Les voyageurs seniors représentent aujourd’hui une source essentielle de croissance pour l’industrie touristique. Ceci s’explique par plusieurs raisons. Tout d’abord, le nombre de personnes âgées augmente fortement dans un contexte de vieillissement de la population mondiale.
En outre, la génération actuelle de seniors apprécie particulièrement le tourisme et, entre 60 et 75 ans, la durée des séjours est plus longue que pour les plus jeunes. Les seniors voyagent également davantage pendant la « saison intermédiaire », c’est-à-dire la période entre la haute et la basse saison, ce qui contribue à allonger la saison touristique.
Cependant, l’accès à ces différents bénéfices n’est possible que si les retraités sont en mesure de voyager lorsqu’ils le souhaitent. La compréhension de ce qui peut les empêcher de voyager reste donc essentielle pour leur permettre d’accéder aux expériences touristiques.
La réalisation d’une étude qualitative menée auprès de 15 seniors âgés de 60 à 85 ans, présentée en mai dernier lors de l’Academy of Marketing Science Annual Conference, nous a permis d’identifier plusieurs types d’obstacles au voyage.
« J’aurais aimé parler anglais »
Les contraintes liées aux loisirs, qui varient avec l’âge, peuvent être classées en trois catégories, comme l’expliquent les chercheurs américains Duane W. Crawford, Edgar L. Jackson et Geoffrey Godbey : les contraintes intrapersonnelles, interpersonnelles et structurelles.
Les contraintes intrapersonnelles, qui se réfèrent à des contraintes internes et psychologiques telles que l’expérience antérieure, la culpabilité, le manque de confiance en soi d’un individu, sont les plus puissantes. Elles influencent naturellement les préférences en matière de loisirs. Sur ce plan-là, nos interviewés évoquent d’abord le déclin des capacités physiques, de l’énergie ou encore de la difficulté à s’adapter à un nouvel environnement.
Ces contraintes concernent notamment l’impact psychologique du vieillissement : la difficulté à quitter le domicile est ainsi souvent mentionnée par nos répondants. Enfin, le manque de ressources en matière de communication est évoqué, les interviewés faisant référence à leur capacité limitée à parler une autre langue que le français. Jeanne, 63 ans, regrette ses lacunes :
« J’aurais aimé parler anglais car c’est une langue internationale. Les quelques mots que je connais, ce n’est pas suffisant pour échanger. Ça me ralentit un peu par exemple pour aller aux États-Unis ».
Les contraintes interpersonnelles, d’ordre social et culturel, sont liées à l’association avec d’autres individus. Elles comprennent, par exemple, le fait de ne pas avoir de partenaire avec qui pratiquer l’activité. Nos répondants âgés soulignent souvent l’absence de compagnon de voyage à la suite d’un veuvage ou un divorce. Liliane, 76 ans, évoque également un partenaire qui ne partage pas les mêmes envies :
« Mon mari et moi, nous avons des goûts opposés en matière de voyages : il veut aller au soleil, sous les cocotiers. Je n’aime pas la chaleur. Je préférerais aller dans des pays plus froids ! »
Enfin, les contraintes structurelles sont externes à l’individu et de nature contextuelle. Elles reflètent les ressources nécessaires pour s’engager dans l’activité de loisir considérée et comprennent, par exemple, le fait de ne pas avoir assez d’argent. À ce sujet, nos répondants mettent parfois en avant des ressources insuffisantes ou encore la difficulté à se séparer d’un animal de compagnie. Claudine, 74 ans, explique ainsi :
« Je dois mettre mon chien dans un chenil quand je pars. Je n’ai pas d’autre solution, alors je le fais mais les inconvénients prennent alors le pas sur le plaisir de partir en voyage ».
De même, nos interviewés citent leur manque de disponibilité (notamment à cause d’actions de bénévolat ou de soutien à la famille), la peur de laisser leur maison sans surveillance, mais aussi une offre de voyage qu’ils considèrent comme inadéquate. Gilles, 66 ans, regrette par exemple le peu de flexibilité qu’offrent les voyages organisés :
« J’aime beaucoup la nature, j’aime donc prendre mon temps et m’arrêter où je veux pour admirer les paysages. Lors d’un voyage en groupe, j’aimerais m’arrêter quelque part, mais je ne peux pas le faire parce que nous devons être ailleurs à une heure précise ».
Profiter de la vie
Les seniors constituent un potentiel économique indéniable pour les professionnels du tourisme mais leur consommation de voyages diminue jusqu’à s’arrêter complètement en raison de ces nombreuses contraintes.
Pourtant, comme nous l’avons expliqué dans un autre travail de recherche, les voyages génèrent des émotions positives et des bénéfices spirituels qui contribuent au bien-être des seniors : donner un sens à sa vie, se révéler ou encore de mieux comprendre les autres et leur relation avec la nature. En outre, à un âge où le senior est conscient de sa propre mortalité, les voyages permettent de profiter de la vie et de se créer des souvenirs.
La compréhension de ces freins à voyager semble donc nécessaire afin d’aider les professionnels du tourisme à adapter leurs services et leurs offres dans un contexte de vieillissement de la population. Plusieurs recommandations peuvent ici être faites pour ces professionnels, comme proposer des voyages prenant en compte l’avancée en âge de ces touristes. Ces séjours peuvent être calibrés pour éviter des temps de trajets trop longs et des transports trop fatigants, avec prise en charge dès le domicile. Le croisiériste Costa Cruises a même développé une offre réservée aux plus de 65 ans.
Il conviendra également d’assurer la surveillance du domicile lors de l’absence du senior ainsi que la garde de leur animal de compagnie. Autant de préconisations qui permettront de lever les freins à voyager des seniors et les aideront à leur procurer bien-être physique et psychologique.
Article écrit par Corinne Chevalier, Maître de Conférences en Sciences de Gestion, Université Paris-Saclay et Gaëlle Moal, Enseignante-chercheure en marketing, Laboratoires L@bIsen et LEGO, Yncréa.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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