes)…
Or, si de nombreux travaux ont établi que la plupart des contaminations impliquent un transfert des bactéries et autres pathogènes vers la bouche via les mains, des recherches équivalentes sur les risques associés aux aérosols font défaut alors que l’on sait depuis des décennies que les chasses d’eau peuvent libérer des particules dans l’air.
La compréhension scientifique de la propagation de ces panaches d’aérosols – et la sensibilisation du public à leur existence – a été entravée par le fait qu’ils sont invisibles. Nous avons résolu ce problème.
Mes collègues Aaron True, Karl Linden, Mark Hernandez, Lars Larson, Anna Pauls et moi-même avons utilisé des lasers de grande puissance pour les éclairer. Une mise en lumière qui nous a permis d’imager et de mesurer l’emplacement et le mouvement des panaches d’aérosols qui se propagent à partir des toilettes commerciales à chasse d’eau, avec un niveau de détails saisissant.
Des modélisations aux résultats concrets
Les toilettes sont conçues pour vider efficacement le contenu de la cuvette par un mouvement descendant de l’eau vers le tuyau d’évacuation. L’eau provenant de la chasse mise en action entre donc en contact violemment avec ledit contenu pour le repousser… ce qui crée en réaction une projection diffuse de particules qui va rester en suspension dans l’air.
Nous avons constaté qu’une toilette commerciale typique provoque une forte projection d’air chaotique ascendant à des vitesses dépassant 2 mètres par seconde. Dans les huit secondes suivant le début de la chasse d’eau, les particules générées (issues notamment de nos matières fécales, etc.) sont transportées jusqu’à 1,5 mètre au-dessus de la cuvette.
Pour visualiser ces panaches, nous avons installé dans notre laboratoire une toilette commerciale sans couvercle typique, équipée d’une soupape de type chasse d’eau que l’on trouve partout en Amérique du Nord. Les valves présentes utilisent la pression au lieu de la gravité pour diriger l’eau dans la cuvette. Afin de ne pas créer de perturbation par notre présence, nous avons installé un mécanisme pour déclencher la chasse à distance électriquement.
Nous avons utilisé des optiques spéciales pour créer une fine « feuille » verticale de lumière laser afin d’illuminer la zone allant du haut de la cuvette au plafond. Les particules d’aérosols diffusant suffisamment de lumière laser pour devenir visibles avec ce type dispositif, nous avons pu utiliser des caméras pour visualiser le panache qu’elles allaient former.
Même si nous nous attendions à voir ces particules, nous avons été surpris par la force du jet les éjectant de la cuvette.
Une étude connexe avait utilisé un modèle de calcul d’une toilette idéalisée pour prédire la formation de panaches d’aérosols. Mais, avec un transport ascendant de particules à des vitesses au-dessus de la cuvette proches du mètre par seconde, elle n’arrivait qu’à environ la moitié de ce que nous avons observé avec une vraie toilette.
Pourquoi des lasers ?
Jusqu’ici, les études expérimentales menées se sont largement appuyées sur des dispositifs qui échantillonnaient l’air à des endroits fixes pour déterminer le nombre et la taille des particules produites par les toilettes.
Si ces approches pouvaient indiquer la présence d’aérosols, elles ne fournissaient que peu d’informations sur la physique des panaches générés : à quoi ils ressemblent, comment ils se répandent et à quelle vitesse ils se déplacent. Or, ces informations sont essentielles pour élaborer des stratégies visant à atténuer leur formation et à réduire leur capacité à transmettre des maladies. La question n’a donc rien d’anodin…
En tant que professeur d’ingénierie, mes recherches portent sur les interactions entre la physique des fluides et les processus écologiques ou biologiques. Mon laboratoire est spécialisé dans l’utilisation de lasers pour déterminer comment diverses choses sont transportées par des flux de fluides complexes. Dans de nombreux cas, ces éléments sont invisibles jusqu’à ce que nous les éclairions avec des lasers.
Un avantage de l’utilisation de la lumière laser pour mesurer les flux de fluides est que, contrairement à une sonde physique, la lumière n’altère pas ou ne perturbe pas la chose que vous essayez de mesurer. En outre, l’utilisation de lasers pour rendre visibles des choses invisibles nous aide, nous qui nous appuyons tant sur notre système visuel, à mieux comprendre les complexités de l’environnement fluide dans lequel nous évoluons.
Aérosols et maladies
Les particules d’aérosols contenant des agents pathogènes sont d’importants vecteurs de maladies humaines, principalement de deux façons :
- Les petites particules qui restent en suspension dans l’air pendant un certain temps peuvent exposer les gens par inhalation à des maladies respiratoires – comme la grippe et le Covid-19 pour être dans l’actualité.
- Les particules plus grosses qui se déposent rapidement sur les surfaces peuvent, elles, propager des maladies intestinales (diarrhées, vomissements… provoqués notamment par le norovirus) par contact avec les mains et la bouche.
L’eau des toilettes contaminée par des matières fécales peut présenter des concentrations d’agents pathogènes qui persistent après des dizaines de chasses d’eau. Mais la question complémentaire de savoir si les aérosols des toilettes présentent un risque fort de transmission reste ouverte.
Bien que nous ayons pu décrire visuellement et quantitativement la manière dont les panaches d’aérosols se déplacent et se dispersent, nos travaux ne traitent pas directement de la manière dont les panaches de toilettes transmettent les maladies : il s’agit là d’un aspect de la recherche toujours en cours.
Limiter la diffusion du panache potentiellement contaminé
Notre méthodologie expérimentale et nos résultats (quantification des panaches de toilettes et vitesses d’écoulement associées) fournissent toutefois une base pour de futurs travaux visant à tester les stratégies qui permettront de minimiser le risque d’exposition à des maladies diffusées par la chasse d’eau des toilettes. Il pourrait s’agir d’évaluer les modifications des panaches d’aérosols émanant de nouveaux modèles de cuvettes de toilettes spécialement conçus ou de valves de chasse d’eau qui modifient la durée ou l’intensité du cycle de chasse.
En attendant, il existe déjà des moyens de réduire notre exposition à ces panaches aussi invisibles que chargés… Une stratégie évidente consiste à fermer le couvercle avant de tirer la chasse. Cependant, cela n’élimine pas complètement les émanations d’aérosols. De plus, de nombreuses toilettes dans les établissements publics, commerciaux et de santé ne sont pas équipées de couvercles.
Les systèmes de ventilation ou de désinfection par UV pourraient également atténuer l’exposition aux panaches d’aérosols. Nos données pourraient également être utiles pour aider à désinfecter les agents pathogènes qu’ils contiennent.
John Crimaldi, Professeur d’ingénierie civile, environnementale et architecturale, University of Colorado Boulder
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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